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Questions à… Jean Claude de l’Estrac, auteur et journaliste
«À partir de cette expérience intime d’Alzheimer, j’ai cherché à rendre service»
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Questions à… Jean Claude de l’Estrac, auteur et journaliste
«À partir de cette expérience intime d’Alzheimer, j’ai cherché à rendre service»
Témoigner de la progression de la maladie d’Alzheimer chez Solange, son épouse, qui aujourd’hui, ne le reconnaît plus. C’est le sujet douloureux du nouvel ouvrage de Jean Claude de l’Estrac. «La chanson inachevée», qui paraît chez Pamplemousses Editions, sera lancé le jeudi 10 octobre.
Au fil de la chanson, l’histoire s’assombrit. Alzheimer, une mastectomie, une opération du genou. Avez-vous l’impression que le sort s’acharne sur Solange ?
C’est d’autant plus inattendu qu’elle a connu une longue vie pratiquement sans maladie. Elle ne savait pas ce qu’était un mal de tête. Paradoxalement, aujourd’hui encore, à l’exception de son problème fondamental, elle est plutôt en bonne santé. Elle continue de bien manger. Elle a peut-être meilleur appétit que moi.
En mangeant dans des assiettes rouges ?
On rentre là dans l’aspect «guide» de cet ouvrage. Des chercheurs ont trouvé qu’en mangeant dans des couverts rouges, les malades s’alimentaient mieux. À partir de cette expérience intime, j’ai cherché à rendre service. J’ai rencontré plein de familles désemparées, qui ne savent pas comment traiter leur patient. Elles ont de grandes difficultés parce qu’elles ne savent pas de quoi il s’agit vraiment. Et nous avons ici plutôt des gardes malades et pas des aides-soignantes.
Vous rendez un bel hommage aux aides-soignantes, ces «auxiliaires de vie».
Cela fait une grosse différence. Pour ces malades, l’accompagnement est fondamental. On peut leur donner une vie plus ou moins normale alors qu’ils se sont retirés dans leur propre univers. Un psychologue a écrit un livre (NdlR : Contented Dementia : 24-hour wrap around care for lifelong wellbeing d’Oliver James), où il recommande de garder le malade «contented» dans l’instant présent. Solange regarde des dessins animés le matin…
Dont Cocomelon…
Elle passe la matinée avec Cocomelon. Elle rigole, pose des questions aux personnages, comme un enfant. L’autre partie de la journée, elle écoute des chansons. Elle chante encore et se rappelle des paroles.
D’où le titre.
Il faut arriver à la fin du livre pour comprendre pourquoi «inachevée». Il y a des moments avec et des moments sans. En ce moment, elle parle un peu moins. Je la sens qui se retire de plus en plus dans le silence. C’est une étape de la maladie.
Au départ, les noms réels ne devaient pas figurer dans le livre. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Ce livre n’était pas programmé. Pour sauvegarder l’intimité, je m’étais dit que j’allais écrire une fiction basée sur une histoire réelle. Au fur et à mesure, je me suis dit que l’histoire réelle est comme une fiction. Et j’ai lu beaucoup de livres de fiction sur la question.
J’ai aussi lu des livres écrits par des malades. Certains arrivent à écrire, comme Wendy Mitchell (NdlR : ancienne infirmière britannique, auteure de Somebody I used to know et What I wish people knew about dementia). J’ai aussi lu une psychiatre (NdlR : Annie Bléas, auteure d’Anamnésie) en me disant que j’aurais dû y penser. Elle a tenu un journal sur sa mère malade. Ce n’est pas ce que j’ai fait. Mais plus j’écrivais, plus le passé revenait.
Cela a été une thérapie pour vous ?
Un exutoire, une thérapie, une catharsis. C’est pourquoi je n’ai pas envie de recommencer à écrire tout de suite.
En dévoilant ce vécu, y a-t-il eu des réticences d’autres personnes concernées ?
Pas fortement. Je me suis demandé jusqu’où je pouvais permettre aux uns et aux autres de rentrer dans la maison, dans la chambre de Solange, dans sa vie. Je pense avoir réussi à faire un récit de vie, un livre qui raconte une maladie cruelle à la fois pour le patient mais peut-être encore plus cruelle pour l’entourage. Je pense que ce sera un livre utile. J’ai été encouragé par la préfacière (NdlR: Dr Priyanka Beedassy, neurologue) parce que je parle beaucoup de médecine sans être médecin.
Même si on savait que la musique apaise, pour les malades d’Alzheimer, c’est crucial. Il a été établi que, quand on a perdu la mémoire, il reste la mémoire de la musique. Dans le cas de Solange, elle était fan de Cliff Richard. Aujourd’hui, elle l’écoute mais elle n’a plus le souvenir des moments où elle a découvert ces chansons. C’est ce qu’un neurologue appelle des «souvenirs sans mémoire». Ce qui reste, c’est l’émotion. C’est pourquoi il est totalement recommandé de vivre en musique. Un neurologue a dit que la musique c’est la bande sonore de notre vie.
Vous avez abordé cette maladie en journaliste, en réunissant une documentation fournie. Cela vous a aidé à prendre la mesure de ce que la science n’arrive pas encore à résoudre ?
Les grands laboratoires ne sont pas pressés de trouver un remède. Les recherches portent sur un médicament qui marche, à condition de détecter la maladie de manière précoce. Cela veut dire que l’on pourra vendre des médicaments pendant longtemps. On ne fait pas des recherches pour soigner ceux qui sont déjà malades et âgés.
L’une des caractéristiques de cette maladie c’est que l’on peut vivre longtemps avec. Mais chaque cas est unique. Si je me fie à son protocole, Solange est dans la septième étape de la maladie, mais elle n’a pas les symptômes qui y sont associés. Le cerveau conserve plein de ses mystères.
Sur un plan philosophique, cette documentation c’est pour accepter la mortalité de Solange et la vôtre ?
Je n’en sais rien. Ce livre ne parle pas de moi. J’y suis présent mais un présent souvent absent.
Solange vous appelle son «bon ami».
Ce qui m’a fait dire qu’un jour j’allais la redemander en mariage. Je raconte son histoire. Je suis comme un veuf mais qui a encore sa compagne.
La première fois que vous vous rendez compte que sa mémoire immédiate est éteinte remonte à 2011. Mais le diagnostic d’Alzheimer ne tombe qu’en 2018.
L’une des autres caractéristiques de cette maladie c’est qu’on la découvre tard. C’est ce que les neurologues appellent la période de pré-démence. Elle se manifeste par des oublis. Quand on est âgé, on oublie ses clés, ses lunettes. On ne fait pas le lien avec la maladie. J’ai vécu plusieurs signes qui auraient dû nous alerter mais à l’époque, je ne connaissais pas suffisamment la maladie. Je ne vais la découvrir qu’une fois que j’aurais la certitude que c’est de cela qu’il s’agit.
Un premier neurologue a fait un diagnostic qui, je le savais, était mauvais. Il a des circonstances atténuantes. Les neurologues utilisent plus ou moins le même questionnaire. Par un concours de circonstances, il a posé des questions liées aux chiffres. Solange a toujours été très forte en chiffres. Elle se rappelait des numéros de téléphone de tout l’annuaire.
Elle était votre comptable.
Elle s’occupait de tout. Elle était mon comptable, ma secrétaire. Quand on lui a posé des questions sur les chiffres, c’est revenu plus facilement. Mais le même questionnaire posé par un autre médecin à La Réunion a démontré avec certitude l’intensité de la maladie. Le diagnostic n’est pas facile, d’autant plus qu’il y a plusieurs types d’Alzheimer. C’est la raison pour laquelle, quand on découvre la maladie, il est déjà tard.
Qu’est-ce qui manque le plus dans le système de santé ?
D’abord, la formation des aides-soignantes. Nous vivons quand même dans un pays où nous trouvons des gens qui aident. En Europe, on envoie les malades en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantesparce qu’on ne trouve pas de soutien et si on en trouve, cela coûte les yeux de la tête.
À Madagascar, il y a des écoles d’aides-soignantes. J’ai fait une demande auprès d’une agence de recrutement. Il y a eu une présélection, je me suis rendu sur place pour faire des interviews et choisir une aide-soignante, qui est très bien. Elle a réussi à faire faire à Solange ce qu’une garde malade ne peut pas faire. Solange ne sortait plus de sa chambre pour aller dans le jardin alors que c’est elle qui a crée ce jardin. L’aide-soignante de Madagascar a réussi à la faire sortir deux fois par jour pour se promener dans le jardin. Tout le problème est là. C’est comment communiquer avec le malade. C’est extrêmement difficile, limité, mais on peut lui faire faire un certain nombre de choses si on a la manière.
Vous dites qu’il n’est pas question de placer Solange en maison de retraite. C’est une décision irrévocable ?
Tant que je le pourrais, oui. Les «homes» peuvent aider les parents qui ne peuvent pas faire autrement. On a beau dire, ce sont des espèces de mouroir. Je vais faire un «home», home.
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