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Nathalia Vadamootoo, administrateur public et polémiste: «Maurice est un pays en voie de sous-développement»

1 mai 2014, 18:59

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Nathalia Vadamootoo, administrateur public et polémiste: «Maurice est un pays en voie de sous-développement»

Née ici, évaporée deux décennies en Colombie, Nathalia Vadamootoo, 38 ans, n’a pas fait le voyage inverse pour rien. Rencontre avec une aventurière anarchiste…

 

Qu’est-ce qu’une Mauricienne à l’enfance colombienne revient chercher dans son pays ?

Le changement, le besoin de me mettre en danger. La Colombie est l’un des meilleurs pays du monde. J’ai construit là-bas une vie sûre, confortable et verdoyante. Jusqu’au jour où je me suis dit que je ne connaissais rien du reste du monde. J’avais 25 ans, un fils de 5 ans et des rêves d’Afrique plein la tête. J’ai fait nos valises et nous sommes partis.

 

Comment se sont passées les retrouvailles avec Maurice?

La première impression a été douce : les tropiques, le soleil, la plage, d’autres proportions – Bogotá, c’est 12 millions d’habitants. J’ai loué une petite maison à Baie-du-Tombeau, on s’y est installés avec mon garçon et c’était parti. Je vivais de débrouillardise, quelques cours de salsa ou d’espagnol par-ci par-là. Très vite, je me suis ennuyée. Faire du shopping, rendre visite à la famille, et après ? Je me disais : « Comment les gens ne se rendent pas compte qu’il manque quelque chose ? » Aujourd’hui encore, je trouve la vie mauricienne ennuyeuse.

 

Pourquoi êtes-vous restée ?

Parce que j’ai trouvé la parade : j’ai transformé ma maison en centre culturel et j’y organise des fêtes tout le temps (rire).

 

Votre CV raconte que vous n’avez pas juste fait la fête ces dernières années…

Il dit vrai.

 

L’enseignement, les Nations unies, la lutte contre la pauvreté, la diététique, le cinéma… et même une campagne électorale…

 

C’était en 2010 dans ma circonscription [Port-Louis- Nord/Montagne-Longue, n°4, ndlr]. Je serai à nouveau candidate en 2015, toujours en indépendante. Il y a trop d’avocats au Parlement. Où est la diversité ? Ou sont les artistes, les sociologues, les géographes ? Le Parlement est une annexe du Bar Council. C’est très mauricien : les hommes de loi font la pluie et le beau temps dans ce pays.

 

Aujourd’hui, vous conseillez les entreprises en gestion de crise. Est-ce que le MMM fait partie de vos clients ?

Non, et ça ne risque pas d’arriver : les partis politiques sont dans le déni de leurs problèmes.

 

Quel regard la polémiste et spécialiste en administration publique [sa formation initiale, ndlr] porte-t-elle sur le psychodrame autour de la réforme électorale ?

C’est du divertissement. MM. Ramgoolam et Bérenger distraient le peuple et le manipulent. Pendant ce temps-là, personne ne leur pose les vraies questions. Tout cela est très calculé, il n’y a pas d’improvisation. Par exemple, faire croire à de possibles élections en juin était une mise en scène. Ils sont très forts pour ça.

 

Jeudi, vous serez à l’Université populaire pour animer une conférence-débat sur l’Etat. « C’est une machine qui nous écrase dès l’enfance », dites-vous dans le teaser…

Ça commence à l’école. Feuilletez des livres scolaires et comparez-les à ceux du système français, c’est dramatique : on dirait que le ministère de l’Education prend les enfants mauriciens pour des attardés. Notre système éducatif sous-exploite l’intellect des citoyens dès leur plus jeune âge. On endort leur créativité pour fabriquer les bons moutons dont l’Etat a besoin. Il n’est pas le seul, la publicité aussi mise dessus. Ils ont réussi à nous faire croire que le développement, c’est le fait de pouvoir encombrer son caddie d’objets inutiles. Maurice, en ce sens, est un pays en voie de sous-développement. Mais je vous rassure, c’est pareil en Colombie.

 

Auriez-vous grandi au biberon Ashok Soubron ?

Certainement pas. Ashok est un agent du secteur privé, comme Jeff Lingaya ou d’autres imposteurs qui se font passer pour les défenseurs du « petit peuple ». Ces gens-là se battent pour leur chasse gardée avant tout. Ashok est considéré comme un héros de la lutte syndicale, mais quand on se renseigne sur ce qu’il a obtenu comme accord, on se dit qu’il se fout de nous. Pour moi, c’est un faux héros qui fait le jeu des patrons.

 

Et vous, ça vous plaît de jouer les grandes gueules ?

Je ne joue pas. J’ai un problème avec l’autorité. Je ne pense pas que l’on ait besoin d’obéir à des règles, à un leader ou à un guide pour pouvoir vivre.

 

Vive l’anarchie ?

L’anarchie n’est pas l’absence de règles. Il y en a, ce sont les vôtres, celles que vous avez inventées et qui vous permettent de vivre avec les autres. Quand on parle d’anarchiste, on imagine quelqu’un en train d’incendier des voitures. Ça, c’est un chômeur, quelqu’un qui s’ennuie, pas un anarchiste.

 

Revenons à votre propos sur l’Etat. Ce mot est souvent synonyme de gouvernement dans la tête des gens…

C’est vrai, les Mauriciens font cette confusion. L’autre jour, la voiture d’un ministre a percuté la mienne (on coupe)

 

Florent, ce n’est pas drôle, enlève ton masque !

(Rire) Non, ce n’était pas Yatin Varma, c’était une femme. Elle est restée à l’intérieur, son chauffeur est descendu : « C’est une voiture du gouvernement, vous n’avez rien, alors on dit qu’il ne s’est rien passé, d’accord ? » Là, je lui explique : « Monsieur, c’est une voiture de l’Etat achetée avec les deniers publics ». L’Etat, c’est un peuple, un territoire et une infrastructure. Le gouvernement, lui, est choisi par ce peuple pour diriger ce territoire un temps donné, ce sont deux choses distinctes.

 

Vous dites aussi que la peur est un ressort majeur de l’exercice du pouvoir de l’Etat…

La peur commence à la maison. Il faut avoir peur du père, puis du professeur et de l’examen. La construction de l’existence mauricienne est basée sur la peur.

 

Faut-il avoir peur de vous ?

Evidemment. Si vous m’écoutez, vous réaliserez que vous avez construit une existence très obéissante. Cela risque d’être déstabilisant.

 

Vos travaux de recherche sur la fonction publique le sont aussi…

Nous avons hérité du modèle que la Couronne britannique a mis en place pour nous. Ce que l’on sait moins, c’est que ce modèle n’a rien à voir avec celui pratiqué en Grande-Bretagne. Ici, nous avons hérité d’un système simplifié pour la colonie, et qui prenait en compte exclusivement les besoins de productivité de l’époque. La Grande-Bretagne, elle, possède une administration beaucoup plus axée sur le bien-être des citoyens.

 

Le bien-être ?

Oui. Quand j’étais étudiante en public administration, le premier jour, le doyen de l’université nous a dit : « Vous êtes ici pour une chose : le bien-être des Colombiens. » A Maurice, les hauts fonctionnaires ne sont pas là pour le bien-être de la population. Ils sont craints et ils ont un complexe de supériorité. Pour eux, tout ce qui n’appartient pas à leur « caste » constitue une sous-catégorie de citoyens. Un Mauricien lambda ne communique pas d’égal à égal avec un fonctionnaire. Pourtant, son métier est de nous servir.

 

Ça vous dirait un petit contrôle fiscal ?

Je me fiche de me faire détester. La liste est déjà longue, alors un de plus (rire). Je refuse d’être ce que l’on attend des Mauriciennes.

 

On en attend quoi ?

Politesse, délicatesse, douceur. Notre système patriarcal est puissant. La bonne posture de la petite femme bien sage, bien polie, bien tranquille... Je revendique le droit de ne pas rendre les sourires, d’être impolie et de désobéir. Si j’ai une question dérangeante, je la pose. C’est pour ça que j’aimerais entrer au Parlement, pour interroger ceux qui nous gouvernent.

 

Si le Premier ministre débarquait, là, maintenant, quelle question lui poseriez-vous ?

Comment vous et votre parti sont-ils financés ? Pouvez- vous nous donner la liste de vos « banquiers » ?

 

Et au leader de l’opposition ?

La même. A partir du moment où l’on sait qui finance qui, le jeu politique s’éclaircit, on comprend mieux qui dirige le pays. L’Etat, ce n’est plus nous. Les décideurs politiques sont redevables auprès de leurs financeurs avant de l’être auprès des électeurs, et ça change tout. Je me suis fait expliquer le système par une personnalité influente du secteur sucrier. Cet homme me disait : « Evidemment que l’on paie. Ensuite, quand il faudra élargir les routes pour que nos camions puissent passer, on saura à qui s’adresser. (Elle claque des doigts) Anil, Navin, venez un coup, j’ai besoin de vous. » Voilà comment ça se passe.

 

Les retours d’ascenseur vous donnent mal au coeur ?

Non, c’est plus profond. MM. Ramgoolam et Bérenger ne dirigent pas l’île Maurice, ils ont un patron qui s’appelle le secteur privé. Quand Tim Taylor dit dans l’express qu’« une alliance entre le Parti travailliste et le MMM sera bénéfique au pays»,  il est en plein dans son rôle. D’habitude ce genre de « conseil » est distillé plus discrètement, autour d’un golf ou d’un verre de whisky. C’est pareil en Colombie et dans toutes les économies contrôlées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international : le pouvoir économique siège chez le pouvoir politique. Les décideurs se soutiennent, c’est du mutualisme. Les capitaines d’industrie ont leurs millions à faire dans leurs entreprises, alors ils délèguent : « Va, Navin. Va prendre les coups pour nous. Va t’occuper du peuple et gérer les hôpitaux qui sont sales. Nous te subventionnerons généreusement et on t’appellera quand on aura besoin de toi ». Des familles entières ont amassé des fortunes comme ça, et tout à fait légalement. Prenez Arvin Boolell, il n’y a pas plus discret. Cet homme est un nuage, un fantôme. Quand on met le nez dans ses affaires, on comprend mieux pourquoi il reste tranquille.

 

Et vous, comment financerez-vous votre campagne ?

En faisant des vide-greniers. Les gens me donnent les objets qu’ils veulent jeter et je les vends. Avec ça, je paie mon essence pour rouler dans la n°4. Je suis tombée amoureuse de cette circonscription. Au bout de Vallée-des-Prêtres,

en passant par Caroline, je ferme les yeux. Arrivée à Chitrakoot, je les rouvre : je suis en Colombie ! (Large sourire)

 

Rappelez-nous votre score en 2010, madame l’amoureuse…

J’ai parlé à 120 personnes, j’ai eu 80 voix, es un buen goal, no ? (Rire) A la limite, que l’on vote pour moi est secondaire. Ce que je veux faire, c’est créer une plate-forme d’entraide pour les candidats indépendants. Les anticonformistes qui veulent participer à la construction d’une société meilleure doivent pouvoir exister.

 

Etes-vous heureuse à Maurice ?

Oui, parce que je peux participer à la construction du pays. Etre candidate aux élections en Colombie, c’est impossible. Maurice est plus petit, tout le monde peut agir politiquement, bien au-delà de voter pour les rouges ou les mauves. Et puis, il faut être heureux là ou vous êtes, avec ce que vous avez. « Tout le monde veut vivre au sommet de la montagne, sans soupçonner que le vrai bonheur est dans la manière de gravir la pente », disait García Márquez. C’est tellement vrai. Maintenant, si pour être heureux, il faut avoir une Rolex, une Rolls-Royce, et croire que l’on a la classe, ça complique les choses. (Ironique) Pauvre petit homme à qui personne ne dit qu’il a de la classe. Du coup, il est obligé de le dire lui-même. Ça m’a fait de la peine, sincèrement. J’ai presque eu pitié de ce monsieur.

 

Vous avez cité plusieurs fois García Márquez. Avec sa disparition, qu’est-ce que la Colombie a perdu ?

Un écrivain unique, tellement différent, un courant à lui tout seul. Il n’y a pas d’école García Márquez en Colombie. Ce grand homme est parti avec son génie, il a disparu avec son trésor.


SES DATES

●1976. Naissance à Quatre-Bornes

●1980. Départ pour la Colombie

●2000. Diplômée de l’Ecole supérieure d’administration publique de Bogotá

●2001. Consultante pour l’Union européenne

●2002. Retour à Maurice

●2006. « Maurice, paradis sans ange » (documentaire)

●2007. Enseignante au Lycée des Mascareignes

●2009. Ouvre un restaurant diététique.

● 2010. Candidate aux élections générales