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Devises étrangères
Un achat mystérieux de $ 238,9 millions par la Banque centrale
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Devises étrangères
Un achat mystérieux de $ 238,9 millions par la Banque centrale
Entre le 8 juillet et le 26 août, la Banque centrale a vendu $ 230 millions. Pourquoi a-t-elle dû en éponger presque l’équivalent en avril ?
D’où sortent les 238,9 millions de dollars que la Banque de Maurice a mis sur le marché ? Ces transactions font polémique parmi les banquiers et cambistes. La Banque de Maurice (BoM) dit, au paragraphe 16 de la déclaration du Monetary Policy Committee d’avril 2024, qu’elle a acheté sur le marché $ 238,9 millions, soit l’équivalent d’environ Rs 11 milliards, mais ne dit comment ni par quel moyen. La BoM expliquait qu’elle n’a pas eu à vendre de dollars sur le marché entre le 6 décembre 2023 et fin mars 2024 car, dit-elle, «les arrivées touristiques en 2023 ont contribué à enlever la pression pesant sur le marché local des devises» et, par conséquent, elle a «rather purchased FX to the tune of USD238.9 million from the market».
En d’autres mots, selon la BoM, il y avait beaucoup trop de devises sur le marché et elle a dû éponger le surplus en achetant $ 238,9 millions. Si elle ne l’avait fait, comprend-on, cela aurait été trop facile pour les commerçants, les familles mauriciennes dont les enfants étudient à l’étranger et les travailleurs migrants qui, tous, en fait, n’ont jamais cessé de faire la queue pour avoir des devises.
Et s’il y avait tant de devises sur le marché, pourquoi le taux du dollar n’a-t-il pas baissé ? se demande Sameer Sharma, banquier aux États-Unis et ex-cadre de la BoM. Le prix du dollar n’a cessé de grimper jusqu’à fin mars 2024, avant de chuter rien que le 12 mars pour reprendre son envol le lendemain. La roupie s’est dépréciée de 4,9 % par rapport au dollar entre le 28 novembre 2023 et le 2 avril 2024, reconnaît la BoM elle-même dans le communiqué de son Monetary Policy Committee d’avril. «Il y a toujours eu un manque devises sur le marché, notamment le dollar, dont le prix est resté entre Rs 46 et Rs 47», relève un banquier. «Comment et pourquoi donc la roupie s’est-elle dépréciée par 4,9% alors que la Banque centrale indiquait que le pays avait tellement de devises qu’elle a dû acheter $ 238,9millions ?»
Le plus troublant : après avoir acheté ces $ 238,9 millions, la BoM s’est mise à en revendre. Entre le 8 juillet et le 26 août, soit en six semaines, elle en a vendu $ 230 millions. «Pourquoi, se demande Sameer Sharma, avoir acheté $238 millions soi-disant pour éponger le surplus de dollars pour les revendre presque tous quelques semaines après ?» A noter que les dollars ont été cédés à un taux moyen de Rs 46,51.
Jamais la BoM n’a vendu autant de dollars en si peu de temps. À titre de comparaison, pendant les six premiers mois de 2023, elle a mis sur le marché $ 50 millions, pendant le deuxième semestre, $ 317,6 millions, pendant les premiers six mois de 2024 $ 7 millions et rien qu’entre le 8 juillet et 26 août 2024, $ 230 millions ! C’est pour toutes ces raisons que le banquier, ainsi que plusieurs de ses confrères, de même que Sameer Sharma, ne croit pas que ces $238,9 millions proviennent du marché, plus précisément du tourisme. En tout cas, nous dit-on, si la Banque centrale a vraiment acheté ces $ 238,9 millions sur le marché local, cela a contribué à faire se déprécier encore plus la roupie par rapport au dollar et surtout à assécher l’offre du dollar. Mais la BoM a-t-elle vraiment obtenu ces dollars du marché ?
Pour Sameer Sharma, les dollars auraient bien été achetés de banques commerciales locales mais la question est de savoir d’où ces banques commerciales ont obtenu ces dollars. Il est d’avis qu’elles ont pu acheter une partie de ces $ 238,9 millions sur le marché international pour ensuite prêter à la BoM. «Si cette dernière a offert un taux alléchant, les banques feront tout pour ne pas perdre ce business. Et quand on prête à la Banque centrale, on est assuré d’être remboursé et en dollars. En principe.» Ce qui est certain, c’est que si la BoM a offert un prix au-dessus de celui du marché en utilisant des forward deals pour ces dollars, cela aura permis à ces banques de réaliser d’énormes plus-values. «Qui nous dit que ce ne sont pas ces mêmes banques qui ont racheté, une partie du moins, de ces dollars à prix (réduit) du marché en juillet et août, réalisant ainsi encore plus de bénéfices ?»
Pourquoi, lui avons-nous demandé, les dollars ne proviendraient-ils pas des recettes touristiques, comme le clame la Banque centrale ? «C’est possible, mais vu la dérive du déficit de notre compte courant dernièrement, je ne crois pas que les recettes touristiques, planquées ou non, aient suffi.»
La BoM a-t-elle réalisé des profits grâce à ces transactions ou a-t-elle fait des pertes ? «Comme on ne connaît pas le prix d’achat de ces $ 238,9 millions, on ne peut rien avancer», nous dit un banquier. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, «on le saura lorsque la Banque centrale publiera son bilan». Pour lui, si les banques commerciales ont accepté de vendre tous ces dollars à la BoM et accepté de priver leurs propres clients de dollars, c’est parce qu’elles ont obtenu un prix au-dessus de celui du marché. Sameer Sharma : «Ces banques ne vont pas vendre à bas prix pour faire plaisir à la Banque centrale. Au contraire, elles ne vont pas rater une occasion pour se faire des millions de profits grâce à une série de transactions bilatérales avec la BoM.»
Pas d’inflation avant les élections !
Mais pourquoi ces ventes de dollars ? Sameer Sharma : «C’est pour faire croire avant les élections qu’il y a plein de dollars mais aussi et surtout pour inonder le marché de ces devises qui aideront ainsi à empêcher la roupie de se déprécier et stopper l’inflation.» Un banquier abonde dans le même sens : «Il est évident que la BoM essaie de maintenir le taux du dollar sous les Rs 47, alors que le prix réel tourne autour de Rs 48 – 50, un taux auquel les déposants seraient disposés à vendre.» C’est pourquoi, pense-t-il, il existerait un marché parallèle offshore ou international où l’on vendrait des dollars à Rs 48 – Rs 49. Et que les petits commerçants et autres doivent faire la queue pour obtenir des devises au prix du marché.
Les hôtels planqueraient-ils leurs devises provenant du tourisme ? «C’est possible», répond Sameer Sharma. «Les hôteliers ne convertissent qu’une partie de leurs recettes en roupies pour couvrir leurs dépenses courantes et placent leurs bénéfices en devises dans des comptes en euros ou dollars où ils perçoivent des taux d’intérêt supérieurs. Mais aussi, parce qu’ils ont peu confiance en la roupie et la BoM. Et si les hôtels réalisent de gros bénéfices c’est parce qu’ils ont reçu l’aide de la Mauritius Investment Corporation (MIC). Ces prêts sont remboursés à des taux bas et fixes. Et plus la roupie se déprécie, leurs recettes étant en devises, plus le coût de la dette contractée auprès de la MIC notamment baisse.» En attendant, il semble bien que l’on ait encore une fois puisé dans les profits de la BoM à des fins électoralistes.
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