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Victoire amère
Il y a des victoires sans triomphe ou des victoires au goût de défaites. Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam n’ont pas tardé à féliciter Narendra Modi pour son troisième mandat à la tête de la plus grande démocratie du monde. Les deux dirigeants mauriciens sont pleinement conscients de la tâche herculéenne devant Modi afin de former le prochain gouvernement dans un pays pluriethnique. L’équation peut paraître simple mais elle est complexe à la base, puisque des lobbies souterrains travaillent les partis politiques. Sans coalition pas de victoire électorale, sans victoire pas de gouvernement, sans gouvernement fort pas de pouvoir absolu.C’est ce qui explique sans doute les mines déconfites duBharatiya Janata Party (BJP) lors de la proclamation des résultats.Alors que le parti de Modi criait jusqu’ici victoire, il ne peut pas la savourer, étant désormais tributaire de ses deux partenaires réunis au sein de l’Alliance démocratique nationale (NDA),unecoalition de droite, aux agendas pas toujours convergents pour la Grande péninsule.
C’est la première fois depuis les scrutins de 2014 (surfant alors sur la vague de colère généralisée contre la corruption) et de 2019 (en propageant un sentiment nationalisteà la suite d’un conflit frontalier avec le Pakistan) que le BJP perd ainsi de son autonomie ; jusqu’ici,le parti de Modi comptait suffisamment de députés pour n’en faire qu’à sa tête.
Mais Modi ne va jamais évoquer l’objectif raté des 400 sièges sur les 543. À la place, il a parlé, en essayant de masquer sa déception : «Aujourd’hui est un jour glorieux… La NDA va former le gouvernement pour la troisième fois, nous sommes reconnaissants au peuple.C’est une victoire de la loyauté du pays envers la Constitution, une victoire pour les 1,4 milliard d’habitants de l’Inde.»
Pour nombre de journalistes indiens, qui étaient sous pression avec le règne autocratique du gouvernement de Modi, surtout durant la campagne électorale, certes celui-ci a égalé l’illustre Jawaharlal Nehru (le Premier ministre de l’indépendance, élu à trois reprises), mais la victoire de Modi se révèle davantage amère que douce : il avait demandé aux Indiens de lui accorder la majorité des deux tiers au sein de la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement. Ce qui lui aurait permis de modifier la Constitution à sa guise. Face à sa déroute, c’est un ouf de soulagement donc pour les défenseurs de la démocratie et de la laïcité, qui craignaient d’éventuels grands changements constitutionnels, comme évoqués dans certaines régions du Nord, durant la campagne électorale qui a frisé tantôt la sédition tantôt le séparatisme.
Après dix ans de pouvoir ininterrompus, Modi va doucement redescendre sur Terre, ayant compris que presque la moitié des 642 millions d’électeurs l’ont sanctionné pour la situation économique (avec la perte du pouvoir d’achat et le chômage, malgré les bons indicateurs macroéconomiques) mais aussi pour ses attaques communales et frontales contre les minorités, qui ont refusé de se laisser faire dans nombre d’États, notamment dans le Sud, où la NDA a été malmenée. Il a aussi compris que le mélange religion/politique peut être à la fois un antidote et un poison pour l’électeur lambda.
Autre leçon indienne : aucun homme politique ne peut prétendre s’accrocher au pouvoir sans contracter des alliances. Modi se croyait invincible mais il aura à compter sur ses deux partenaires pour former un gouvernement. À Maurice aussi, Ramgoolam et Jugnauth savent que leur seule famille politique ne suffit pas pour diriger le pays. C’est pour cela que le MMM et le PMSD vont également féliciter Modi parce qu’ils croient aussi, pour leur survie, que la consociation doit être à la base de tout projet politique, dans le sens que la consociation permet aux groupes constitués et possédant une conscience politique collective de coopérer sur les questions d’intérêt commun, tout en leur assurant de ne pas être exclus sur les questions qui les touchent particulièrement…
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