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Un 1er-mai à Rose-Hill
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Un 1er-mai à Rose-Hill

Ce devait être un meeting de campagne. Ce fut plutôt un rappel à l’ordre. Rose-Hill, place stratégique, centre de gravité urbain, théâtre jadis de batailles électorales épiques, a offert, jeudi, une image inhabituelle : celle d’une foule mince, dispersée, presque gênée d’être là.
Et pourtant, tous les ingrédients étaient réunis. L’Alliance du changement, revenue au pouvoir depuis bientôt six mois ou 169 jours, est en pré-campagne municipale. La scène était montée, les micros allumés, les slogans huilés. Mais le souffle n’y était pas. Ni dans les voix. Ni dans les regards. Ni dans les présences.
Alors, une question s’impose : que signifie cette absence de démonstration de force, là où elle aurait dû être automatique ?
La réponse, sans doute, tient en plusieurs couches.
D’abord, un fait brut : l’Alliance 60-0, qui a raflé le pouvoir national avec une mécanique d’opposition quasitotale, semble aujourd’hui peiner à mobiliser. On entend déjà les excuses logistiques, les imprévus, les justifications : météo, week-end prolongé, fatigue post-législatives. Mais les chiffres ont leur propre éloquence. Et ce silence collectif à Rose-Hill tranche avec l’euphorie de novembre dernier.
Ensuite, vient le diagnostic plus politique. Les électeurs de novembre 2024, nombreux à avoir glissé leur bulletin avec leur propre stylo, comme pour marquer un rejet - ont peut-être voté moins pour Ramgoolam ou Bérenger que contre Jugnauth. Ce fut un vote de colère, de lassitude, de rupture avec un régime qui, à force de manipuler institutions et communication, avait oublié le réel.
Mais un vote contre ne suffit pas à construire un mandat pour. C’est là le dilemme du tandem Ramgoolam-Bérenger. L’alliance est revenue avec un slogan de rupture, un programme de restauration, une promesse de retour à la décence institutionnelle. Mais au bout de 169 jours, les attentes sont toujours là, intactes, tandis que les résultats tardent.
La baisse des prix des carburants ? Bien moins que promis.
La publication de l’accord sur Agaléga ? Silence.
La compensation pour Diego Garcia ? On attend toujours.
La mise en place de comités de sélection pour les postes clés ? En suspens.
La redevance télé ? Toujours rien.
Et le peuple, lui, n’attend pas. Il regarde. Il évalue.
Ce que Rose-Hill révèle donc, c’est peut-être moins une désertion qu’un signal d’alerte. Les militants n’ont pas disparu. Ils observent. Ils testent. Ils exigent plus que des discours recyclés et des appels au «temps». Ils veulent du changement réel, palpable, chiffré. Pas seulement dans les mots mais dans les actes. Et derrière cette absence de ferveur se cache aussi une lassitude nationale : celle d’un pays condamné à alterner entre deux pôles historiques, sans vraie alternative. Ce manichéisme post-indépendance – si ce n’est pas Jugnauth, ce sera Ramgoolam – continue de structurer nos choix politiques. Mais avec de moins en moins de conviction.
Car le peuple a compris. Il n’est plus ce bloc compact et docile qu’on convoquait autrefois à coups de bus gratuits, sandwich et briani, et tee-shirt imprimé. Il est multiple, fragmenté, connecté.
Et il ne pardonne plus aussi vite. Il sait que la victoire de l’Alliance du changement est due à une combinaison unique de circonstances : fatigue démocratique, rejet autoritaire et espoir ténu. Mais ce crédit-là n’est pas infini.
Ce qui s’est joué à Rose-Hill n’est donc pas un simple «meeting raté». C’est un miroir. Un avertissement. Un rappel que les foules ne se décrètent pas.
Et au fond, peut-être que c’est mieux ainsi. Mieux qu’un bain de foule artificiel ou un clip viral. Mieux qu’une démonstration de force sans contenu. Peut-être que ce vide est une chance. L’occasion pour les leaders du changement de se recentrer, de réécouter, de corriger.
Car en politique, le silence d’une foule vaut parfois mille huées. Et quand le peuple se tait, ce n’est pas qu’il dort. C’est peut-être qu’il pense. Ou pire, qu’il doute.
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