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Négligence médicale alléguée sur la magistrate Biefun-Doorga

Un même médecin, deux tragédies

3 août 2024, 20:00

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Un même médecin, deux tragédies

Quelques échanges de texto entre Pari et le chirurgien alors que la santé de la jeune femme se dégradait.

• Une plainte au Medical Council contre ce chirurgien depuis avril

En octobre 2023, Pari*, une jeune femme qui veut garder l’anonymat, a subi une chirurgie esthétique avec le même chirurgien, qui a opéré la magistrate Varsha Biefun-Doorga, morte, dans la nuit du 23 au 24 juillet, d’une septicémie suite à une perforation de l’intestin. Pendant plus de neuf mois l’an dernier, Pari a frôlé la mort à cause de plusieurs infections survenues à la suite de la liposuccion pratiquée sur sa personne par ce même chirurgien. Elle est restée hospitalisée pendant plus de quatre mois dans un état critique. Elle confie qu’elle a vécu un véritable calvaire, qu’elle qualifie d’«atrocious experience», parle d’avoir été «stitched raw» et d’un «réel traumatisme», qui a brisé sa vie.

La famille de la magistrate Bienfun-Doorga a déposé une plainte pour négligence médicale auprès du Medical Council et l’Ordre des médecins a initié une enquête. Or, Pari avait également déposé une plainte auprès du Medical Council en avril dernier contre ce même chirurgien pour négligence médicale et avait aussi informé d’autres autorités concernées après avoir été hospitalisée pendant plusieurs mois dans un état critique. Cependant, c’est après le décès de la magistrate, soit le 25 juillet, que l’Ordre des médecins a répondu à Pari pour lui signifier qu’ils ont initié une enquête après sa plainte. Entre-temps, ce chirurgien opère toujours et les familles des victimes craignent d’autres tragédies.

«To pou fini korek dans enn semenn»

Pari raconte qu’elle a été approchée par le chirurgien, qui est le médecin de famille. Il l’a informée que grâce à un petit traitement de liposuccion, il parviendrait à éliminer l’excès de graisse qui la gênait et qu’elle luttait pour perdre depuis plusieurs mois grâce à des exercices physiques et un régime alimentaire. «Il m’avait dit que cela contribuerait à réduire les risques de diabète, d’arrêt cardiaque, entre autres, qui sont des maladies liées à l’obésité. ‘Enn ti prosedir, troi-kat zour, maximum enn semenn to pou fini korek’, m’a-t-il assuré», raconte notre interlocutrice. En raison des relations amicales et professionnelles antérieures qu’ils entretenaient, le chirurgien lui a même proposé de parrainer l’ensemble du traitement à la clinique, y compris les frais de clinique.

Faisant confiance au chirurgien, Pari a été admise un vendredi, dans la même clinique où la magistrate Bienfun-Doorga a subi son intervention, pour une «petite intervention» et elle en est sortie le dimanche. Elle insiste sur le fait qu’elle n’avait opté que pour une liposuccion mineure mais qu’on lui a fait signer des formulaires de consentement dans un état de somnolence après que des injections lui avaient été administrées. «Je me suis retrouvée avec une intervention chirurgicale plus importante que prévue car le médecin considérait que cette procédure permettrait d’enlever le plus de graisse possible. Je n’ai même pas été informée des avantages et des inconvénients de cette procédure importante», souligne Pari.

Le dimanche après l’intervention, elle dit s’être sentie très malade et son rythme cardiaque était très lent et bien que le médecin en ait été informé, il l’aurait obligée à quitter la clinique car il la jugeait apte à rentrer chez elle. «Il a tout fait pour se débarrasser de moi ce jour-là», dit-elle.

Recousue à vif

Après être rentrée à la maison, Pari, qui pensait que tout allait bien, a réalisé qu’elle ne pouvait même plus se tenir debout. Elle avait des bandages partout sur l’abdomen et un drain relié à son corps pour les écoulements de sang et des liquides restants de l’intervention. Lors des pansements, explique Pari, le chirurgien a refusé de lui faire voir sa plaie. Lors du deuxième pansement, dit-elle, le médecin a réalisé qu’il y avait du pus dans la plaie et a immédiatement enlevé le drain. «Ce jour-là, il m’a recousue à vif en plusieurs endroits sans anesthésie. Je croyais que j’allais mourir et même là, il m’a insultée. Il s’était sûrement rendu compte de la gravité de son erreur», souligne-t-elle. Le chirurgien lui aurait dit: «Ou pe krier kuma dir ou mari inn mort». Elle s’est mise à faire de la fièvre. Après neuf jours d’antibiotiques, la fièvre était toujours là. Le chirurgien lui disait que c’était normal et qu’elle exagérait.

Vu que son état de santé se détériorait, Pari a fini par consulter un autre médecin, qui lui a recommandé une hospitalisation immédiate sous peine de mourir d’une septicémie. Pari souligne que le médecin a pris des photos d’elle avant l’intervention. Elle ne le voulait pas car elle craignait qu’il les publie sur sa page Facebook. Il a alors adopté un comportement très agressif, souligne-t-elle.

Pari ajoute qu’après l’intervention, elle souffrait tellement «qu’il y a parfois des moments où je me disais que seule la mort pourrait me soulager. Ce médecin ne peut pas continuer à pratiquer. Il a massacré mon corps et a failli me tuer.» Elle précise qu’avant l’intervention, le médecin ne lui avait donné aucune consigne sur ce qu’il fallait faire pour se préparer. «C’est sa façon de procéder, il vous met en confiance et commence par vous faire du body shaming pour vous convaincre d’accepter un ’petit’ traitement».

Les séquelles toujours là

Pari est restée plus de quatre mois à l’hôpital. «Il y avait du pus partout dans mon abdomen et l’infection avait commencé à s’infiltrer dans mon sang. J’étais au bord de la mort et même les médecins m’avaient fait comprendre qu’il n’y avait pas grand espoir. Un jour, j’ai vécu un rigor (crampes et frissons) à l’hôpital et si les médecins et les infirmiers n’avaient pas agi à temps, je serais déjà morte», poursuit la jeune femme.

Après cet épisode, sa vie a basculé. Elle vit toujours avec les séquelles de cette intervention. «Il a massacré mon corps à tel point que moi-même, je n’ai pas le courage de me regarder. Les médecins qui m’ont soignée disent ne pas comprendre comment ce chirurgien est toujours en train de pratiquer. Il me faudra encore quelques années avant d’être rétablie complètement.»

En décembre 2023, elle a même écrit au chirurgien concerné en l’implorant d’arrêter ce genre de pratique et de ne plus jouer avec la vie des gens, car, dit-elle, les familles en souffrent. «C’est inacceptable que ce médecin continue à pratiquer malgré le fait qu’il y a plusieurs plaintes contre lui.» Pari espère que justice sera faite et que ce médecin sera empêché de pratiquer ces interventions et causer d’autres dommages à des patients innocents. Nous avons, à maintes reprises, tenté de joindre le chirurgien mis en cause dans ces deux affaires mais ce dernier est resté injoignable.


Le Medical Council : «Nous avons beaucoup de difficultés pour obtenir les dossiers»

Contacté pour savoir pourquoi le Medical Council a pris autant de temps pour initier une enquête à la suite de la plainte logée par Pari, une source au Medical Council souligne que dans bien des cas, les enquêtes tardent parce que le conseil met du temps à obtenir les dossiers des cliniques concernées. «Le Medical Council doit attendre de recevoir tous les dossiers pour commencer à mener l’enquête. Il y a eu un cas où cela a pris un an avant que nous obtenions le dossier. Nous faisons face à beaucoup de difficultés. Souvent, les cliniques ne veulent pas donner les dossiers et il nous faut alors solliciter une ordonnance de la cour», souligne le Medical Council. Il faut préciser qu’il y a seulement deux jours que l’Ordre des médecins a pu obtenir les dossiers de la magistrate Varsha Biefun-Doorga afin de commencer son enquête. Appelé à dire si le chirurgien impliqué sera sanctionné en attendant les conclusions de l’enquête, le Medical Council fait ressortir qu’il mènera une enquête équitable et devra examiner tous les éléments de manière minutieuse. «Toute personne est innocente jusqu’à preuve du contraire et il faudra aussi donner l’opportunité au médecin de présenter ses arguments avant de trancher.» L’Ordre des médecins souligne également que «si ce médecin était dans le secteur public, le ministère de la Santé l’aurait déjà suspendu et privé de son droit d’exercer dans le privé. Mais vu qu’il n’exerce que dans le privé, le ministère de la Santé ne peut intervenir. Le Medical Council ne pourra prendre des mesures qu’après avoir complété son enquête et après avoir déterminé s’il y a eu négligence médicale ou pas. De toute façon, après ce qui s’est passé, les cliniques ne voudront pas prendre de risques en laissant ce chirurgien continuer à pratiquer. Les patients aussi feront preuve de plus de vigilance.»