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Édito

We are nearly there...

27 mai 2025, 05:50

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À la fin de 1964, le vent venait du Nord, mais les nouvelles, elles, nous arrivaient par le Sud. Des coupures de presse, comme des bouteilles à la mer, s’échouaient sur nos rivages. Elles parlaient d’un archipel lointain qu’on s’apprêtait à détacher de notre destinée : les Chagos. Un nom qui sonnait déjà comme un soupir qu’on s’apprête à faire taire.

À Londres, Harold Wilson gouvernait l’Empire en costume de velours. À Maurice, le peuple n’en savait rien. Ce n’était pas une surprise. C’était une offense. Une de plus. Car si l’indépendance se conquiert dans les urnes, elle se préserve par la vérité. Et pourtant, rien. Le mutisme des puissants. L’ignorance comme méthode.

L’express, dans son édition du 15 novembre 1964, s’en étonnait. Comment pouvait-on taire un projet de base militaire anglo-américaine dans l’océan Indien, si proche de nos pirogues et de nos songes ? Comment endormir une population alors que, dans son dos, se dessinait un découpage aux ciseaux froids du droit impérial ?

Deux hypothèses se dessinaient, aussi blessantes l’une que l’autre. Soit Londres jugeait le conseil des ministres mauricien indigne d’être informé ; soit, pire encore, ce même conseil savait… et s’est tu. Taire une entreprise de cette ampleur, c’est oublier qu’on gouverne des âmes, pas des statistiques. Qu’un pays, c’est un peuple, pas un protectorat.

Ce que nous réclamions n’était pas d’accéder aux secrets militaires. Ce que nous voulions, c’était simplement être traités comme des adultes. Une base militaire, fût-elle de paix, est une frontière déplacée. Un pacte qui laisse une cicatrice. Et quand la parole manque, c’est le soupçon qui s’installe – comme c’est aujourd’hui, soixante ans plus tard, le cas pour Agaléga.

À cette époque, M. Tom Vickers remplaçait le gouverneur Rennie. Il avait entre les mains les clefs du silence. Il choisit de ne pas les tourner. Et la mémoire populaire, elle, ne pardonne jamais tout à fait ces silences-là.

En mai 2025, c’est une autre phrase, glissée dans le nouvel accord entre Londres et Port-Louis, qui fait sursauter : «We have enjoyed the full support and assistance of our close partners, the United States of America and the Republic of India.» L’Inde. Celle qui, depuis Agaléga, nous regarde d’en haut. Pourquoi cette inclusion ? Sinon pour rappeler que l’échiquier se joue à trois contre un. Que notre combat, dans sa noblesse, est aussi solitaire.

On se souvient du communiqué commun de 2016, où l’Occident parlait le langage du maître : n’osez pas saisir la Cour internationale de Justice, ou vous le regretterez. La menace était claire, le ton colonial. Et pourtant, Maurice n’a pas fléchi. Notre République, si souvent donnée perdante, a tenu tête. Sans violence. Sans drapeau brûlé. Mais avec la constance de ceux qui savent que le droit, un jour, finit par parler.

Et ce droit, ce fut à La Haye qu’il s’exprima. L’avis consultatif de la CIJ, sollicité avec persévérance, a fait vaciller les fondations de l’argument britannique. Pour la première fois, notre nom s’inscrivait dans l’histoire du droit international, non pas comme une note de bas de page, mais comme une cause juste.

Mais cette victoire demeure incomplète. Car elle s’est construite sans la grande union que le moment exigeait. Jamais les anciens Premiers ministres n’ont partagé la même table. Jamais les ego n’ont fléchi devant l’intérêt supérieur du pays.

Maurice n’a pas cédé. Mais elle a peiné à parler d’une seule voix.

L’espoir pourtant n’est pas vain. L’écrivain Malcolm Gladwell, dans son hommage aux faibles, rappelait que les désavantages peuvent devenir des leviers. C’est vrai pour Gandhi. Pour Mandela. Ce peut l’être pour nous.

Aujourd’hui, on attend la ratification finale par le Parlement britannique. We are nearly there, diton. Mais tant que notre drapeau ne flottera pas sur l’archipel entier, tant que les Chagossiens ne fouleront pas de nouveau leur sol natal, tant que l’Histoire ne sera pas réécrite sans ratures, notre tâche, elle, ne sera pas achevée. Et alors seulement, la fronde pourra être posée.

Et nous pourrons marcher, ensemble, sur les sables redevenus nôtres.

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