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Inauguration
Agaléga se dévoile
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Inauguration
Agaléga se dévoile
L'ancien pont en face de la nouvelle jetée
Ça tangue, mais ça ne chavire pas… C’était l’ultime voyage du «Trochetia» vers Agaléga. À son retour, le mastodonte de fer, pesant 5 492 tonnes et qui mesure 107,87 mètres, ira à la cale sèche pour des rénovations. Ce dernier voyage n’est pas anodin. 141 passagers étaient à bord, nombre peu courant pour un tel voyage vers les îles éparses. Tous étaient en route pour participer – ou du moins assister – à l’inauguration des nouvelles infrastructures construites par l’Inde à Agaléga.
Sur le bateau se côtoyaient plusieurs groupes hétéroclites. Les unités de la police, dont la Special Mobile Force, la Special Support Unit, le Police Band, entre autres, cohabitaient avec des officiers de l’Outer Islands Development Corporation (OIDC) ou encore, le personnel de Fujiland, à qui reviendra la responsabilité de mettre en place les marquises et autres structures qui accueilleront les dignitaires. Le pont du «Trochetia»
La cinquantaine de cabines du Trochetia accueillaient aussi des journalistes, le personnel de Tatoo Catering, du personnel médical, dont le SAMU, ou encore, des techniciens en charge des camions de pompiers qui assureront le «water salute» lorsque l’ATR 72 atterrira demain, jeudi. Tout ce beau monde, qui ne se connaissait pas, ou très peu, a quitté Maurice sur le bateau dans la soirée de samedi et a passé plus de 48 heures ensemble. Sans internet.
La vie sans Wi-fi
Dès le départ, le ton est donné. À peine une demi-heure hors du port, il n’y a plus de connexion. Donc, pas un portable en vue dans le salon, où se réunissent les convives après le dîner. C’est d’ailleurs l’espace qui sera le plus fréquenté pendant tout le trajet. Une dizaine de tables, entourées de canapés disposés en demi-rond autour, sont occupées par des personnes qui ne se connaissaient pas une heure auparavant. Des parties de cartes, de dominos ou même de carrom commencent et se sont poursuivies pendant tout le trajet. Tantôt entre journalistes et employés de l’OIDC, tantôt entre policiers et service de catering. Ici, tout comme dans la salle à manger, le bruit des pas vers le bar, et même les pas de danse sur la piste de fortune qui se met en place dans la soirée, sont amortis par la moquette épaisse. Le décor est définitivement vintage.Le bar est recouvert de formica.
Çà et là, des fleurs artificielles sont la seule touche de couleur dans ces espaces aux tonalités qui étaient à la mode lors du lancement du Trocheria, en 2001, par Lady Sarojini Jugnauth et Paul Bérenger. D’ailleurs, à l’entrée de ce salon, une plaque commémorative le rappelle à tous les visiteurs. Les fenêtres carrées donnent une vue sur la mer jusqu’à l’horizon, sans rien qui dépasse.
Sur le bateau, la vie des passagers est rythmée par les heures de repas. Ainsi, tous se rencontrent dans la salle à manger entre 7 h 30 et 8 h 15 pour le petit-déjeuner. Le déjeuner est servi entre 11 heures et midi.Le thé, de 16 heures à 17 heures, est dans le salon et le dîner est de 19 heures à 20 heures. Entre, c’est soit au salon, soit sur les ponts que les groupes se forment. Les éternels jeux de cartes, avec en bruit de fond, un film. Bollywood ou Hollywood, récent ou passé, qu’importe. On n’y prête attention qu’à moitié, la conversation tournant autour de l’occupation professionnelle des nouvelles rencontres ou des jeux. Sur le pont, certains fument. D’autres prennent des photos. Le soir, le bar ouvre à 21 heures, et c’est à ce moment que l’ambiance monte. Les gajak sortent des valises et passent de table en table. Le barman est débordé. Entre le karaoké des uns et les pas de séga des autres, le bateau vit. Mais la fête ne dure jamais très longtemps, car tous doivent être en forme pour la suite du séjour.
L’antre du navire
Derrière ce fonctionnement se cachent ceux qui œuvrent pour que tout se passe bien. Il y a les stewards, qui prennent le service dès 6 heures pour l’organisation du petit-déjeuner. Après le service, ils passent au nettoyage des cabines. Actuellement, ils sont au nombre de huit, l’un d’eux ayant dû quitter le navire pour des raisons de santé.Après le nettoyage, ils ont un moment de repos avant d’entamer le reste de la journée : le service du déjeuner et du dîner. Avant eux, c’est en cuisine que cela se passe. «Normalement, sur le bateau, il y a un chef cuisinier. Mais comme nous avons beaucoup de passagers cette fois, il y a aussi deux assistants» explique Mahaleo Daniel Randrianaivo, le capitaine du Trochetia.
En cuisine, c’est à 5 heures que les fourneaux sont allumés. Les vapeurs émanant des différentes marmites constamment en ébullition n’aident pas. Le crépitement des feux est recouvert par la musique que Divesh Kumar Ramtohul, le chef, choisit pour l’accompagner lors de ses journées de travail. Après 16 ans dans les cuisines des navires, la chaleur ne le gêne plus. «Heureusement que la mer est calme», lâche-t-il. Car en cas de mer démontée, la situation est plus compliquée. Il faut tout sécuriser. «Mais peu importe la situation, on ne peut pas chômer. Il faut toujours mettre quelque chose sur la table.» Ce jour-là, il a prévu un sauté d’ourite pour les passagers. En cuisine donc, 10 livres d’ourite et 20 kg de riz doivent être prêts pour le déjeuner. Son second, Poorooshotam Pultee, qui a 15 ans de métier, acquiesce. Ne quittant pas ses marmites et louches des yeux, il confie qu’il a commencé sur le Mauritius Pride avant de passer sur le Trochetia et, à l’avenir, il espère pouvoir travailler dans la cuisine du Peros Banos.
Sous les cuisines se trouve l’antre du navire. La salle des machines. L’entrée est protégée par une lourde porte en fonte. Elle s’ouvre dans un grand crissement, laissant échapper une chaleur encore plus étouffante qu’en cuisine et des bruits métalliques incessants. «Ici, c’est le moteur principal», explique le capitaine. Tubes, cylindres, extracteurs et compresseurs forcent à hurler pour s’entendre. Plus loin, une cabine tout aussi vintage. Un téléphone filaire dont la sonnerie est indiquée par un voyant, des panneaux entiers de boutons et interrupteurs et des techniciens qui sont affairés à veiller que tout se passe bien. Le doyen ici est Marlon Achilles. Visage ridé par l’iode, lunettes vissées sur le nez et un bandeau sur son front, il annonce fièrement qu’il a commencé sa vie de marin à l’âge de 17 ans. Cette année, il soufflera ses 66 bougies, en mai. Dans le même souffle, il informe qu’il est, hélas, l’un des derniers marins mauriciens. «Je suis un dresseur de machines», dit-il, sans interruption. Son rôle est de superviser toute la machinerie qui fait marcher le bateau. «Lorsque quelque chose semble anormal, j’informe mon ingénieur, et il ira voir ce qui ne marche pas.»
«Maryé dan tar» ou père de triplés
Comment a-t-il fait pour passer tout ce temps en mer ? Il n’y a pas plusieurs explications. C’est la passion qu’il a pour son métier et la mer qui explique cette longévité. «Vous savez, tout le monde ne s’adapte pas à l’océan.» Quant à lui, il ne cherche pas d’explications à sa passion. Il la vit. «Depuis tout petit, je voulais naviguer. Mo pran sa kouma enn lavantir. Mo pann travay pou fer viv mo fami. Mo enn lavantirer.» D’ailleurs, son travail a fait qu’il s’est «maryé dan tar» et il n’a pas eu d’enfants. Mais cela ne le gêne pas, puisque son travail, c’est sa passion, ne cesse-t-il de répéter. Le bruit, la chaleur et tous les inconvénients, il ne s’en soucie guère. Malgré les réprimandes, il n’a jamais porté de casque et affirme que son ouïe n’en a pas souffert.
Cependant, sur le même navire, d’autres vivent d’autres réalités. Sandesh, steward âgé de 29 ans, est père de triplés depuis décembre. Ce sont ses premiers enfants, et malgré toute la joie qu’il éprouve, il n’a pas pu passer beaucoup de temps avec eux. Après une traversée aller-retour qui dure de dix à quinze jours, il ne passe que très peu de temps avec sa famille avant de repartir vers l’horizon. «À chaque fois que je vais à la maison après les sorties, mes enfants ont changé ! Ils grandissent très vite.» Ne souhaiterait-il pas une vie plus stable ? «J’ai déjà raté plusieurs événements importants. Je suis habitué», affirme-t-il, mais sans résignation. Sa famille est présente pour aider son épouse lorsqu’il n’est pas là. «Ce n’est pas une contrainte. Je fais cela pour que ma famille puisse vivre, pour que nous puissions avancer», dit Sandesh.
Débarquement sous la pluie Le «MV Trochetia» est arrivé à Agaléga hier sous la pluie. Malgré la météo peu clémente, le débarquement s'est fait normalement. Sur la jetée, c'était l'agitation. Les grues tournoyaient pour débarquer les conteneurs, véhicules et autres cargaisons. Par ailleurs, le «Barracuda» est arrivé au même moment avec d'autres policiers venus également pour les cérémonies de jeudi.
Revenant sur la polémique concernant la descente des passagers en panier, le capitaine a fait savoir que cette méthode est utilisée lorsque la mer est très démontée et que le navire n'arrive pas à s'approcher de la jetée ou que le bateau tangue trop pour que la passerelle soit stable. Cette technique, dit-il, est utilisée partout, surtout sur les plateformes pétrolières.
Seewanand Norungee : «une fierté »
Le «General Manager» de l’OIDC Seewanand Norungee, explique que malgré la crise du Covid et les intempéries récentes à Maurice et à Agaléga, tout est fin prêt pour l’inauguration, demain. Selon lui, l'atterrissage d'hier marque l'histoire d'Agaléga. Dans la foulée, il a tenu à remercier le Premier ministre et le gouvernement indien. Quant aux vols commerciaux, demandés par les habitants de l'île, il explique qu'il n'y a pas encore de plan établi mais que cela viendra.
«Gete ek lizie trouve enn baz militer»
Billy Henry : «Le développement bénéficie à qui ?»
Billy Henri, 26 ans, est un Agaléen, né de mère chagossienne et père agaléen. S’il accueille la liaison aérienne avec joie, il se demande cependant pourquoi les habitants sont toujours les derniers à savoir ce qui se passe. Concernant les infrastructures, il est catégorique : «Gete ek lizie trouve enn baz militer. Akoz ici mem inn ena pli gran airport dan losean indien.» De plus, il estime que les habitants sont délaissés.«On a une jetée et une piste d’atterrissage alors qu’on a toujours un système de santé délabré. Au collège, il y a plusieurs matières non disponibles. La nourriture est restreinte. Ou rod enn coca ou pa gagne. Be ki developman? Pou kisanla?»
Premier atterrissage d’un ATR 72
L’événement est exceptionnel. C’est la première fois qu’un ATR a atterri à Agaléga et ce, sur la nouvelle piste. Cet avion transporte des dignitaires, y compris le General Manager de l’OIDC. Ils participeront à la cérémonie de demain. Pour l’occasion, l’espace a été ouvert aux habitants, qui sont venus en grand nombre assister à l’événement. Les élèves, en pause déjeuner, sont de la partie.
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Centre de La Fourche qui accueillera une partie du contingent. Le reste résidera au Guest house à Vingt-Cinq. En temps normal, c'est un centre à la disposition des habitants pour des rencontres et fêtes.
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Guy Henri, un habitant, explique que ce jour marque un tournant pour Agaléga, car cela laisse entrevoir une possibilité pour le développement touristique de l’île. Cependant, il rappelle que les polémiques et craintes ne sont pas choses du passé, car les habitants souhaitent quand même que les espaces restent accessibles et que les infrastructures soient à leur disposition. «Le paysage a certes changé, mais la vie ici est toujours la même.»
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