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Une victoire absolue, un risque absolu
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Une victoire absolue, un risque absolu
• En 1982, les ambitions personnelles ont détruit une alliance prometteuse.
En 1995, les querelles idéologiques ont anéanti une union légitimée par les urnes.
En 2024, Maurice se tient une nouvelle fois à la croisée des possibilités et des risques.
L’histoire de Maurice, comme celle de toutes les nations, se nourrit de ses triomphes, mais aussi de ses échecs. Aujourd’hui, après le troisième 60-0 de notre jeune démocratie, la question n’est plus celle de la victoire. Elle est celle du sens que l’on donnera à cette victoire.
Armés de leur propre stylo à encre ineffaçable, les votants, par ce score absolu n’ont pas seulement désavoué un régime. Ils ont, par leur silence assourdissant, confié une mission : reconstruire un pays ébranlé dans ses fondations et ses émotions. Une mission immense, presque écrasante, qui exige une leçon d’humilité et une discipline mentale sans faille.
Maurice n’est pas étrangère aux victoires absolues. En 1982, la clameur populaire avait fait trembler les murs d’une politique sclérosée. En 1995, une nouvelle alliance, improbable mais séduisante, avait promis un avenir radieux. Pourtant, ces deux triomphes, tout éclatants qu’ils étaient, se sont effondrés sous le poids des ambitions, des querelles et des visions limitées. En 2024, l’histoire s’offre à nouveau comme un miroir. Aurons-nous la sagesse d’y contempler nos erreurs? Ou choisirons-nous, une fois encore, de détourner les yeux et d’ignorer ses avertissements?
En 1982, le peuple rêvait d’une révolution, d’une rupture totale avec les errements d’un pouvoir fatigué. Mais les architectes de ce rêve, Paul Bérenger et Anerood Jugnauth, se sont affrontés, oubliant l’immensité des attentes qu’ils portaient. Leur querelle avait laissé le pays dans un désarroi profond, la promesse de renouveau se brisant sur les récifs des egos et des intérêts divergents.
En 1995, la ferveur populaire était intacte. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger représentaient une union symbolique, un espoir de stabilité et de modernisation. Mais l’unité n’était qu’apparente. En moins de deux ans, les fissures se sont multipliées, jusqu’à l’inévitable rupture. Et Maurice, une fois encore, a contemplé le vide laissé par ceux qui lui avaient promis tant.
Ces échecs ne sont pas des fatalités. Ils sont des leçons, encore fraîches dans la mémoire collective.
Si le troisième 60-0 doit marquer un tournant, ce ne sera qu’à la condition que ses artisans regardent en face l’héritage douloureux de ces victoires brisées.
Ce nouveau 60-0 est une marée silencieuse, un cri muet d’un peuple à bout de souffle. Il exprime une volonté claire de changement, mais il porte aussi en lui le danger de l’arrogance et de l’excès de confiance. En l’absence d’opposition parlementaire, l’Alliance du changement doit se rappeler que l’absence de rival ne confère pas une légitimité totale. Elle impose, au contraire, une exigence accrue : celle de gouverner avec sagesse, retenue et un sens aigu de la justice.
Ce gouvernement n’a pas hérité d’un pays en paix avec lui-même. Maurice est un corps blessé, déchiré par les inégalités, lesté par une dette publique écrasante, fragilisé par des institutions vacillantes. La tâche qui attend les dirigeants est immense. Ils ne peuvent se permettre de sombrer dans des luttes intestines pour se frayer une place au sein de la hiérarchie ministérielle ou de gouverner par caprice. Chaque décision sera un test. Chaque nomination, une déclaration d’intention. Chaque mot, un rappel du mandat qu’ils ont reçu.
La tentation est grande de gouverner sans partage, de contrôler les institutions et de marginaliser les voix dissidentes. Mais c’est précisément cette tentation qui a miné les deux précédents 60-0.
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L’unité ne signifie pas l’uniformité. Elle exige de transcender les différences pour bâtir un projet commun. Elle requiert une humilité rare, celle de mettre de côté les egos et de servir, avant tout, l’intérêt général. Cette unité sera la seule boussole capable de guider le pays à travers les tempêtes à venir.
Les défis sont immenses. L’économie doit être diversifiée, les inégalités doivent être réduites et les institutions doivent être restaurées dans leur indépendance et leur crédibilité. Pour y parvenir, la compétence doit primer sur la loyauté partisane. La transparence doit devenir la règle, et non l’exception. Et les dirigeants doivent écouter, non seulement leurs partisans, mais aussi ceux qui n’ont pas voté pour eux.
Reconstruire Maurice ne sera pas l’œuvre d’un parti, ni même d’une alliance. Ce sera une entreprise collective, exigeant la mobilisation de toutes les forces vives du pays. Les dirigeants devront gouverner non pas en maîtres, mais en serviteurs d’une nation qui les a investis de sa confiance.
Dans ce moment historique, il ne s’agit pas seulement de gouverner. Il s’agit de réinventer. Ce troisième 60-0 n’est pas une fin en soi. C’est un début, fragile mais porteur d’espoir. Les Mauriciens n’attendent pas des miracles. Ils attendent des dirigeants capables de reconnaître leurs erreurs, de corriger leurs dérives et de faire preuve d’un courage moral à la hauteur des challenges et enjeux.
C’est à vous, élus, que revient cette responsabilité. Mais c’est à nous, citoyens, de rester vigilants, de demander des comptes et de rappeler, inlassablement, que ce pays appartient à tous. Car au-delà des victoires et des échecs, au-delà des hommes et des alliances, il reste une certitude : Maurice vaut tous les sacrifices, toutes les luttes, et toutes les espérances.
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