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Shekina Mootanah, diplomée en architecture et pianiste: Une question d’espaces à combler
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Shekina Mootanah, diplomée en architecture et pianiste: Une question d’espaces à combler
Shekina Mootanah, diplomée en architecture et pianiste.
Une curieuse association, c’est notre première impression de Shekina Mootanah, qui fait partie des artistes à se produire ce soir lors du troisième et dernier concert pour la saison 7 de Kafe Kiltir Moris dans la cour de La Cannelle 9381 au Domaine Les Pailles. L’étrangeté vient du fait que cette jeune femme de 27 ans est diplômée en architecture mais aussi pianiste, auteure-compositrice-interprète, deux domaines a priori aux antipodes. Or, elle a su trouver le lien commun entre eux et ce sont les espaces et les vides qu’elle comble.
Cette Curepipienne, qui a complété sa scolarité au collège de Lorette de Curepipe, a davantage suivi les traces de son père Ramdas, architecte et dont le cabinet Architecture & Design Ltd se trouve à Curepipe, que de sa mère Soojita, qui est esthéticienne et make-up artist et dont le salon Archibeauté est également dans la ville lumière. «Depuis petite je disais que je voulais devenir architecte. J’imagine que d’avoir été entourée par ce monde de la construction a aussi joué un rôle dans mon choix. J’allais souvent sur les chantiers avec mon papa et j’ai toujours été passionnée par la concrétisation d’un projet.»
Au secondaire, lorsqu’il lui a fallu choisir des matières, cette sélection s’est faite naturellement, soit les mathématiques, la physique et l’art. «J’ai toujours aimé les maths et l’art ; une combinaison qui a aussi approfondi mon amour pour le dessin et les maths, l’abstrait et le réel, l’intangible et le concret. J’aime l’aspect tangible, réel et concret de l’architecture.» Après quoi, elle a entamé des études d’architecture à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes (ENSAN) à Maurice, plus précisément sur le campus de Pierrefonds, en vue d’obtenir une licence. Elle a d’ailleurs fait partie de la première promotion de l’ENSAN-MU en 2016. À ce premier diplôme, elle a ajouté une maîtrise en architecture qu’elle a été prendre à Nantes en 2021. Elle a regagné Maurice en 2022 avec son diplôme d’État en architecture. Mais Shekina Mootanah a toutefois le succès modeste. «Je ne suis pas encore architecte dans la mesure où je ne suis pas encore enregistrée auprès du Professionnal Architects’ Council. Je suis toujours architecte stagiaire (NdlR : elle travaille avec son père). Je remplis petit à petit mon logbook et quand je serai prête, je passerai mon entretien pour pouvoir m’enregistrer.»
Elle aime l’architecture car «c’est un domaine où la créativité est la solution aux ‘problèmes’ que nous rencontrons. C’est une filière dans laquelle on communique en dessins et j’aime aussi beaucoup cet aspect. Parfois, de longs paragraphes ne pourront jamais être aussi clairs qu’un simple dessin. Quand j’ai commencé mes études à l’ENSAN-MU, j’ai beaucoup aimé la diversité et la multiplicité des cours. On pouvait avoir des cours de danse (corps et espace) et des cours de lois de construction, puis des cours d’outils informatiques pour apprendre les logiciels et puis des cours de structure du bâtiment. Les études d’architecture sont très dures. Il faut vraiment aimer, être bien entourée et manz ar li, comme on dit. Cela a été beaucoup de nuits blanches, beaucoup d’heures passées devant l’ordinateur, beaucoup d’heures consacrées à la fabrication de maquettes et beaucoup d’heures à réfléchir.»
Et la musique dans tout cela ? Elle l’a commencé tôt. En effet, depuis qu’elle a 12 ans, elle a pris des cours de piano, démarrant son apprentis sage par la musique classique. Un choix qui était sien à 100 %. «Ma maman me dit que j’ai toujours dit que je voulais jouer du piano. Et cela semble bizarre car il n’y avait pas de piano à la maison. Je faisais tellement d’autres activités depuis mon plus jeune âge – cours de Bharatanatyam, la danse classique indienne et karaté - que ça allait faire trop pour moi. Mes parents étaient réticents. Ils ont attendu que j’obtienne mon Certificate of Primary Education *pour finalement capituler et me chercher un professeur de piano que j’ai trouvé en la personne de Marie-Christinne Clarisse que je ne cesserai jamais de remercier.»
Shekina Mootanah prend aussi part aux examens de la Royal Schools of Music. Elle s’est arrêtée au Diploma in piano performance, certifié par l’Associated Board of Royal Schools of Music. «Ce qui est bien avec ces examens, c’est qu’on n’est pas obligé de tout faire dans l’ordre. Donc, grâce ma super prof, j’ai fait le grade 3, puis le grade 5, le 8, pour finir avec le diplôme en sept ans.»
Si elle aime beaucoup la musique classique, la période romantique et celle du 20e siècle étant ses préférés, son style est un mélange de plusieurs influences. «J’aime les rythmes de notre musique locale, les ambiances de musique de films et souvent des nuances contemporaines. J’ai aussi fait une semaine au Dartington International Summer School en Angleterre en 2019 au cours de la semaine du jazz pour m’inspirer et avoir d’autres influences. C’était très instructif et j’ai beaucoup appris dans un court délai.»
Elle compose des morceaux depuis l’âge de 18 ans. «Une fois mon diplôme de piano en poche, ma prof devait partir pour l’étranger. J’étais un peu perdue. J’ai essayé de continuer avec d’autres profs mais ce n’était pas ce que je recherchais. En fait, je ne savais pas encore ce que je voulais. C’est là que la composition m’est venue naturellement. En réalité, je ne cherchais pas à composer mais je voulais m’exprimer et les morceaux que je pratiquais ne me suffisaient plus. Je suis une personne très sensible et de pouvoir m’exprimer à travers ma musique m’a énormément aidée.»
L’essence de ses compositions, explique-t-elle, reste les émotions. «Raconter sans mots mais avec des mélodies, des harmonies, des airs, qui peuvent parfois rester dans la tête. Par exemple, mon premier morceau s’intitule Experience et raconte un long moment de ma vie, ma dernière année au collège, le stress des examens du Higher School Certificate, un voyage au Népal et en Inde où j’ai vécu un tremblement de terre, suivie d’une maladie. Ce morceau est pour moi, une partie de ma vie. Quand je partage ma musique, c’est une partie de moi que je partage.»
En 2018, elle décide de faire découvrir ses compositions. Elle annonce à ses parents qu’elle compose depuis un moment et qu’elle veut partager ses compositions avec ses proches. «Nous avons organisé un concert et invité toutes les personnes que nous connaissions : amis, collègues, famille, tous étaient présents. Ce concert a été possible grâce au soutien important de mes parents, notamment de ma maman. Elle a tout organisé et a fait de l’événement un succès.» Mais c’est Paul Olsen d’Opera Mauritius qui la découvre quand elle partage l’invitation du concert sur Facebook. «Paul Olsen est venu au concert que j’avais intitulé ‘Démocratisons le piano’. Ce titre m’est venu suite à plusieurs coups durs que j’ai rencontrés en voulant organiser ce concert. Lorsque je cherchais un lieu, les pianos ‘disparaissaient’. C’était fou. On me demandait si je venais du Conservatoire François Mitterrand et lorsque je répondais par la négative, on me disait qu’il n’y avait pas de piano sur lequel j’aurais pu jouer.»
À la fin de ce concert, qui a eu lieu à la Maison de l’Etoile à Eureka, Paul Olsen l’a approchée pour savoir si elle aurait voulu recommencer mais sur un piano Steinway. Elle est tombée des nues car elle ne savait pas qu’il y avait un Steinway à Maurice. «Il m’a répliqué : ‘Pas encore’ avec un sourire. C’est grâce à lui que j’ai inauguré le Steinway du Caudan Arts Centre lors d’un concert en décembre de la même année.» L’année suivante, elle a présenté de nouvelles compositions au Caudan Arts Centre, soit un morceau qu’elle a composé et qui s’inspire de la vie de la danseuse Ingrid Latour Blackburn.
Comme elle partage ses vidéos, celles-ci ont été vues par Victor Genestar de La Isla Social Club, qui l’a invitée à jouer durant un de ses évé nements à la Demeure de Saint Antoine. «J’ai joué pour la première fois en concert sur un clavier. J’ai ensuite été invitée à jouer lors de quelques soirées privées et j’ai collaboré sur quelques projets.»
Shekina Mootanah part en France et lorsqu’elle regagne le pays avec un clavier qu’elle ramène dans l’avion, c’est une fois de plus Victor Genestar qui lui offre de belles opportunités. Ainsi, elle a participé à Dreamers sur le Rooftop du Caudan Arts Centre et a fait partie d’une vidéo pour Live dans Patrimoine #4. «Grâce à ces vidéos qui pérennisent tous ces beaux moments de mon parcours, d’autres organisateurs d’événements et musiciens m’ont découverte. Par exemple, Mathieu Pigeot de Moka, m’a m’invitée à faire la première partie de Philippe Thomas pour le premier Live dan Moka, Culture Friday le mois dernier, tout comme j’ai aussi participé à un Sofar, le All Stars Jazz Concert, l’an dernier, organisé par Le Sapin et Yann Durhone. Bref, cela a beaucoup bougé pour moi. Je m’excuse si j’ai oublié certains noms.»
L’année dernière, elle a été sollicitée pour participer à la première édition d’Etoiles en Herbe, projet de Deeran Moorghen de D Major, qui s’est terminé par un concert en janvier dernier au Caudan Arts Centre. Et récemment, elle a reçu un message de Nicolas Planel, puis de Deeran Moorghen pour qu’elle participe à l’édition online de Kafe Kiltir. «Cette nouvelle vi déo m’a ouvert de nouvelles portes, notamment le concert live de Kafe Kiltir de ce soir».
Que proposera-t-elle justement ce soir au concert de Kafé Kiltir ? Quelque chose de frais, promet-elle. «Je serai au piano et je serai accompagnée par un groupe de talentueux musiciens que je respecte beaucoup. Nathaniel aux percussions, Samuel au saxophone, Noah, Loïc, Emmanuel, Nabi et Sebastien à la voix et certains à la guitare. On réserve au public quelque chose de frais. C’est inattendu et c’est un mélange de différents univers. Le répertoire sera divers. C’est une pépite qu’on a hâte de partager avec le grand public.»
Appelée à dire si elle fait le lien entre la musique et l’architecture, Shekina Mootanah répond par l’affirmative. «En musique, on joue avec le silence, en architecture, on joue avec l’espace. Ce sont des vides que l’on choisit de combler ou de laisser. Et si l’on comble, comment est-ce qu’on le fait ? C’est la même problématique. C’est le jeu entre le plein et le vide.»
Aucun de ces deux domaines n’a préséance sur l’autre dans son cœur. «Mon cœur est suffisamment grand pour le moment pour accommoder les deux. C’est le temps parfois qui manque mais le cœur est passionné. Lorsqu’il a fallu faire un choix à la fin de mes études au collège, j’ai beaucoup réfléchi. Musique ou architecture ? Pour moi, c’était important de pouvoir aider à travers mon métier et à ce moment-là, l’architecture était le choix concret. Petit à petit, j’ai approfondi ma passion également. Et mes deux passions s’entremêlent.»
Fera-t-elle ce choix un jour ? «Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Je profite pleinement du moment présent. Je me vois épanouie dans mon art, entourée par les gens que j’aime et qui m’aiment. Je tiens d’ailleurs à remercier toutes les personnes qui ont croisé ma route, nourri ma passion jusqu’à présent et m’ont permis de vivre de ma musique, tous ceux, la famille comme les organisateurs d’évènements, qui ont cru en moi. Je suis très reconnaissante de toutes les opportunités qui m’ont été présentées. L’avenir est un grand point d’interrogation. Pouvoir faire différents projets une fois enregistrée en tant qu’architecte, tout en ayant la liberté musicale pour créer et partager ma musique, c’est ce qui me plairait le plus…. »
Pour votre gouverne, le concert live Kafe Kiltir affiche déjà complet au Domaine Les Pailles. La bonne nouvelle est que ce concert sera retransmis sur la page Facebook de Kafe Kiltir Moris. Ne le ratez surtout pas.
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