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Pédophilie: un manager piégé par nos caméras
Par
- Arnaud Tuyau
- Estelle Bastien
- Axcel Chenney
- Manisha Deena
- Yudish Ramkhelawon
- Daren Mauree
- Patrice Lajoie
- Irshad Sheik Mastan
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Pédophilie: un manager piégé par nos caméras
Les clients : «Bann étrangers. Ena koz Fransé, ena Anglé, pli boukou Anglé.» Qui paieront Rs 2 500 à Rs 3 000 par séance. Déborah sera donc «riche», lui explique son interlocuteur, un total inconnu qu’elle a rencontré dans un hypermarché à Flacq. Déborah, c’est une fille de 15 ans. Pour les besoins de notre enquête. En réalité, il s’agit d’une journaliste de l’express. Toute une équipe s’est mobilisée pour confondre celui qui se fait appeler Rajeev Lemasseur.
Le point de départ de notre enquête : un message SOS envoyé par une adolescente sur la messagerie de la page Facebook de l’express . Et Déborah est née. «Bonjour, vous cherchez toujours des femmes pour travailler ? Comment puis-je postuler ?» demande-t-elle lors d’une première prise de contact avec Rajeev Lemasseur.
L’homme répond spontanément et demande le nom, l’âge et l’adresse de son interlocutrice. Moins d’une minute plus tard, les messages deviennent explicitement sexuels. «Es-tu vierge ? Tu veux faire juste des massages ou plus ?»
Deborah n’a que 15 ans ? Pour lui, ce n’est pas un souci. Et elle se fera «beaucoup d’argent avec de nombreux clients. Entre Rs 2 500 et Rs 3 000 par client».
L’«interview» de Déborah est fixée au lundi 13 novembre à 9 heures. Destination: un studio que Rajeev Lemasseur dit détenir à Palmar. D’abord, le rendez-vous est à Flacq où celui qui agira comme un proxénète pédophile viendra la récupérer. De là, il compte bien la véhiculer jusqu’à Palmar.
«Exercice pratique»
Mais avant le rendez-vous, il demande à Déborah de s’entraîner histoire de ne pas avoir de difficultés lors de l’«interview». L’adolescente devra même utiliser une bougie pour son «exercice pratique»…
Il est 9 heures. Nous sommes lundi matin (13 novembre). Nous fonctionnerons en mode caméra cachée. L’équipe de l’express arrive sur l’aire de stationnement d’un hypermarché à Flacq, une heure et demie plus tôt, afin de repérer les lieux.
Deborah est assise sur un banc près du coin enfant. Soudain, un véhicule d’une compagnie de sécurité privée arrive. L’individu à bord du véhicule ressemble à celui que nous avons vu sur Facebook, proposant des postes comme vigile au sein de la compagnie de sécurité. Nous avons désormais l’identité de notre homme : A. J., un habitant de Brisée-Verdière. (NdlR, afin de préserver sa famille, notamment son fils âgé d’une dizaine d’années, nous n’allons pas divulguer son nom).
À son arrivée, l’homme demande à Déborah de le rejoindre dans la voiture. Hors de question. Le maître mot : prudence. La jeune fille lui demandera plutôt de la rejoindre d’abord. «J’ai quelques questions que je préfère poser avant de venir dans la voiture avec vous», dira Déborah.
Il n’insiste pas. Et descend de la voiture. Rajeev Lemasseur, c’est un homme de grande taille, portant des lunettes de soleil et une cravate. Rien ne montre les intentions de ce quadragénaire.
Il repère Déborah mais se montre nerveux. Comme s’il n’avait pas l’habitude de mener cette mission dans un espace public. Pourtant, il nous a bien fait comprendre qu’il n’en est pas à sa première fois. Ce qui cloche ? Il finira par dire qu’il n’est pas à l’aise à l’extérieur et emmènera Déborah à l’intérieur du food court. Les échoppes sont encore fermées. Le lieu est presque désert.
Notre équipe quadrille les lieux. À partir du téléphone de Déborah, nous entendons la conversation entre les deux. La jeune fille veut savoir comment se déroulera l’«interview» prévue à Palmar le jour même.
Tout un réseau
L’homme lui explique qu’il veut voir comment Déborah se comportera devant ses clients et quels sont les «services» qu’elle compte leur offrir. Durant cette «interview», elle devra donc le traiter comme un de ces clients. Juste pour qu’il puisse l’évaluer.
Déborah demande si les clients risquent d’être violents. Non, rétorquera le présumé proxénète.
D’où Rajeev Lemasseur tient-il donc ses clients ? À Déborah qui le questionne, il explique qu’il est en contact avec des employés d’hôtel. Ces derniers sont chargés de proposer à des clients quelques heures de plaisir. Tout se fait discrètement. Une fois que les clients se laissent tenter par la proposition, les employés d’hôtel contactent Rajeev Lemasseur pour qu’il fournisse des femmes et des filles.
«Vous n’avez pas peur d’avoir des problèmes ? Parce que, moi, j’ai peur que mes parents l’apprennent», dira Déborah. «J’ai fait un choix… Il faut que tu enlèves cette frayeur», répond-il. Il lui proposera de partir pour Palmar rapidement.
Deborah demande à se rendre aux toilettes. Là-bas, l’attend une autre journaliste de l’express qui se fait passer pour sa cousine. C’est là le prétexte pour qu’elle mette fin à ce rendez-vous. Car la cousine l’interrogera sur sa présence à Flacq à cette heure. Elle répondra que c’était son prof de leçons particulières. Au final, elle quittera les lieux avec sa cousine et fera faux bond à Rajeev Lemasseur.
Tout a commencé par…
Nous sommes le 8 novembre. Une jeune fille, âgée de 16 ans, nous contacte sur Facebook. Elle nous fait part, captures d’écran à l’appui, des échanges qu’elle a eus avec l’individu en question. La veille, elle avait postulé à un emploi de masseuse via la plateforme sociale. «J’ai besoin de votre aide. Je cherchais un travail à temps partiel pendant mes vacances scolaires. Je lui ai envoyé un message et il m’a répondu par des messages indécents. Je ne suis qu’une enfant», explique-t-elle au téléphone, distinctement apeurée. Les messages suffisent pour que nous lancions notre enquête.
«Mo dimann pardon»
Cinq jours après l’avoir piégé en caméra cachée, il était temps pour nous de confronter Rajeev Lemasseur à ses actions. Nous l’appelons et lui disons que nous savons qu’il a envoyé des messages à une mineure, qu’il voulait également l’emmener dans une voiture jusqu’à un bungalow. Et qu’il était partie prenante de tout un réseau de pédophilie. Surprise. L’homme ne niera pas. Il avouera même qu’il sait avoir fait «sa bann zafer-la». «Je présente mes excuses, je sais que j’ai fait ces choses-là mais c’était une erreur», dira-t-il. «Vous vous excusez pour quoi au juste ?» nous lui demandons. «Je ne peux pas vous parler pour le moment, je suis dans une prière, je vous rappelle dans 45 minutes», affirme le quadragénaire. Évidemment, il ne rappellera jamais.
Portrait d’un agent double
Il cache bien son jeu dans son entourage. À Brisée-Verdière où il habite, les voisins ne disent que du bien de lui. Certains le connaissent comme l’agent de sécurité qui est souvent à bord de sa voiture de compagnie, d’autres comme un religieux du quartier qui ne refuse jamais de rendre service à ceux qui le sollicitent.
Au travail, rien à lui reprocher non plus. Ses supérieurs nous affirmeront qu’il compte parmi leurs meilleurs éléments. Difficile pour eux de croire que l’employé modèle a une facette cachée. Difficile pour eux de croire que c’est à bord du véhicule de la compagnie qu’il ramène des filles mineures dans des bungalows pour ensuite les livrer à des clients.
Dans l’entourage d’A. J., d’autres n’hésiteront pas à dire que certains de ses déplacements ne les laissent pas indifférents. «Pena ler, ou trouve li dans so loto compagnie partou partou», soutient-on. Et puis, il y a ceux qui nous expliquent que son poste de travail justifie qu’il se déplace souvent. Eux aussi sont loin de se douter que c’est à bord de ce même véhicule qu’A. J. embarque ses jeunes proies pour les faire passer les entretiens où il leur demande de se dévêtir.
La société de gardiennage se dissocie des agissements de son manager
Les images du véhicule nous poussent à contacter la direction de la société de gardiennage. Celle-ci accepte de nous recevoir. Après que nous avons expliqué la situation et le choc s’étant dissipé, la direction nous a fait parvenir une réaction. «The company has always taken all the necessary and reasonable precautions to ensure that the activities of the company are performed as per the legal framework of Mauritius.» D’ajouter que l’entreprise se dissocie totalement des agissements de son manager et condamne sévèrement les activités criminelles de son employé. «The company has initiated the necessary actions and reiterates its commitment and pledge to continue working for the benefit of the Mauritian society and for the welfare of the people», insiste la direction de l’entreprise.
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