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Batailles légales de Simla Kistnen contre Yogida Sawmynaden

Une chronique de détermination

23 février 2024, 13:00

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Une chronique de détermination

À la suite du décès de Soopramanien Kistnen en octobre 2020, sa veuve Simla Kistnen a engagé une série d’actions judiciaires contre Yogida Sawmynaden, alors ministre du Commerce, l’accusant d’emploi fictif et d’abus d’autorité. Déposant une poursuite privée en décembre 2021, Simla Kistnen a affirmé avoir subi des préjudices considérables, mais ses efforts ont jusqu’ici été contrecarrés par des rejets successifs en justice. Déterminée, elle poursuit Sawmynaden au civil, réclamant des dommages de Rs 50 M pour les torts subis. Tout au long de cette saga judiciaire de plus de trois ans, Simla Kistnen a toujours maintenu n’avoir jamais travaillé comme «constituency clerk» au n°8 pour le compte de l’ex-ministre. Dans ses affidavits et ses déclarations elle maintient que c’est quand elle a fait des démarches pour obtenir des aides de l’État à travers la Mauritius Revenue Authority (MRA), vers mars 2020, qu’elle a appris, qu’elle était employée comme «constituency clerk» avec un salaire de Rs 15 000 alors que ce n’était pas le cas. Revenons sur cette affaire…

Actions légales de Simla Kistnen : poursuites privées et réclamations

Le 21 décembre 2021, Simla Kistnen a déposé une «private prosecution» contre Yogida Sawmynaden. Dans sa plainte, elle explique que l’ex-ministre du Commerce aurait déclaré qu’elle était employée par lui en tant que greffière de circonscription. Elle affirme que Yogida Sawmynaden lui a causé un tort immense en inscrivant son nom à ce poste. Selon l’affidavit de la veuve, l’ex-ministre aurait fait une fausse déclaration à la MRA en 2020, affirmant qu’il employait l’épouse de Soopramanien Kistnen comme constituency clerk et qu’il lui versait Rs 15 000 par mois. Simla Kistnen a consigné une déposition le 8 décembre 2020 à l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) contre Yogida Sawmynaden, mais aucune suite n’y a été donnée. Le représentant du Directeur des poursuites publiques (DPP) d’alors, Mᵉ Abdool Raheem Tajoodeen, a, dès le départ, objecté à la charge, la qualifiant de provisoire. Le 7 mai 2021, la private prosecution de Simla Kistnen a été rejetée sur objection de l’avocat de Sawmynaden, Mᵉ Raouf Gulbul, invoquant un vice de procédure. La magistrate Bibi Zeenat Cassamally a également rejeté la motion pour référer l’affaire à la Cour suprême.

Le 20 mai 2021, l’ex-ministre Yogida Sawmynaden a fait de nouveau face à une private prosecution dans l’affaire d’emploi fictif allégué initiée par la veuve de Soopramanien Kistnen. L’équipe d’avocats de Simla Kistnen est venue cette fois-ci avec des charges formelles sous l’article 77 du Code pénal pour abus d’autorité. Le 27 mai 2021, cette deuxième tentative a été également rejetée, Mᵉ Azam Neerooa déclarant à la cour que l’accusation déposée par la plaignante Simla Kistnen «ne constitue pas une affaire en vertu de l’article 77 du Code criminel».

Le 28 octobre 2022, Simla Kistnen a intenté une action civile en justice contre Yogida Sawmynaden réclamant des dommages de Rs 50 millions. Dans sa plainte, rédigée par Mᵉ Pazhany Rangasamy, elle rappelle que pendant le confinement, elle a fait des démarches pour obtenir les aides de l’État à travers la MRA, mais qu’elle a appris, à ce moment-là, qu’elle était employée comme constituency clerk avec un salaire de Rs 15 000 alors que ce n’était pas le cas, et elle affirme avoir subi des préjudices de la part de Yogida Sawmynaden.

Elle y ajoute que son mari était l’agent principal du Mouvement socialiste militant (MSM) dans la circonscription n°8 (Moka–Quartier-Militaire) lors des dernières élections générales et que Yogida Sawmynaden était très proche de ce dernier, l’appelant presque quotidiennement, même après les élections générales du 7 novembre 2019. Dans la plainte, Simla Kistnen souligne qu’en mars 2020, étant privée de revenus en raison de la période de Covid-19, elle a fait une demande pour le Selfemployed Assistance Scheme. Elle souhaitait obtenir les aides de l’État à travers la MRA car elle ne pouvait plus vendre de gâteaux en raison des restrictions sanitaires. «The Plaintiff was flabbergasted, taken aback and disappointed to learn that she was not eligible to such a help and hence her aforesaid application was rejected by the Mauritius Revenue Authority», dit Simla Kistnen dans sa plainte. C’est là qu’elle a appris qu’elle était employée comme constituency clerk. «Plaintiff avers that upon further inquiry, She and Kaya were astound to be informed that Plaintiff was allegedly employed as the constituency clerk of the defendant (Yogida Sawmynaden). The plaintiff was further informed that from the said fictitious salary of Rs15,000, a monthly pension contribution was deducted and contributed to the National Pension Scheme», souligne Simla Kistnen dans sa plainte.

La veuve de Soopramanien Kistnen y dit avoir porté plainte à l’ICAC en décembre 2020 contre Yogida Sawmynaden et qu’elle a été informée que l’enquête n’était pas complétée. L’avoué de Yogida Sawmynaden, Mᵉ Preetam Lallah, a déposé une demande de précisions, réclamant des informations supplémentaires sur les points avancés par Simla Kistnen dans sa plainte. L’avocat voulait savoir depuis quand Simla Kistnen avait commencé son activité de vente de gâteaux et de dholl puri à son domicile. En réponse, Mᵉ Razhany Rengasamy, l’avoué de Simla Kistnen, a fait comprendre qu’elle avait commencé cette activité en 2000, après son mariage avec Soopramanien Kistnen. Simla Kistnen devra patienter jusqu’au 28 mai 2024 pour son procès en réclamation contre Yogida Sawmynaden.

Chronologie de l’affaire Kistnen

Soopramanien Kistnen a disparu dans l’aprèsmidi du vendredi 16 octobre 2020. Son corps a été retrouvé dans un champ de cannes à Telfair, Moka, dans l’après-midi du dimanche 18 octobre.

19 octobre 2020 : Un ex-ministre fait part à l’express de sa rencontre avec l’ex-agent du MSM un mois avant la mort de ce dernier et recommande à l’un de nos journalistes (Narain Jasodanand) de mener une enquête. Il l’informe que Kistnen devait faire des révélations contre le gouvernement et qu’il aurait donc été assassiné. Le même jour, notre journaliste commence son investigation.

20 octobre 2020 : Narain Jasodanand se rend à Montagne-Ory, chez la famille Kistnen, vers 19 heures. Il rencontre l’épouse Simla ainsi que d’autres proches. Mais face à l’hostilité de l’un d’eux, notre journaliste décide d’abandonner sa démarche.

21 octobre 2020 : Il entame l’écriture de son premier article, «Mort et autopsie suspectes de Soopramanien Kistnen», qui paraît le lendemain. Le même jour, après la lecture de l’article, le neveu du défunt contacte notre journaliste. C’est d’ailleurs lors de la deuxième rencontre avec les membres de la famille Kistnen que l’express prend connaissance de l’affaire constituency clerk. On lui explique que la veuve n’a pas pu toucher le Wage Assistance Scheme pendant le Covid car elle était employée en tant que tel par Yogida Sawmynaden.

22 octobre 2020 : Notre journaliste reçoit le rapport d’autopsie de la famille Kistnen. Il contacte Mᵉ Sanjeev Teeluckdharry, l’homme de loi de Bruneau Laurette, pour lui demander d’aider la famille Kistnen. Mᵉ Teeluckdharry accepte.

24 octobre 2020 : Narain Jasodanand rencontre à nouveau la famille de l’ex-agent du MSM et il apprend plusieurs faits troublants.

14 novembre 2020 : Une nouvelle rencontre avec la famille du défunt conduit l’équipe de l’express sur les lieux où le corps de Soopramanien Kistnen a été retrouvé. Sur place, avec l’aide de la famille, on découvre des traces rouges qui semblent être de la peinture provenant d’une voiture, ainsi que d’autres éléments, dont des débris de voiture et de téléphone.

19 novembre 2020 : Dans un deuxième article de l’express, Yogida Sawmynaden est mis en cause. Un échange d’e-mails entre le défunt et le ministre est publié.

21 novembre 2020 : Simla Kistnen accepte de demander une enquête judiciaire pour faire la lumière sur le décès de son mari.

23 novembre 2020 : L’express publie une enquête sur celle de la police et les commandes de la State Trading Corporation (STC).

25 novembre 2020 : Après avoir dénoncé les anomalies dans l’affaire d’achats d’équipements médicaux par la STC, l’express révèle que Kistnen était lié à l’affaire de clôture de Pomponette. La victime avait présenté plusieurs factures à Clear Ocean et ensuite à Phoenix Trust, réclamant des montants allant de Rs 1,2 million à Rs 4,5 millions.

2 décembre 2020 : Un élément intrigue : la disparition du deuxième cellulaire de Kistnen, dont même les traces n’ont pas été découvertes. Selon les informations de l’express, ce portable et la carte SIM avaient été offerts au défunt par Yogida Sawmynaden.

Confirmation des doutes

2 décembre 2020 : Mᵉ Rama Valayden annonce que Yogida Sawmynaden n’a pas remis le salaire de constituency clerk à Mme Kistnen qu’il a pourtant enregistrée comme tel après vérifications à la NPF. Simla Kistnen obtient ainsi la confirmation de ses doutes quant à son emploi fictif.

4 décembre 2020 : L’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen débute en cour de Moka.

8 décembre 2020 : Simla Kistnen dépose une plainte à l’ICAC dans l’affaire d’emploi fictif et, par la suite, au Central Criminal Investigation Department (CCID) le 9 janvier 2021.

21 décembre 2020 : Simla Kistnen dépose une première private prosecution contre Yogida Sawmynaden. Elle avance que le ministre a fait une fausse déclaration à la MRA quant à son emploi comme constituency clerk. «Il a affirmé qu’il me payait Rs 15 000 par mois. Mais cette déclaration est mensongère et m’a privé du Self-employed Assistance Scheme.»

7 mai 2021 : La première private prosecution contre l’ancien ministre du Commerce est rayée en cour de Port-Louis.

27 mai 2021 : La deuxième private prosecution de Simla Kistnen contre Yogida Sawmynaden est aussi rayée en cour de district de Port-Louis.

28 octobre 2022 : Simla Kistnen intente une action civile en justice contre Yogida Sawmynaden, réclamant des dommages de Rs 50 millions.

23 juin 2023 : Yogida Sawmynaden est convoqué au CCID pour compléter son interrogatoire. Il est informé qu’il fait face à deux charges retenues par le DPP, le 21 juillet, à savoir «forgery of private writing» et «making use of a forged private writing». Il réfute les allégations.


Simla Kistnen a-t-elle juré un faux affidavit ?

La veuve de Soopramanien Kistnen a déclaré en cour mercredi qu’elle a découvert après le décès de son mari qu’elle avait été enregistrée comme constituency clerk à son insu. Or, Mᵉ Raouf Gulbul l’a confrontée à un affidavit daté de fin 2020 dans lequel elle avait affirmé que c’étaient son époux et elle qui l’avaient découvert. En fait, nous dit-on, si Simla Kistnen a été informée par la MRA qu’elle était employée comme constituency clerk quand elle s’est rendue à la MRA durant le Covid-19 pour percevoir le Self-employed Assistance Scheme (SEAS), elle n’en a obtenu confirmation qu’après le décès de son époux. Selon nos informations, la police l’avait déjà confrontée à cela le 3 novembre 2021 et elle aurait rectifié ce point à la police en disant que, contrairement à ce qu’elle avait affirmé dans l’affidavit, son défunt mari n’était pas au courant pour la simple et bonne raison qu’il était déjà décédé. Un avoué que nous avons contacté est d’avis que c’est une erreur de bonne foi, et non un mensonge, surtout si la veuve l’a déjà rectifié à la police. «Il est clair qu’on a voulu la confondre en cour sur ce point.»