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Décryptage

Un artifice nommé PIB

15 février 2024, 09:00

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Il est au coeur des débats économiques, ne serait-ce que parce que les décideurs politiques, les économistes, les financiers et les journalistes en font tout un plat : le Produit intérieur brut (PIB), ou «Gross Domestic Product» (GDP), est un indicateur qui suscite des batailles de chiffres stériles et des querelles byzantines. Ce n’est pas que telle prévision, officielle, étatique ou privée, soit plus crédible que les autres : la méthodologie même du calcul du PIB est surréaliste, ne traduisant que très partiellement l’état de l’économie nationale, encore moins le bien-être individuel. Comme l’affirme Diane Coyle dans son livre «GDP: A Brief but Affectionate History» (2014), « there is no such entity as GDP out there waiting to be measured by economists. It is an artificial construct». Du moins, écrit «The Economist», «it is a deeply flawed gauge of prosperity».

Conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour mesurer la capacité de l’économie à produire, le PIB a dévié de son objectif d’origine. Sous l’influence du keynésianisme, il est maintenant vu sous l’angle de la dépense. Certes, le PIB est estimé, et vérifié, de trois manières à la fois : l’approche production (elle additionne la valeur ajoutée à chaque stade de la production), l’approche dépenses (elle somme les achats effectués par les usagers finaux) et l’approche revenus (elle totalise les revenus générés par les ventes moins les coûts). Le problème est que les données requises par ces trois méthodes ne sont pas disponibles en même temps.

Le PIB est seulement un concept analytique qui aide à comprendre l’économie. Il ne peut pas être quantifié parce qu’il n’y a pas d’unité commune entre les biens et services. C’est impossible d’ajouter différents biens, qui n’ont pas de rapport entre eux, pour obtenir la production totale de biens. Afin de surmonter cela, les statisticiens établissent un prix moyen de tous les biens et services, qu’ils appellent «GDP deflator», et ils divisent la valeur monétaire des dépenses totales par cet indice des prix. Or celui-ci n’est qu’un chiffre arbitraire et irréel.

Même si l’on accepte le PIB, un de ses plus gros manquements est qu’il arrive très difficilement à saisir les biens intangibles. À quelques exceptions près, tels les ordinateurs, ce qui est produit et consommé est supposé être de qualité constante. Une telle hypothèse était tenable au temps de la production de masse et des fabrications uniformisées, mais elle devient moins fiable quand les services représentent aujourd’hui trois quarts du PIB mauricien.

Si certains services, tels les services numériques gratuits, sont exclus du PIB, d’autres y sont inclus de façon grossière. C’est ainsi que Statistics Mauritius réaffecte aux services d’exportation une très large part des revenus primaires reçus du reste du monde via les «Global Business Companies». Une telle réaffectation n’est pas faite par la Banque de Maurice dans le compte courant de la balance des paiements. Sans ce réajustement des revenus primaires par le Bureau des statistiques, le secteur offshore aurait affiché une croissance négative en 2022 et 2023.

Contorsions monétaires

Entre 2013 et 2023, le PIB nominal a crû de 73 % pour s’inscrire à Rs 652 milliards. Entre-temps, la masse monétaire («Broad Money Liabilities») s’est accrue de 135 % pour atteindre Rs 826 milliards (127 % du PIB) au 31 décembre dernier. Les différences de variation entre les deux agrégats sont dues au fait que le PIB ne couvre pas toutes les transactions monétaires, mais uniquement les activités qui sont décrétées officielles.

Toujours est-il que la croissance nominale du PIB reflète la quantité additionnelle de monnaie dans l’économie : c’est de la croissance monétaire qui n’a rien à voir avec le progrès économique. Parmi les contorsions monétaires du PIB, augmenter les salaires ou le nombre de fonctionnaires fait grimper le PIB sans qu’il y ait création de richesse. Véritablement, il n’y a croissance réelle (en volume) de la production nationale que lorsque le stock de monnaie dans l’économie demeure constant. Ajusté à l’inflation monétaire, le PIB n’a pas du tout progressé en termes réels ces dernières années.

Au demeurant, si l’on prend l’usage d’électricité comme une mesure de remplacement du PIB, on note que les 709 gigawatts par heure consommés par le secteur industriel en 2022 sont inférieurs à la consommation annuelle de 2013 à 2019. De même, dans le secteur commercial, le nombre moyen annuel d’unités par consommateur en 2022 est moindre que celui de 2011 à 2019. L’efficience énergétique ne suffit pas à expliquer cette absurdité qu’une économie croît fortement en utilisant moins d’électricité…

La consommation, c’est ce qui obsède pourtant nos keynésiens impénitents. Comme les dépenses de consommation constituent la plus grosse part (82 % à Maurice) de la demande globale, ils postulent que ce sont elles qui tirent la croissance de l’économie. Mais une hausse de la consommation (et accessoirement du PIB) ne signifie pas nécessairement que l’économie va mieux, ni que la population se sent bien, et inversement. Une réduction de la consommation peut vouloir dire que les gens préfèrent sacrifier des satisfactions présentes afin d’avoir plus de satisfactions, plus de produits, dans le futur. Ils verront d’ailleurs les fruits de leur épargne dans une baisse des prix. Et puis, la structure de production change en se renforçant à mesure que les ressources se déplacent des articles de consommation aux biens de production.

Le gouvernement et la Banque centrale se fient au PIB, l’un pour justifier sa politique de taxation et de dépense, l’autre pour manipuler le taux d’intérêt et la monnaie à sa guise, dans le dessein de faire croire qu’ils peuvent dicter la croissance économique. En vérité, leurs interventions font du tort à l’économie, et ce sont les entrepreneurs qui sont les créateurs de richesses. N’étant pas tributaires des statistiques du PIB pour réussir, ces derniers s’intéressent plutôt aux informations spécifiques à leur business et sont guidés par les pertes et profits. Toutefois, ils ne peuvent pas se permettre d’ignorer le PIB, car il influence les politiques publiques qui ont un impact sur eux.

Sinon, les individus n’ont pas besoin du PIB pour indiquer s’ils vivent heureux : ils le savent eux-mêmes. Cet acronyme de trois lettres est un artifice du bonheur.