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Portrait

Ali Soliman: le photographe à la recherche de l’authenticité

22 avril 2024, 22:12

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Ali Soliman: le photographe à la recherche de l’authenticité

Il était de nouveau derrière l’objectif, toujours en tant que photographe documentaliste. Ali Soliman a collaboré avec la National Social Inclusion Foundation (NSIF) pour un livre documentant les raisons qui avaient poussé le ministère de la Sécurité sociale à lancer le programme Fortified Learning Environment (FLE) en 2020 et, par la même occasion, à expliquer le projet. Le photographe revient sur ces mois de travail où il a dû retourner sur les bancs de l’école, le tout dans sa quête éternelle d’authenticité.

L’année dernière, Ali Soliman avait été sollicité pour le livre marquant les 100 ans de l’hôpital Victoria, où il avait photographié la réalité des patients et du personnel. Le projet de cette année était différent : montrer la réalité de ces enfants pour lesquels le FLE avait été mis en place et la passion des enseignants. Ce projet a présenté plusieurs défis. Tout d’abord, ces enfants vivent dans un monde connecté. Le premier défi était de leur expliquer le projet. «En voyant un appareil, ils avaient tendance à poser. Pour eux, la photo était une affaire personnelle, pour se mettre en valeur et poster en ligne. Certes, le but était de les mettre en valeur, mais dans un contexte spécifique. Il fallait montrer comment ils sont dans leur milieu scolaire, comment ce système fonctionne et comment ils sont chez eux.»

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Cela a pris du temps, soutient le photographe. Il a fallu gagner leur confiance, s’asseoir à leurs côtés en classe, apprendre avec eux. «Il ne s’agissait pas de faire semblant. Il a vraiment fallu désapprendre tout ce que je savais pour réapprendre avec eux. Sinon, je n’allais pas savoir ce que je devais moi-même montrer.» Dans ces classes, les techniques d’enseignement sont différentes. Il est ici question d’enfants avec des troubles d’apprentissage. Tout était visuel et ludique. Apprendre à compter passait par des dessins. Les couleurs se faisaient avec des briques multicolores. Ou encore, utiliser les centres d’intérêts des enfants, comme le football ou le domino, pour leur apprendre les formules mathématiques simples.

Cela n’a pas été une mince affaire. Tout d’abord parce qu’en tant que photographe, il était l’étranger qui perturbait les classes à chaque fois. «C’était difficile de gagner la confiance des enfants.» Il aura fallu passer plusieurs jours avec eux pour qu’ils se lâchent. Puis, il s’agissait d’enfants de tous âges, de la maternelle au secondaire, et tous fonctionnent différemment. «Par exemple, à la maternelle, il fallait déjà comprendre ce qu’ils voulaient dire et faire comme eux. Jouer et faire des caprices. Au primaire, j’ai eu une discussion avec eux sur la manière de tenir le stylo.»

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Par ailleurs, avance Ali Soliman, au secondaire, «les enfants étaient déjà plus conscients de la photographie. Donc, leur faire oublier l’objectif était difficile». Ici, il a fallu trouver d’autres techniques : faire des devoirs avec eux, leur demander de lui expliquer comment ils faisaient pour avoir leurs réponses… Il a tout fait. «Mais avant tout, il a fallu parler aux enseignants pour comprendre chaque enfant de la classe. Qui était timide, qui parlait beaucoup, comment interagir avec ceux qui ont des problèmes…» Une fois dans leur monde, c’était plus simple. Les enfants venaient vers lui d’eux-mêmes et lui expliquaient ce que «miss fek dir». Quant aux adultes impliqués dans le projet, ils étaient tous animés de la même passion, ce qui a rendu son travail un peu plus simple.

L’exercice ne s’est pas fait uniquement dans les écoles. Il s’est aussi déplacé dans plusieurs régions où les enfants du programme résident. Là, c’était une autre réalité. «Au début, il y avait de la timidité, voire une distance. Ils ne me faisaient pas confiance. J’ai par la suite réalisé que la barrière était moi. Il a fallu que je m’adapte, que j’aie de l’empathie et que j’entre dans leur réalité.» Dans certaines régions, il y avait des secteurs à éviter. Ou des «grands» auprès de qui il ne fallait pas s’aventurer. D’autres qui lâchaient les chiens lorsqu’ils voyaient un inconnu avec un appareil photo. Ou ces enfants qui venaient vers lui, avec des emballages de chewing-gum en alu sur les dents pour imiter les «grands» du quartier. «Ce sont des réalités qu’on ne peut pas nier et il était important d’être avec eux là-bas», explique le photographe.

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Pour ces photos, il a délibérément choisi de les garder au naturel. Par exemple, les murs des écoles n’ont pas été retouchés. «Parce qu’il n’y a pas une école à Maurice où les murs sont immaculés. C’est la raison pour laquelle les photos posées n’étaient pas appropriées. Il fallait capturer l’essence de leurs vies. Il fallait comprendre comment, le soir, ils sortent en cachette pour ‘kas enn poz’ avant de rentrer. Il fallait les voir courir en voyant les chiens. Ici, il fallait de l’authenticité pour que les photos parlent.» Il lui aura fallu trois mois pour finalement obtenir la série de photos qu’il souhaitait.

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Au fil de la conversation, le photographe laisse échapper la vraie raison qui l’a poussé à accepter ce projet. «Cela représente une chance que moi je n’avais pas eue. J’éprouvais des difficultés à l’école, surtout en mathématiques, et à l’époque, j’étais obligé de rester dans une classe qui n’était pas forcément adaptée.»


L’objectif du FLE

Selon le livre, destiné aux enseignants, étudiants et chercheurs, le FLE est un programme qui vise à créer les conditions pour une plus grande justice sociale. L’ouvrage fait ressortir qu’à Maurice, malgré le fait que l’éducation soit gratuite, le statut socio-économique de la famille a un impact sur la réussite scolaire d’un enfant et que tous ne sont pas égaux face aux risques d’échec. Alors que le sujet est toujours tabou, ce livre aborde la problématique de la ségrégation résidentielle, qui entraîne un écart massif entre le nombre de mots entendus par les enfants, selon leur milieu social, avant d’entamer la scolarité. Ou encore, le poids de l’origine sociale dans les résultats scolaires. Il est aussi question des inégalités sociales, qui existaient déjà avant l’ère de l’éducation obligatoire, et qu’au fil des ans, l’école a mises en lumière.

La stigmatisation y est aussi abordée et le constat que les enfants de certains milieux sont souvent confrontés à la discrimination et aux préjugés et qu’ils sont plus sévèrement disciplinés, étiquetés comme étant difficiles à enseigner. Toutes ces raisons ont poussé la NSIF à mettre en place la FLE Unit, chargée de repenser la qualité de l’éducation donnée à ces enfants afin qu’ils ne finissent pas le cycle scolaire sans acquérir les compétences fondamentales en littératie et numératie nécessaires pour réussir. Au-delà de la formation académique, le FLE vise aussi à développer la résilience et l’équilibre émotionnel de l’enfant afin de mieux l’armer pour affronter les défis auxquels il sera confronté tout au long de sa vie. Le programme prend aussi en compte le milieu où l’enfant vit afin qu’il n’y ait pas de discordance dans le parcours. Cette stratégie intégrée vise à améliorer les conditions éducatives des jeunes vulnérables tout en créant un équilibre entre le développement économique et social.