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Mauritius Leaks: la réponse de trois journalistes de l’ICIJ à Pravind Jugnauth
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Mauritius Leaks: la réponse de trois journalistes de l’ICIJ à Pravind Jugnauth
Ils enquêtent sans relâche sur ceux qui abusent du service offshore de leurs pays respectifs. Leurs juridictions sont tout aussi controversées que l’offshore mauricien. Trois journalistes de Malte, du Luxembourg et des Pays-Bas ont suivi de près les réactions des opérateurs et celle du gouvernement mauricien après les Mauritius Leaks. Leur verdict : nos dirigeants ressemblent à ceux de leurs pays.
Le 23 juillet, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a secoué l’offshore mauricien avec une enquête intitulée : les Mauritius Leaks. 200 000 documents secrets obtenus du cabinet d’avocats Conyers Dill & Pearman et de son ex-filiale mauricienne, Venture Law, ont démontré comment l’offshore mauricien est utilisé pour contourner la taxe de nos voisins africains. Le sujet a provoqué un tollé et provoqué de vives réactions dont celle-ci : c’est une tentative de salir la réputation de l’offshore mauricien alors qu’il y a d’autres juridictions plus «sales». Deux mois après, des journalistes d’investigation de ces juridictions controversées rient des réactions mauriciennes. «Nous écrivons tous les jours que l’offshore de nos pays est pourri et les dirigeants réagissent exactement comme l’ont fait les autorités mauriciennes», disent-ils. Luc Caregari (Luxembourg), Karlin Kuijpers (Pays-Bas) et Jacob Borg (Malte) ont bien voulu répondre aux critiques des Mauritius Leaks.
Pourquoi l’ICIJ a choisi Maurice et pas les autres juridictions ?
C’était un des arguments avancés par des membres du gouvernement ainsi que l’association des Management Companies après la parution des Mauritius Leaks.
Luc Caregari
L’ICIJ ne choisit pas. S’ils ont un leak, ils ont un leak. Il y a plein d’autres juridictions à faire, bien sûr. C’est une réaction typique. C’est ce qui s’est passé aussi après les Lux Leaks. La première réaction officielle, c’était : «Mais pourquoi tout le monde nous tombe dessus, pourquoi vous ne parlez pas des Belges, des Hollandais ou de l’Irlande ?» Mais s’il y a un leak quelque part, il faut bien le faire.
Karlin Kuijpers
Bien sûr, nous aurions aimé enquêter sur toutes les juridictions, mais cela ne rend pas les Mauritius Leaks moins importants. Le gouvernement doit réagir à ce qui a été révélé par les Mauritius Leaks et qui sait quels sont les autres projets qui viendront.
Jacob Borg
(Rires) C’est un non-sens. Il y a eu les Malta Leaks et ses 13 millions de documents en 2017. J’ai moi-même travaillé sur ces sujets. Et par expérience, je peux vous dire que cette réaction est classique.
L’impact des «Leaks»
<p style="text-align: justify;">Maurice et les juridictions ciblées par le journalisme d’investigation ont toujours affirmé que les révélations ne démontrent aucune pratique illégale. Pourtant, après les<em> Mauritius Leaks</em>, dans au moins trois pays d’Afrique, le fisc a ouvert des enquêtes pour voir s’il y a matière à poursuivre des entreprises ayant investi à Maurice pour évasion fiscale. À une plus large échelle, les <em>Panama Papers</em> (une autre enquête de l’ICIJ) ont permis à des gouvernements du monde entier de récupérer $ 1,2 milliard de dollars (près de Rs 40 milliards) de ceux qui ont fui le fisc de leurs pays en utilisant le Panama.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Karlin Kuijpers</strong><br />
Nous avons publié un article sur une société minière nommée Kenmare au Mozambique qui a évité la taxe à travers Maurice. À la suite de l’article, des membres du Parlement ont interrogé le ministre puisque c’est une banque publique hollandaise qui a financé ce projet. Ils ont demandé pourquoi le gouvernement hollandais était impliqué dans cette structure d’évasion fiscale, mais le ministre a tout simplement répondu que Maurice a été choisie pour des raisons légales et que c’est la compagnie qui a évadé la taxe, pas le gouvernement.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Luc Caregari</strong><br />
Si ces pratiques sont légales, c’est qu’il faut changer les lois. C’est immoral. Le déséquilibre fiscal n’impacte pas seulement les pays de l’Ouest mais cela joue aussi un très grand rôle dans le déséquilibre Nord-Sud. En même temps, de quelle légalité parle-t-on ? Aujourd’hui même<em> (NdlR : l’express a rencontré ces journalistes la semaine dernière)</em>, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les opinions fiscales émises par PwC au profit des investissements de Fiat au Luxembourg sont illégales. Ces opinions fiscales avaient été révélées par les <em>Lux Leaks.</em> Fiat a été encore une fois condamnée à payer $33 millions au Luxembourg. Le ministère luxembourgeois des Finances a déjà annoncé qu’il fera appel. Jugez vous-même de l’absurdité. Une cour ordonne à une compagnie de payer la taxe à un pays et c’est le pays qui fait appel pour dire que <em>«non, vous ne nous devez rien».</em></p>
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Antipatriote ?
Pravind Jugnauth sur les Mauritius Leaks : «L’express est antipatriote.» C’est tout ce que le Premier ministre a trouvé à dire publiquement par rapport aux Mauritius Leaks. Il a refusé de répondre aux questions des journalistes sur la question, se contentant de dire que l’express (NdlR : l’express a participé à cette enquête avec des journalistes du monde entier) est le journal le plus antipatriotique qu’il ait connu car on s’attaque à un secteur pourvoyeur d’emplois. Le ministère des Finances avait, de son côté, émis un communiqué pour expliquer que l’optimisation fiscale est légale.
Jacob Borg
Les gouvernements du monde entier, quand des scandales sont exposés, accusent le journaliste d’être antipatriotique. En fait, c’est le gouvernement qui est antipatriotique. Quand vous savez qu’il y a ces mauvaises pratiques, quand vous savez que votre pays est en train d’être utilisé comme destination fiscale pour voler les contribuables d’autres pays, vous avez le devoir d’arrêter cela.
Karlin Kuijpers
Un bon journaliste est toujours bon pour son pays et c’est mauvais de s’attaquer au journaliste. Les faits ne sont pas contestés. Ce sont des sujets qui doivent faire l’objet de discussions. Au lieu de cela, vous tuez le messager. C’est arrivé avant aux Pays-Bas. Ils ne nous ont pas qualifiés d’antipatriotes, mais ils ont dit que ce que nous écrivons, c’est mauvais pour le business, c’est mauvais pour le pays. Ce sont des réactions normales.
Le journalisme d’investigation financière face aux puissants lobbys
<p style="text-align: justify;">S’attaquer à l’opacité de l’offshore mondial n’est pas une mince affaire. Les <em>Panama Papers</em> ont révélé comment les plus puissants et les plus riches y cachent leur argent pour éviter la taxe. La journaliste maltaise ayant enquêté sur les Panama Papers a d’ailleurs été assassinée en 2017.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Luc Caregari</strong><br />
Qu’on ne s’y trompe pas. L’influence des Big Four <em>(les quatre plus grandes firmes d’audit et de comptabilité du monde, dont PwC) </em>dont les documents constituent la base des Lux Leaks, est énorme au Luxembourg. C’est un des premiers employeurs du pays et son influence sur la politique est démesurément grande.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Jacob Borg</strong><br />
Il y a à Malte un journalisme d’avant l’assassinat de Daphne et un journalisme après l’assassinat de Daphne <em>(NdlR : Caruana Galizia)</em>. Avant l’assassinat de Daphne, c’était déjà très difficile parce que Malte est un centre où l’on trouve beaucoup d’argent sale et beaucoup de business malpropre. Quand ces criminels se retrouvent face à des journalistes qui essaient de les exposer, ils n’apprécient pas. Il y a toujours beaucoup de pression. En tant que journaliste, vous savez que la pression va s’arrêter en cour à l’issue des procès pour diffamation . C’est ce que pensait aussi Daphne qui était la journaliste la plus agressive quand il s’agit de révéler ces structures. Mais, au lieu de tuer ses articles en cour, ils l’ont tuée. Comme journaliste maltais, c’est un scénario que vous n’auriez pas imaginé avant. Cela a eu l’effet désagréable de causer de l’autocensure. Beaucoup de journalistes maltais aujourd’hui ont peur de traiter de certains sujets comme ceux qui ont tué Daphne.</p>
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