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Après John Brown: confidences d’un enseignant «incriminé à tort» par l’ADSU de Flacq

29 mai 2021, 19:00

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Après John Brown: confidences d’un enseignant «incriminé à tort» par l’ADSU de Flacq

Il y a neuf mois à peine, Yasheel Rungee, aussi connu comme Bhavesh, était un enseignant sans histoire et promis à un bel avenir. «Mo ti enn sitwayen normal avek enn travay secure.» Mais le 11 septembre 2020, la vie de cet habitant de Palma a été complètement chamboulée après une arrestation qu’il qualifie d’arbitraire par l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU). Ce jour-là, de la drogue est retrouvée dans sa poche droite et on l’accuse d’être à la tête d’un réseau de trafic de drogue dans le milieu estudiantin. Après 19 jours de détention à Moka, son contrat d’enseignant est même résilié. Quelques semaines plus tard, il porte plainte à l’Independent Police Complaints Commission.

Peu après ces faits en 2020, l’express est resté en contact avec le jeune homme, qui n’a cessé de clamer son innocence. Toutefois, sur les conseils de son avocat, il a choisi de s’abstenir de tout commentaire dans la presse le temps que commence son procès. Mais la semaine dernière, la plainte médiatisée de John Brant Vivien, aussi connu comme John Brown, à l’encontre de l’ADSU de Flacq, a ravivé de douloureux souvenirs pour Yasheel, qui a été choqué par les similitudes de l’affaire et de son cas, surtout concernant le modus operandi de l’équipe de l’ADSU.

Après la publication d’un article de presse, l’ancien enseignant a été accablé par les internautes mais il a pu compter sur le soutien de ses ex-élèves.
Extrait de la lettre au DPP réclamant une copie des images des caméras Safe City datant du 11 septembre.

 «C’est le même inspecteur et le même constable qui sont concernés. Comme dans le cas de John Brown, une fausse déposition a été faite par celui chargé de l’opération», clame Yasheel Rungee. Il est rare qu’une personne sous le coup d’une accusation si sérieuse accepte de témoigner à visage découvert alors que le procès n’a pas encore démarré. Mais dans sa quête de justice et surtout avec l’appui des derniers développements, l’ancien enseignant s’est dit prêt à prendre le risque. «En un an, il y a eu au moins deux cas similaires. Ce n’est pas un hasard. Il est temps de dénoncer ce qu’il se passe dans ce pays car une bonne partie de la population l’ignore.» S’il a entrepris une croisade pour être innocenté, c’est aussi parceque Yasheel Rungee, l’aîné d’une fratrie de trois enfants, a vu ses proches sombrer dans l’angoisse depuis son arrestation. «J’essaie, autant que possible, de réparer les dégâts. Ma mère n’avait jamais suivi de traitements psychiatriques avant cet incident mais le stress la ronge jour après jour. C’est elle qui m’aide, surtout sur le plan financier car j’ai une dette à rembourser mensuellement et personne ne veut plus me donner du travail. Je n’ai plus de crédibilité. Personne ne me croit.» Son père, un maître d’école, s’efforce aussi de garder la tête haute malgré les ricanements au quotidien.

Extrait de la plainte de Yasheel Rungee à l’Independent Police Complaints Commission.

Sur les réseaux sociaux, Yasheel Rungee a reçu des menaces de mort, qui ont augmenté après la parution d’un article de presse, cela avant même qu’il ne fournisse sa version en présence de son homme de loi. Une succession de stress a fait perdre à Yasheel Rungee beaucoup de poids même s’il refuse de s’y attarder. «Je ne veux pas dramatiser les choses mais c’était dur. Ça l’est toujours.»

Malgré tout, il se dit reconnaissant envers ses anciens élèves qui n’ont jamais cessé de le soutenir. D’ailleurs, c’est en refoulant avec beaucoup de peine ses larmes qu’il a tenu à les remercier. «Ce sont mes héros. On m’a brisé en morceaux mais je suis encore debout grâce à eux. Ils me manquent.» Mais hors de question pour le jeune homme de retourner à l’institution qui l’a mis à la porte même s’il est encore présumé innocent. Son vœu le plus cher aujourd’hui est de confronter le constable et l’inspecteur qui l’ont arrêté devant la justice. «J’ai hâte de savoir s’ils oseront dire la vérité sous serment.» À ce jour, aucune date n’a été arrêtée pour le début du procès.

Dcp Choolun Bhojoo : «aucun lien entre les deux cas»

Sollicité par l’express, l’adjoint au commissaire de police (DCP) Choolun Bhojoo dit avoir pris connaissance des accusations faites par Yasheel Rungee lorsque celui-ci est intervenu sur les ondes de Top FM le mardi 25 mai. Malgré les troublantes similitudes dans le cas de John Brown et celui de Yasheel Rungee, le patron de l’ADSU a refusé de remettre en cause le constable et l’inspecteur pointés du doigt. «À ma connaissance, cette personne a donné sa déposition en présence de son avocat. Il y a une enquête en cours. Cela reviendra au DPP de décider de la marche à suivre. Il faut savoir que les membres de l’ADSU effectuent des opérations en fonction des informations sensibles qui leur parviennent. Je ne pense pas qu’il y ait un lien entre ces deux cas.»

CHRONOLOGIE DES FAITS EN 2020

11 septembre : Yasheel Rungee est interpellé par des agents de l’ADSU alors qu’il se trouve dans sa voiture. Selon sa version, il est emmené au poste de police de St-Pierre. Sur place, les policiers l’auraient persuadé d’accepter les charges de trafic de drogue pour avoir une «sentence réduite» mais il refusera. Il allègue avoir reçu un coup à l’oreille ce qui lui a valu un traitement à l’hôpital.

12 septembre : Yasheel Rungee est traduit en cour sous une accusation provisoire de trafic de drogue.

 15 septembre : Avant même sa déposition en présence d’un avocat, ses «aveux» et sa photo sont publiés dans la presse. Lors de sa déposition, il dément toutes les accusations à son encontre.

18 septembre : L’avocat de Yasheel Rungee écrit au commissaire de police sollicitant les images des caméras de Safe City qui pourraient être utilisées pour corroborer la version du jeune homme et ainsi le disculper.

 25 septembre : Un assistant-surintendant de police répond à l’avocat par écrit et lui explique que sa requête ne peut être acceptée.

30 septembre : Yasheel Rungee est libéré sous caution après 19 jours de détention.

 6 octobre : L’enseignant dépose une plainte à l’Independent Police Complaints Commission mais huit mois plus tard, l’affaire n’est toujours pas résolue.

7 octobre : L’avocat de Yasheel Rungee écrit, cette fois-ci, au Directeur des Poursuites publiques pour faire une nouvelle demande d’accès aux images de Safe City. En vain.