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Stefan de Cazanove
Après deux ans en détention, l’artiste retrouve les petits bonheurs
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Stefan de Cazanove
Après deux ans en détention, l’artiste retrouve les petits bonheurs
Stefan de Cazanove à l’œuvre.
Au cœur de l’ambiance calme qui règne dans le voisinage, on entend le son de la machine et des outils de menuiserie. Dans son humble demeure, à Quatre-Bornes, des morceaux de bois raffinés sont en train d’être transformés en œuvres d’art et la magie de Noël est au rendez-vous. «Je vais enfin installer et décorer l’arbre de Noël ce soir, et j’espère passer des moments simples mais mémorables avec ma famille dans les jours à venir», dit-il. Un an après sa libération sous caution, c’est la résilience, les petites victoires, la joie et surtout la paix qui règnent chez Stefan de Cazanove en cette période festive.
Pour rappel, l’homme de 38 ans, artiste et étudiant en droit, avait été arrêté et détenu arbitrairement, le 22 septembre 2020, par des policiers de l’Anti Drug And Smuggling Unit (ADSU) sous deux chefs d’inculpation de trafic de cannabinoïdes synthétiques. Son cas avait fait la une de l’express en septembre 2022, après que nous avons obtenu les lettres de Stefan de Cazanove et mené une enquête.
Par la suite, de nombreuses lacunes ont été relevées dans cette affaire : ses proches nous ont confié leurs témoignages et Stefan lui-même, dans ses lettres, avait détaillé son vécu. En septembre 2020, quatre officiers auraient fait irruption dans sa maison sans mandat et auraient démantelé l’une des caméras de vidéosurveillance, avant de le forcer à prendre place dans leur véhicule pour une parade d’identification. Cela, par rapport à un incident datant de 2019 survenu devant un bar à proximité de son domicile, dans lequel la police cherchait à savoir s’il était impliqué. Cependant, Stefan de Cazanove aurait été menotté et emmené dans les locaux de l’ADSU à l’aéroport, où il aurait été arrêté et informé qu’il était soupçonné de trafic de drogue à deux occasions.
En revanche, sa famille et lui-même, comme il le dit dans ses lettres, ont toujours maintenu qu’il avait effectivement commandé des produits chimiques –paint additives obtained online– pour ses œuvres d’art. Les lettres de Stefan de Cazanove font mention des éléments incriminants, tels que des insinuations raciales, des menaces, le chantage psychologique et des pressions pour signer des aveux. Devant son refus, les officiers auraient demandé à une policière de préparer un mandat et il aurait été incarcéré dans un poste de police. Ensuite, ses allers-retours à la Bail and Remand Court et sa détention préventive à la prison de Beau-Bassin ont duré plus de deux ans.
Plusieurs aspects troublants ont également été révélés dans cette affaire : l’absence répétitive de l’enquêteur de l’ADSU concerné au tribunal, pas de preuve confirmée et de charges formelles pendant deux ans, mais pas de liberté provisoire. Des lettres ont aussi été adressées à l’ Independent Police Complaints Commission à ce sujet.
Par ailleurs, à la suite de notre enquête publiée en septembre 2022, Stefan de Cazanove a finalement été libéré à la fin de l’année dernière, après avoir fourni une caution de Rs 50 000 – le montant de la caution initiale de Rs 350 000 ayant été revu à la baisse après un appel devant le tribunal. Des accusations formelles ont également été logées contre lui en Cour suprême, pour lesquelles il plaide non coupable. Le procès aura lieu en juillet 2024.
Pour Stefan de Cazanove, dessiner était devenu plus qu’un passe-temps ou une profession ; c’était une thérapie à la prison.
Trauma, stigmatisation et préjugés quotidiens
«Le parcours de cette année n’a pas été facile, surtout lorsqu’il s’agissait de faire face à la stigmatisation et aux préjugés quotidiens. Malgré la présomption d’innocence, je ne peux pas, par exemple, trouver un bon emploi dans une entreprise où je recevrai un salaire mensuel fixe car je sors de prison. Aux yeux de beaucoup de gens, je suis déjà considéré comme inapte à vivre dans notre société. Je me suis donc contenté de travaux manuels, tels que la peinture, sur le chantier à la journée et la réparation de pare-brise de véhicules. J’ai également effectué du travail manuel dans l’atelier d’un commerce où je faisais de la menuiserie. Mais, avec le temps, j’ai arrêté parce qu’on m’a demandé de faire des heures supplémentaires. Et je devais rentrer chez moi avant l’heure du couvre-feu pour respecter les conditions de la liberté sous caution. J’ai réussi à gagner juste suffisamment d’argent pour investir dans mon propre petit boulot et dans quelques dépenses personnelles. J’ai recommencé à faire mes œuvres d’art et je fabrique des chandeliers en bois sur commande», confie Stefan.
Parmi ses créations, au sein de son petit «work station» qu’il a lui-même bâti à son domicile, on aperçoit un chandelier en bois en cours de création pour un client, et un portrait du dieu Ganesh. «L’idée du portrait m’est venue lorsque j’étais avec un ami que je connais depuis l’enfance et qui m’a beaucoup soutenu. Il construisait un petit temple chez lui et je me suis dit que j’allais le lui offrir de tout cœur», raconte-t-il.
Le travail étant susceptible d’augmenter, c’est l’occasion pour la famille de rattraper le temps perdu au cours de ces dernières années. «Mon père et mon frère m’aident et cela nous permet de passer beaucoup de temps ensemble.» La joie des festivités semble enfin être au rendez-vous. «Depuis 2020, nous vivons dans un état d’abîme, sans faire la fête ni donner un sens à quoi que ce soit. Après trois ans, nous pouvons enfin préparer la période de fin d’année et en profiter à l’avance. Ceci nous rappelle à quel point la famille et les choses simples sont importantes», confie un proche.
Stefan de Cazanove a également pu reprendre ses études en droit, qu’il avait interrompues à la suite de son arrestation. Ce, malgré les nombreuses difficultés qu’il a rencontrées pour surmonter des problèmes de santé physique, émotionnelle et psychologique après sa libération. «Il m’a fallu du temps pour m’adapter à la nourriture de la maison et je suis tombé malade. Je faisais également des cauchemars et il m’arrivait de me réveiller en pensant que j’étais en prison. Sur le plan émotionnel, je m’étais appris à oublier toute émotion pour me protéger. Lorsque quelqu’un était gentil avec moi après ma libération, j’étais paranoïaque et je me demandais s’il avait l’intention de me faire du mal… C’était comme si la notion de ce qui est normal avait changé…» dit-il.
«J’ai mis beaucoup de temps à me sentir à nouveau comme une personne ’normale’. Auparavant, je suivais des cours de droit à distance de l’université Northumbria, au Royaume-Uni. Lorsque j’ai repris mes études dans une université d’ici cette année, j’ai dû reprendre dès le début pour pouvoir me réintégrer. J’effectue également un apprentissage en droit. Mes passions et mes thérapies restent l’art, la poésie, l’écriture et le droit, qui m’ont aidé, même lorsque j’étais détenu.»
Foi, rêves, vérité et paix
En pleine réflexion, alors qu’il nous parle, Stefan de Cazanove rappelle ce que représentait Noël lorsqu’il était en prison. «Nous avions droit à une visite familiale supplémentaire pendant la saison. J’aimais beaucoup ça. Mais le plus dur…», dit-il, prenant une pause. Quelques larmes coulent. Après quelques minutes, il reprend son courage à deux mains pour continuer à nous relater son vécu : «...c’était le lieu de visite où je pouvais voir mes proches. La seule chose qui nous séparait était une vitre de trois millimètres d’épaisseur. Ils plaçaient leurs mains d’un côté et moi de l’autre, pour nous réconforter. Nous ne pouvions pas nous entendre et devions nous parler au téléphone», raconte-t-il.
Si l’année dernière, Noël a été un moment où il a pris le temps de gérer ses émotions et le post-traumatisme lié à l’emprisonnement, cette année, il s’agit plutôt de stabilité psychologique et émotionnelle, de paix, d’unité et surtout de prendre conscience des bonheurs simples de la vie. «J’ai réalisé que la vraie richesse, c’est la famille. Je porte cette réflexion avec moi tous les jours. Noël nous offre la possibilité d’être humbles et de traiter tout le monde sur un pied d’égalité, en tant qu’êtres humains, car la bonté de dieu est pour tout le monde. L’année prochaine peut apporter son lot de possibilités et de craintes, mais je garde foi en Dieu ainsi que confiance dans le judiciaire. J’espère voir ma vérité triompher et réaliser mes rêves. Je souhaite la paix à tous», conclut Stefan de Cazanove.
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