Publicité

«Tant bazar»: Mwa, Pomdamour, mo rant dan tou lasos

30 septembre 2018, 18:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

«Tant bazar»: Mwa, Pomdamour, mo rant dan tou lasos

Je suis l’indispensable de la ménagère. Un peu frivole, je me marie à toutes les sauces. Je n’aime pas trop la pâtisserie, mais pourtant, depuis peu, on m’arrache comme mes copains les petits pains. C’est dire à quel point, en ce moment, je vaux des cacahuètes.

Pas étonnant que je cause la grogne chez les planteurs. Dans les plantations, on a abandonné mes pauvres consœurs; quelques kilos en plus ou en moins, pensent-ils, ne font aucune différence. Pour me sentir moins coupable, je me dis qu’au moins, à l’autre bout de la chaîne, les consommateurs, eux, sont ravis. Mo met zot dan siro, anfin, dan lasos…

 J’ai l’impression que l’été est déjà là. On a les joues rouges, ça transpire dans la caisse. On y est serrées, comme des sardines au fond d’une boîte, mais, nous, on ne chante pas. Les secousses ont envoyé quelques-unes de mes kamwad par-dessus bord, je les entends rouler à mesure que l’on avance. Purée, j’espère qu’elles sont toujours entières.

«Mo pou al fini satini»

 Au bout d’une heure de collé-serré désagréable, c’est l’explosion des sens… et de quelques pommes d’amour. J’ai le vertige, une onde de choc parcourt mon petit corps tout rond; le poids de mes frères et sœurs qui me compressent et les lois de la gravité ne font rien pour arranger les choses. Je n’ai même pas le temps de m’en remettre, je tombe à la renverse. Le tohu-bohu du marché me parvient, d’un coup. Je viens de passer d’une caisse à une autre.

Certes, il fait sombre, mais ici, c’est le bazar incessant. J’ai traversé la première étape, je suis excitée, je découvre enfin la vente à l’encan, aux petites heures du matin. C’est un endroit mythique. Notre seule chance de côtoyer les plus belles pommes d’amour de l’île, comme celles du centre, réputées pour leur peau qui serait plus luisante et leur chair plus ferme. Cela me met la pression car, moi, j’ai une cicatrice sur le côté. À peine ai-je commencé à m’enthousiasmer que je m’inquiète pour mon avenir. Mon rêve, c’est de finir dans une succulente «ladob poul» du dimanche. C’est le parcours du combattant mais je garde espoir.

Qui choisirait une pomme d’amour abîmée ? Mo pou al fini satini... Mais je me ressaisis, pour ne pas perdre goût à la vie. Bientôt, on m’emporte. Puis, c’est le noir total. Plus de bruit, plus d’effluve. Je ne sais pas si j’ai été vendue. Mes camarades partagent mes préoccupations.

Nous sommes arrivées à destination, après 17 nids-de-poule. Est-ce un retour au bercail ? Je me perds dans mes idées noires. Au bout d’un moment, c’est l’agitation autour de moi, un nouveau brouhaha qui m’est inconnu. Je me retrouve dans une vague de pommes d’amour, par moments écrabouillées, puis je me stabilise sur un étal. On me pèse, me soupèse, on m’attrape, on me tripote, #MeToo...

Je réalise alors que je suis au marché ! JE SUIS AU MARCHÉ ! Je n’y crois pas. «Pom damour tro bo marsé an sé moman, pena profi mem, me dan dé-trwa sémenn pri pou monté», lance un maraîcher entre deux «laliv pom damour Rs 10»
Entre-temps, brrrrr, j’ai droit à des histoires fer per qui racontent que les humains achètent les pommes d’amour par kilos et les congèlent... pour ne pas se trouver fort dépourvus quand la hausse sera venue.

Je passe une demi-journée au marché avant qu’on ne m’achète. Devinez quoi… Mon souhait a été exaucé. J’ai atterri dans enn ladob poul. Les clients s’en sont léché les doigts.

Finalement, je ne compte pas pour des prunes.