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Interview de ....Émilie Rivet

«Valoriser la santé mentale et combattre la stigmatisation qui y est liée»

12 mai 2025, 17:00

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«Valoriser la santé mentale et combattre la stigmatisation qui y est liée»

Émilie Rivet, docteure en psychologie clinique et Chief Operations Officer chez Konekte

Mai est déclaré mois de sensibilisation à la santé mentale, un projet destiné à éveiller les consciences, former et promouvoir des actions tangibles pour le bien-être psychologique. Nous sommes allés à la rencontre du Dr Émilie Rivet, qui nous en explique l’importance.

Pourquoi est-ce important de dédier tout un mois à la sensibilisation à la santé mentale ?

Les troubles de santé mentale représentent un problème de santé majeur à l’échelle mondiale et affectent des personnes de tout âge, tout milieu et toute communauté. En 2024, l’OMS indiquait qu’une personne sur huit dans le monde souffrait d’un trouble de santé mentale. Une étude dans 29 pays par la Harvard Medical School, en novembre 2023, a révélé qu’une personne sur deux dans le monde développera un trouble de santé mentale au cours de sa vie. L’étude a montré que les troubles mentaux les plus fréquents, tant chez les hommes que chez les femmes, sont la dépression et l’anxiété. De plus, un des derniers rapports sur les tendances et perspectives en matière de santé mentale dans le monde en 2024 montre que les jeunes adultes (18-34 ans) ont une santé mentale nettement diminuée. 41 % des personnes en difficulté présentent en moyenne cinq symptômes cliniques ou plus de détresse mentale qui altèrent considérablement leur capacité à gérer leur vie et à fonctionner de manière productive. La sensibilisation à la santé mentale constitue le premier pas vers la compréhension, l’empathie et le soutien envers les personnes qui souffrent d’un trouble de santé mentale. Quelques raisons essentielles d’y consacrer tout un mois:

Sensibiliser et éduquer : il permet d’informer sur les différents troubles de la santé mentale, leurs causes et leurs symptômes ainsi que les ressources et les services disponibles.

Déstigmatiser les troubles de santé mentale : la santé mentale reste encore un sujet entouré de préjugés et de tabous. En parler ouvertement encourage les personnes à partager plus facilement leurs difficultés et à rechercher de l’aide.

Encourager le soutien et l’empathie : il encourage la solidarité en cultivant une culture de compassion envers les personnes touchées par les troubles de santé mentale, en mettant l’accent sur l’importance de l’écoute, du soutien mutuel et du lien.

Promouvoir la prévention et l’accès à l’aide : il permet de souligner l’importance d’une intervention précoce, d’encourager la consultation des professionnel. le.s de santé mentale et de faire connaître les ressources disponibles.

Renforcer les politiques publiques : la sensibilisation peut inciter l’État d’augmenter le financement, en renforçant les services de santé mentale, facilitant l’accès aux soins et mettant en place des programmes de soutien concrets et ciblés. Investir dans la santé mentale des citoyens, c’est investir dans la prospérité et la stabilité de l’ensemble du pays.

Comment percevez-vous l’évolution du regard social sur la santé mentale au cours des dernières années ?

En tant que société, de nombreux efforts ont été faits pour déstigmatiser les troubles de santé mentale et pour briser le silence autour de ce sujet – ce qui est essentiel. Parler de santé mentale, c’est reconnaître qu’elle fait partie intégrante du bien-être global de chacun. L’un des progrès les plus importants que nous ayons réalisés est de considérer la santé mentale avec la même importance que la santé physique. Grâce à la recherche scientifique, nous comprenons aujourd’hui que l’esprit et le corps sont intimement liés. Gabor Maté, dans un de ces ouvrages (2017) explore comment les émotions refoulées et le stress chronique peuvent se manifester physiquement dans le corps, menant à des maladies graves comme le cancer, la sclérose en plaques, les maladies auto-immunes ou les troubles digestifs. De nombreuses personnalités publiques, artistes, athlètes, comme le Prince Harry, Simone Biles, Michael Phelps, Coco Gauff, Stromae, Muriel Robin, etc., ont partagé leurs expériences avec l’anxiété, la dépression ou le burn-out. Ce qui a contribué à créer du débat autour d’un sujet tabou et à encourager à rechercher de l’aide.

Une autre évolution majeure de ces dernières années a été l’essor des outils numériques, tels que les applications de santé mentale, les plateformes de téléconsultation et les communautés en ligne, qui ont largement facilité l’accès au soutien psychologique, notamment pour les jeunes générations. Ces technologies ont apporté une véritable révolution dans la manière dont les individus abordent leur bien-être mental. Elles offrent des solutions pratiques, accessibles et parfois plus adaptées aux besoins spécifiques de chacun.e. Toutefois, malgré les progrès réalisés ces dernières années, certains préjugés persistent encore dans certaines cultures, groupes sociaux ou milieux professionnels. La stigmatisation persiste pour certains troubles plus complexes, ce qui met en évidence la nécessité de poursuivre les efforts d’éducation et de sensibilisation à la santé mentale.

Pourquoi certaines personnes hésitent encore à consulter un professionnel de la santé mentale ?

Il existe plusieurs raisons qui peuvent expliquer cette réticence. Parmi ce que j’entends et que j’observe, je peux citer :

  • La stigmatisation : certaines cultures, groupes sociaux ou milieux professionnels peuvent percevoir les troubles mentaux comme un signe de faiblesse ou de honte. Cette stigmatisation peut conduire une personne à se sentir jugée, incomprise, voire marginalisée, si elle recherche de l’aide.

  • La méconnaissance : le manque de campagnes nationales simples, claires et concrètes sur les troubles de santé mentale, leurs symptômes et leurs conséquences; et les démarches pour consulter ou encore le rôle des professionnel.le.s de santé mentale.

  • La peur du diagnostic : être diagnostiqué d’un trouble de santé mentale peut faire peur. Certaines personnes peuvent redouter d’être étiqueté comme «malade», «fou», «incompétent.e», et craignent que cela ne nuise à leur réputation, à leurs relations personnelles ou à leur carrière professionnelle.

  • L’accès limité dans le système public : il n’existe pas suffisamment de psychologues dans le secteur public pour répondre à la demande croissante. Les délais d’attente peuvent s’étendre sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ce qui rend l’accès aux soins difficile.

  • Les barrières financières : le coût des consultations psychologiques ou psychiatriques dans le privé constitue un obstacle majeur pour une large part de la population. l L’idée qu’on peut «s’en sortir seul» : Certaines personnes pensent qu’elles doivent gérer leurs difficultés seules. Cette croyance peut les amener à retarder, voire éviter, toute démarche vers un accompagnement professionnel.

** Quels sont les plus grands mythes autour de la psychologie que vous aimeriez déconstruire ?**

Parmi les plus grands mythes, ceux que j’aimerais déconstruire sont:

«Aller voir un psy, c’est pour les fous.» C’est sans doute le mythe le plus tenace. En réalité, consulter un psychologue ne signifie pas qu’on est «fou», bien au contraire. Il est tout à fait légitime de demander de l’aide quand on fait face à un deuil, un traumatisme, une période de stress intense, une crise ou simplement pour mieux se connaître et se comprendre. La psychologie s’adresse à toute personne vivant une souffrance, à n’importe quel moment de sa vie.

*«Parler du passé ne sert à rien, ça ne changera pas les choses.» *Bien au contraire. Dans un cadre thérapeutique, parler du passé permet de faire une relecture de son histoire, de mettre en mots des souffrances ou traumatismes vécus qui, souvent continuent d’agir à notre insu dans le présent. Cela permet de mettre un certain sens à ce qui a été vécu. J’ai souvent entendu des personnes que j’accompagne me dire comment elles étaient restées figées dans le passé, sans s’en rendre compte, et qu’aujourd’hui, elles peuvent enfin habiter pleinement leur vie d’adulte.

Être en thérapie, c’est avoir en face de soi un témoin bienveillant de son histoire, c’est pouvoir être accompagné à se reraconter cette histoire, aussi douloureuse soit-elle, dans un espace d’écoute profonde, de confiance et d’empathie.

C’est ce processus qui permet, progressivement, de vivre davantage dans le présent et libère de ce qui pouvait peser dans le passé, sans toujours en être conscient.

C’est sans doute l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse se faire à soi-même : prendre soin de sa santé mentale. Parce que la seule personne avec qui nous passerons toute notre vie, du premier au dernier jour, c’est nous-même ! Autant apprendre à devenir un bon compagnon pour soi, à se connaître, se comprendre et s’accueillir avec bienveillance. La thérapie, c’est un chemin : apprendre à se connecter à soi, à écouter ce qui se vit en soi et à être là pour soi – avec la même attention, la même bienveillance, la même douceur qu’on offrirait à un.e être cher.ère.

Pourquoi avez-vous choisi cette profession ?

J’ai choisi d’être psychologue parce que, depuis mon plus jeune âge, j’ai grandi dans une famille profondément tournée vers les autres. À de nombreuses reprises, j’ai vu mes parents se rendre présents pour des personnes en souffrance ou dans le besoin. Malgré le fait qu’ils avaient quatre enfants à charge, ils trouvaient toujours le temps d’ouvrir leur porte, d’écouter, de soutenir, simplement et gratuitement. Ils nous ont transmis des valeurs essentielles : l’ouverture, le respect, l’humilité et surtout, l’importance de se mettre au service des autres.

Cela a été une école de vie pour moi. Ce qui m’a aussi profondément marquée, c’est leur capacité à accueillir – notamment nos ami·e·s, parfois en difficulté dans leur propre famille, qui pouvaient rester chez nous plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Cette bienveillance sans condition a laissé une empreinte durable en moi. La vie de foi de mes parents a également été une source d’inspiration. Mettre le Seigneur au centre de leur vie, lui faire confiance dans les épreuves comme dans les joies, m’a donné un ancrage intérieur solide, un repère auquel me rattacher.

Tout cela a construit en moi un socle de valeurs humaines et spirituelles, sur lequel je m’appuie encore aujourd’hui. Le métier de psychologue m’est apparu comme une évidence très tôt : une manière, à mon tour, de contribuer, d’accompagner, d’offrir un espace de présence et d’écoute à ceux qui traversent des moments difficiles. C’est ma manière de redonner ce que j’ai reçu. Car c’est en donnant qu’on reçoit le plus. Offrir de son temps, de son écoute, de sa présence, ce n’est jamais à sens unique. Chaque rencontre, chaque histoire partagée est aussi pour moi une richesse, une occasion de grandir, d’apprendre et d’approfondir mon humanité.

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