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Une tombe pour patrie
Puis je me suis levé en deuil
pour des morts que je ne connaissais pas
et j’ai donné aux conquérants
le nom d’assassins
et à ma tombe
le nom de patrie
Salah Al Hamdani, poète irakien
Si nous consentons à ce qu’ils n’aient qu’une tombe pour patrie
Si nous abandonnons leurs vies au vouloir des puissants
Si nous détournons les yeux des images qui offusquent
Et refusons de nous voir dans le visage des mourants
Si nous acceptons que pour venger les morts
On fasse de tout un peuple de nouveaux martyrs
Qui sommes-nous ?
Si nous fermons nos bouches aux mots de la justice
Et ouvrons nos portes au tranchant de la haine
Si nos joies sont plus précieuses
Que le meurtre d’un enfant
Si nos rêves se contentent de nous livrer au plus offrant
Si nos dents mordent aussi bien la chair que la souffrance
Si nos cœurs ne flanchent pas sous la lancée assassine
Et nos pieds ne trébuchent pas dans les rigoles de sang
Alors, qui sommes-nous ?
Si nul cri ne sort de notre ventre repu
Quand eux n’ont que l’air pour mouroir
Si l’horreur n’éventre pas nos nuits
quand l’aube n’apporte que les relents des ruines
Si les couleurs de notre jour ne sont pas effacées
Par les fumées ponctuées de morceaux de vivants
Qui sommes-nous ?
Si le poème n’est que crachat dans le vent
Et les mots ne vont pas plus loin que ma bouche
Si je n’ai pu faire du poème une patrie
Pour ceux qui toquaient à ma porte
Si l’impuissance me menotte les poignets
Et ma chair pend d’avoir trop vécu
Sans pourtant que j’aie agi
Ni pour vous ni pour eux ni pour lui
Qui suis-je ?
Si les mots ne sont pas cris
Élevés contre la barbarie
Si le mirage du soleil levant
Transforme la boucherie en moquerie
Si les lumières de la fête
N’éclairent que l’ombre de nos pas
Qui sommes-nous ?
S’il nous faut nous poser la question
De qui nous sommes
résistants
révoltés
traîtres
ignorants
indifférents
soumis
vaincus
impuissants
Il ne reste plus rien à dire
Rien à proposer
Que cette seule question :
Que sommes-nous ?
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