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Manque de main-d’oeuvre

Travailleurs étrangers dans les hôtels : La légendaire hospitalité mauricienne en danger

7 juillet 2024, 19:45

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Travailleurs étrangers dans les hôtels : La légendaire hospitalité mauricienne en danger

Face au manque de main-d’œuvre locale, les entreprises se tournent vers les travailleurs étrangers, y compris les hôtels. Selon les chiffres officiels du ministère du Travail, le pays compte 42 700 travailleurs étrangers. Parmi eux, 16 300 viennent de l’Inde, 11 360 du Bangladesh, 7 200 du Népal et 5 760 de Madagascar et les autres de pays africains, notamment. D’une part, les jeunes préfèrent d’autres emplois offrant un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, ou travaillent sur des bateaux de croisière ou à l’étranger, où les salaires sont plus attractifs. D’autre part, le manque de main-d’œuvre dans le secteur, selon Bissoon Mungroo, directeur d’hôtel et président de l’Association des Hôtels de Charme, est dû au fait que «les Mauriciens ne veulent pas travailler le soir, ni le dimanche, ni les jours fériés. Et l’hôtel ne peut pas fonctionner de 7 heures à 16 heures. C’est un gros problème. Aujourd’hui, un employeur préfère employer des étrangers sachant que, quand on a besoin d’eux, ils sont là et ils travaillent. Mais nous sommes obligés de leur fournir des formations adaptées au contexte local. Un minimum de 15 jours est requis pour cela».

Les travailleurs étrangers, bien que recrutés pour combler le manque de main-d’œuvre, posent des défis linguistiques. Ils ne sont souvent pas bilingues. «Le marché du recrutement de travailleurs étrangers est ouvert. Mais il faut deux personnes pour effectuer le travail d’une seule, car une personne qui parle anglais peut ne pas comprendre le français. Il y a beaucoup de Nigérians, par exemple, disposés à venir travailler chez nous, mais ils ne sont pas bilingues. Et les clients laissent souvent de mauvaises critiques à cause de cela. Les tour-opérateurs nous interrogent et arrêtent de nous inclure dans leurs brochures ou itinéraires. En fin de compte, c’est nous qui sommes perdants.»

Quant à notre légendaire hospitalité mauricienne tant recherchée par les touristes, Bissoon Mungroo déclare que l’industrie touristique elle-même est en danger. Masha Juglall, qui a eu affaire à des travailleurs étrangers, soutient qu’ils «ne sont pas aussi souriants, gentils et accueillants que les Mauriciens. C’est un secteur orienté vers le service, et si le service n’est pas bon, les affaires ne seront pas bonnes. Il serait dans l’intérêt du secteur de l’hôtellerie d’offrir un meilleur package aux Mauriciens pour les encourager à travailler plutôt que de recruter des travailleurs étrangers». Dhamendra Bachu, qui a de l’expérience dans le domaine l’hôtellerie, soutient qu’«avec la tendance actuelle dans l’hôtellerie, nous risquons d’avoir le label Maurice avec un sourire bangladais ! À long terme, cela pourrait faire impacter sérieusement notre célèbre hospitalité mauricienne. C’est une question sur laquelle doivent se pencher les décideurs. Sinon, le ciel sera gris à tribord. Nous avons mis 54 ans pour devenir une référence. Nous pourrions tout perdre alors mieux vaut prévenir que guérir. Les répercussions pourraient être irréversibles». Sonam, elle, témoigne de la discrimination qu’elle a subie :«Des Mauriciens sont licenciés et remplacés par des stagiaires venant d’Inde qui ne parlent même pas français. Cette discrimination est préoccupante, surtout que certains cadres supérieurs venant d’Inde harcèlent les Mauriciens. Malgré un bon niveau d’éducation, nous sommes contraints de quitter notre propre pays pour aller voir ailleurs en raison de cela !»

Ashok Subron, syndicaliste et porte-parole de Rezistans ek Alternativ, souligne un fait que le secteur hôtelier ignore : «Avec le Covid-19, les travailleurs ont subi un choc psychologique, et ce stress persiste.» Il relève que «les propriétaires d’hôtels considèrent la perspective des bénéfices qu’ils souhaitent réaliser dans l’activité économique touristique. Le secteur hôtelier a été extrêmement affecté par le Covid-19. Ils prennent en compte la perspective des coûts et des profits, sans tenir compte de l’impact sur les travailleurs et leurs familles. Il ne faut pas ignorer ce fait. Le Covid-19 a causé un stress psychologique supplémentaire aux travailleurs du secteur hôtelier».

De plus, poursuit-il, les salaires dans ce secteur sont relativement bas par rapport à d’autres secteurs, et surtout comparés à ceux des expatriés travaillant dans les hôtels, qui peuvent gagner des salaires élevés. *«Cette disparité salariale pose problème. Il est ainsi nécessaire d’augmenter les salaires et d’améliorer les conditions de travail pour que les jeunes Mauriciens apprécient leur travail et restent dans leur pays. Combien de jeunes ont été formés pour l’industrie hôtelière ? Mais les salaires ne sont pas équivalents à ceux des expatriés travaillant ici.»*Maurice est pris dans l’étau d’un modèle de main-d’œuvre bon marché, ajoute-t-il. «Aujourd’hui, les employeurs cherchent des personnes dépourvues de vie sociale. Un travailleur étranger est la plupart du temps isolé de sa vie sociale et familiale quand il vient chez nous. C’est ce que recherchent les employeurs…»

Pour le syndicaliste, nous sommes en pleine crise de transition. «Nous voulons tous sortir d’un modèle économique basé sur une main-d’œuvre bon marché pour atteindre une économie à revenu élevé, mais les patrons, surtout les gros, ne veulent pas payer. Voyez l’opulence des profits annoncés chaque semaine dans plusieurs secteurs. Ils ne veulent pas partager. Ils maltraitent les travailleurs mauriciens et la jeunesse mauricienne. Nous assistons à une gentrification circulaire. De riches étrangers viennent à Maurice, des travailleurs étrangers bon marché sont surexploités à Maurice, et les Mauriciens quittent le pays. C’est un tournant dans l’histoire de notre pays.»