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Jennifer Zobrizi Soobhug
Une perruquière au poil
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Jennifer Zobrizi Soobhug
Une perruquière au poil
Elle est perruquière. Son crâne nu est sa marque de fabrique, qui rassure ses clients et fait sa promotion. Sans couper les cheveux en quatre, disons que c’est une «businesswoman» globe-trotteuse, dont le parcours casse les stéréotypes. Son engagement devrait servir d’exemple.
Elle est née à Brazzaville le 5 novembre 1976, de mère congolaise et de père congolais/espagnol. Bien qu’on parle une langue bantoue et le français à la maison, on échange aussi en espagnol et en anglais. Plus tard, au gré de ses voyages, viendront se greffer à ce patrimoine linguistique l’hindi (après deux ans en Inde) et le créole. À l’école, étant donné que Jennifer a le teint clair, avec sa meilleure amie libanaise, on les traitait de «Mudule» (petites blanches), mais ce n’était pas un compliment. Elle a été élevée dans le respect de grandes valeurs. Sa mère, sage-femme et technicienne médicale, lui a appris la générosité en accouchant régulièrement ses clientes gratuitement.
Son père, quant à lui, lui a inculqué l’amour des livres, de la lecture, la nécessité de rêver et surtout le goût du voyage. À la maison, une belle bibliothèque trône au beau milieu de la demeure. Jennifer adore la lecture et les études. Elle a obtenu son bac sans grande difficulté. Plus tard, elle a décroché un diplôme en gestion des affaires et s’est inscrite à l’American Language Institution. Déterminée, elle est devenue gestionnaire de projet en sécurité au sein d’une imprimerie où elle a travaillé pendant 15 ans, avant de créer sa propre entreprise, «Malolo Solutions SARL», spécialisée dans les impressions de pointe, enrichie de contrats des Nations unies, de l’UNDP, de l’UNICEF et de banques à travers le monde. Elle a des partenaires en Afrique et en Europe. Entre-temps, elle s’est mariée à un Congolais travaillant dans le domaine de la finance, et ils ont eu quatre enfants (trois garçons et une fille).
Comment a-t-elle pris la décision de venir s’installer à Maurice ? Elle menait une vie trépidante à Kinshasa, se levant aux aurores, laissant les enfants avec la nounou et rentrant tard le soir. Elle les voyait à peine, et leurs interactions se limitaient à de rapides bisous, d’autant plus qu’elle voyageait énormément. Un jour, en l’absence de son chauffeur, elle conduisait, exténuée. Ce qui devait arriver arriva : elle s’est assoupie au volant et a failli percuter un tram. Ce réveil brutal lui a fait prendre conscience que la vie ne se résume pas au succès dans les affaires. «J’ai trouvé un directeur pour mes affaires et j’ai décidé de ralentir le rythme. Il ne sert à rien de travailler comme une dingue, de tout donner à vos enfants sauf votre présence et l’amour. J’ai pris du temps pour reconquérir mes enfants à Maurice, un havre de paix», déclare Jennifer, dans le confort de sa maison et de sa famille, installée dans le nord de l’île depuis 2016. Elle continue à voyager, mais beaucoup moins pour ses affaires. Depuis, elle possède un autre passeport : celui d’être Mauricienne de cœur !
Globe-trotteuse
Les voyages font d’elle une véritable globe-trotteuse, un peu comme Tintin, d’Hergé. Dès l’âge de 15 ans, elle est devenue une habituée des aéroports. Son passeport porte des tampons de l’Afrique du Sud, de l’Angleterre, de la France, de la Belgique, du Kenya, de l’Éthiopie, de Singapour, sans oublier les pays de l’est. Ce même Hergé, depuis Tintin au Congo (1930), a été l’objet de multiples procès, notamment pour des propos racistes et l’apologie du colonialisme visant à justifier le traitement inhumain infligé aux populations indigènes dans l’exploitation du caoutchouc. Outre le fait que le petit guide de Tintin, «Coco», dans les forêts congolaises, parlait «petit nègre», le petit reporter traitait tout le monde de «paresseux», en croyant que «les Noirs sont lourdauds, naïfs, amateurs de siestes». Une croyance qui perdure encore. Mais la Congolaise Jennifer Zobrizi Soobhug est loin d’être fainéante. C’est une acharnée qui a frôlé le burnout à plusieurs reprises, comme pour briser ce mythe.
Contrairement à d’autres de la génération des années 50/60, elle n’a pas été contrainte de fuir son pays en raison des turbulences politiques pour obtenir l’asile politique ailleurs. Les années tumultueuses, à sa naissance, étaient déjà derrière elle, tout comme le souvenir de Patrice Lumumba, figure emblématique de la lutte pour l’indépendance, considéré comme un «héros national» et assassiné en 1961. Cependant, Jennifer doit se souvenir de ce dictateur implacable au pouvoir de 1965 à 1997 au Congo, Mobutu Sese Seko, avant d’être contraint à l’exil après un coup d’État qui a porté Joseph Kabila au pouvoir. Avant de prendre la fuite, Mobutu Sese Seko avait fait une brève visite à Maurice pour le Vème Sommet de la Francophonie le 17 octobre 1993. Sa présence au Royal Palm avait suscité quelques remous, avec une protestation de la délégation belge, que le ministre des Affaires étrangères mauricien, le Dr. Swaley Kasenally, avait tenté de calmer tant bien que mal, avec le soutien du ministre français de la Culture, Jacques Toubon.
L’aventure chevelue
En 2017, Jennifer commence une nouvelle aventure dans le domaine des perruques. Six mois après son installation à Maurice, Jennifer ne veut pas rester inactive. Elle s’intéresse d’abord aux extensions capillaires, communément appelées tissages. «C’est une technique qui consiste à ajouter ou tisser les cheveux d’une personne à l’aide d’une aiguille et à ajouter d’autres cheveux selon la longueur et le volume souhaités», explique Jennifer. Cette technique s’avère un succès, notamment auprès de clientes ayant des besoins spécifiques, telles que celles qui perdent leurs cheveux, celles qui sont victimes de la chimiothérapie ou encore celles qui ne sont pas satisfaites de leurs cheveux pour des raisons de mode.
L’entreprise connaît une notoriété rapide grâce au bouche-à-oreille. La clientèle se bouscule dans le nord. D’autant que Jennifer se rase partiellement la tête en style «demi-Viking». Cette coupe de cheveux ne manque pas d’attirer l’attention, surtout lorsqu’elle se rase complètement la tête à la manière de G.I. Jane (Demi Moore dans le film éponyme). Ce crâne rasé devient sa marque de fabrique, son label, ainsi qu’un moyen de promotion. «Les clientes n’éprouvent aucun complexe voyant mon crâne rasé. Pour elles, cela devient naturel, et passer à la perruque est un petit pas à franchir», déclare Jennifer, qui estime qu’une femme peut choisir une perruque pour se sentir mieux, sans pour autant être malade. Elle commande ses perruques en Inde, au Brésil, et en Chine, et elle en exporte également.
Cependant, une rencontre sur WhatsApp vient bouleverser son monde. Depuis plusieurs semaines, elle est en contact avec une adolescente d’environ 15 ans qui lui demande combien coûte une perruque, car elle n’est pas satisfaite de ses cheveux. Au fil des échanges, une complicité se développe entre elles. La jeune fille lui informe qu’elle économise pour acheter une perruque. De temps en temps, elle lui envoie des messages pour dire qu’elle est fatiguée, surtout après être sortie de l’hôpital. Jennifer lui promet de lui faire une belle réduction. Cependant, à un certain moment, la communication est coupée complètement, malgré les insistances de Jennifer. Jusqu’au jour où elle découvre un cercle noir sur le compte Facebook de la jeune fille. Jennifer tente de contacter les parents en vain. Un jour, la mère l’appelle pour lui annoncer que sa fille est décédée d’un cancer, qu’elle commençait à perdre ses cheveux, et c’est pourquoi elle voulait acheter une perruque. Jennifer était catastrophée et se sentait coupable de n’avoir pas pu satisfaire sa jeune amie. «Cette histoire me hante encore aujourd’hui, bien qu’elle date de 2017. Elle m’avait dit qu’il ne lui restait que 25 % de la somme à trouver. Je lui ai dit de passer me voir, et je lui ferai un prix. Elle m’a envoyé plein de smileys et de petits cœurs. Nous avions pris rendez-vous pour le lendemain, mais elle n’est jamais venue. J’ai appris la triste nouvelle par sa mère. Depuis, je consacre un budget spécial ‘Cancer Survival’ pour tous ceux qui font appel à nous», précise Jennifer.
Avec son crâne rasé, Jennifer devient ainsi son propre modèle. Sa clientèle comprend également des hommes qui perdent leurs cheveux, victimes de calvitie précoce ou encore ceux victimes de la chimiothérapie. Ceux encore qui, pour des raisons qui leur sont propres, ont honte de ressembler à Yul Brynner, Ben Kingsley, Dwayne Johnson, Bruce Willis, Zinedine Zidane, Kailesh Jagutpal, entre autres !
Dans ce cas, chauve qui peut !
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