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Sir Victor Glover : « Les rédacteurs d’une loi sont aux ordres des princes »

7 juin 2014, 00:35

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Sir Victor Glover : « Les rédacteurs d’une loi sont aux ordres des princes »

Mercredi, le « rédacteur en chef » du projet de loi sur la réforme électorale a remis la copie finale au Premier ministre. Retour sur vingt jours de « plaisir », d’« angles à arrondir » et de bains de mer ajournés.

 

 

Vous semblez soulagé…

(Enthousiaste) Et comment ! Ça y est, on a terminé. Depuis mercredi, je peux enfin me concentrer sur autre chose, je n’ai plus à penser matin, midi et soir à la réforme électorale. La quatrième mouture a été la bonne. Je crois que c’est un des projets de loi les plus compliqués que j’ai eu à rédiger. Il a fallu arrondir beaucoup d’angles...

 

Etait-ce une corvée ?

Oh non ! Ecrire des lois est mon violon d’Ingres, j’y prends toujours beaucoup de plaisir.

 

Votre épouse un peu moins, paraît-il.

(Rire) C’est vrai qu’elle m’a moins vu ces dernières semaines. Même le week-end, à notre campement, j’étais moins disponible. Mon épouse vous dira que son mari apprécie les bains de mer, mais qu’il aime par-dessus tout s’asseoir à une table et avoir un texte de loi à rédiger !

 

Qu’est-ce qui pourrait nous surprendre dans celui que vous venez de remettre au Premier ministre ?

Sa brièveté, peut-être. Le texte tient sur une dizaine de pages seulement. Certaines clauses risquent de paraître compliquées. On a essayé d’utiliser le langage le plus simple possible mais nous n’y sommes pas toujours parvenus. Un profane qui découvrirait le texte s’y casserait probablement les dents. J’espère que le commissaire électoral aura la bonne idée de publier des guidelines. Ce serait bien d’avoir une version vulgarisée.

 

Aidez-le. Quand votre arrière petit-fils vous demandera « Dis papy, ça sert à quoi une réforme électorale?», vous lui répondrez quoi ?

Ah ! (Longue réflexion en se grattant le menton) Je lui expliquerai queça sert à changer la manière de voterpour ceux qui nous représentent, etque ce changement était voulu parbeaucoup de gens.

 

Et c’est toi papy qui a écrit ce changement ?

(Il se prête au jeu avec bienveillance) Eh bien oui, j’étais le principal responsablepour rédiger la nouvelleloi. Tout simplement parce que jeconseille l’Attorney General sur la rédactiondes lois depuis 1996. Je neles écris pas toutes, on fait appel à moi lorsqu’il s’agit d’un texte importantqui demande plus de réflexion,plus d’attention sur les unintended consequences.

 

Il vient de décrocher, le gamin...

Oh non ! Avec le développement des jeunes d’aujourd’hui, je suis certain qu’il a tout compris !

 

Sans entrer dans sa technicité, en quoi ce projet de loi est-il « révolutionnaire » ?

Il dit deux choses. D’une part, il précise qu’au moins un député sur trois doit être une députée. D’autre part, il modifie le système des additional seats. Il n’y a plus vraiment de Best Loser System (BLS), le nouveau texte ne parle pas de communautés. Ce qui doit être assuré, c’est la représentation proportionnelle de tous les partis politiques.

 

Vous disiez au départ que ce texte pouvait être finalisé en deux jours, or il en fallu vingt…

Pour une raison bien simple : MM. Ramgoolam et Bérenger n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur certaines points. Ils avaient discuté des grandes lignes mais pas de tous les détails. Au fil des jours, des problèmes ont surgit.

 

Qu’est-ce qui vous a donné le plus de fils à retordre ?

Le 60-0. Les deux grands partis souhaitaient qu’il y ait une opposition. D’accord, mais comment fait-on ? Ils nous ont proposé une formule. Oui, mais si vous faites comme ça, vous aurez un problème ici… Nous avons pas mal tergiversé avant de trouver un système qui assure la présence d’au moins sept députés de l’opposition en cas de 60-0.

 

Quel a été précisément votre rôle ?

Je suis intervenu dans le choix des mots, la formulation, la ponctuation, les cross references. Je me suis assuré que le langage utilisé reflétait exactement la pensée des politiciens.

 

Vous êtes une secrétaire de luxe, en fait…

(Rire) Je dirais que… (Il cherche ses mots). Secrétaire de luxe, oui, sivous voulez. Mais ça se passe toujourscomme ça quand vous rédigezune loi, vous traduisez en langage juridiquele voeu des politiques. Si vous tenez à me coller une étiquette de secrétairede luxe, ça ne me dérangepas, mais je ne me vois pas vraimentcomme ça (amusé).

 

Vous vous voyez comment ?

Comme un de ceux qui ont mis en mots une réforme importante pour le pays.

 

Et d’être le « témoin de mariage » de MM. Bérenger et Ramgoolam, ça vous dérange ?

Oh, quand même ! Ce texte voit beaucoup plus loin. J’espère qu’il sera toujours là dans 50 ans. L’alliance dont vous parlez, elle, durera peut-être cinq ans… ou cinq mois.

 

Vous en pensez quoi de cet attelage ?

Dans le contexte actuel, c’est la meilleure chose qui pouvait arriver au pays.

 

Vive les mariés, alors ?

Ce n’est pas que je veuille trop critiquer, mais… Disons que les travaillistes ont trop tendance à protéger leur pré carré. Au MMM, le mérite est plus valorisé. Les deux ensemble, ça fera une meilleure balance que celle du jour.

 

Vous espérez que la vertu mauve contaminera le « noubanisme » rouge ?

Vous schématisez mais c’est à peu près ça. Je me dis que le MMM contribuera peut-être à faire l’éducation des travaillistes – c’est mon avis de citoyen, pas de conseiller juridique.

 

Est-ce aisé de travailler avec Rama-le-rouge et Alan-le-mauve ?

Oui. Alan et Rama ne sont pas du genre à mettre des bâtons dans les roues. Ce sont des personnes correctes, intelligentes, qui comprennent vite. J’ai aimé travailler avec eux. D’ailleurs, ce n’est pas terminé, il nous reste à rédiger l’amendement transitoire.

 

Le fameux « shall-may ». C’en est où ?

C’est compliqué.

 

Mais encore…

L’enjeu est le suivant : comment faire en sorte que les candidats des prochaines élections générales ne soient pas obligés de déclarer leur appartenance ethnique ? Et cela en sachant que la réforme électorale ne sera pas encore en vigueur. L’idée de départ consistait à remplacer « shall declare » par « may declare » dans la Constitution. Il s’avère que cette option n’en est pas une car ce « may » est incompatible avec le BLS. Prenons un exemple : sur 200 candidats, disons que 50 ne déclarent pas leur communauté. Comment le commissaire électoral va-t-il désigner les huit best losers ? Tout le calcul sera faussé, ça ne tient pas la route.

 

Que proposez-vous ?

On a dit aux décideurs politiques : « Vous avez deux options, choisissez ! » La première a été proposée par Geoffrey Cox [un juriste britannique qui conseille le gouvernement, ndlr]. Elle consiste à coller une étiquette ethnique au candidat qui n’a pas déclaré sa communauté. Qui s’en chargerait, la question n’est pas tranchée. Certains membres du comité souhaitent que ce soit le commissaire électoral, mais d’autres estiment que c’est une trop lourde responsabilité à lui confier.

 

Cette idée vous plaît ?

Non. Si vous n’êtes pas obligé de déclarer votre appartenance ethnique, personne ne devrait avoir à le faire à votre place.

 

En passant, c’est vrai qu’il a semé la zizanie votre ami Geoffrey Cox ?

Non, le terme est trop fort. Disons qu’on a eu l’impression qu’il était un peu déconnecté par moment. Geoffrey Cox est un grand bonhomme, un juriste extraordinaire, mais il est un peu loin des réalités mauriciennes. Il ne raisonne pas comme nous.

 

Deuxième option…

Ceux qui n’ont pas déclaré leur communauté sont disqualifiés d’office pour un siège de best loser. C’est la proposition de M. Sithanen. Pour moi, aucune de ces deux options n’est la bonne, mais je ne trouve pas la troisième. Les décideurs politiques auront donc à trancher. L’option qu’ils choisiront sera celle que nous rédigerons, dès la semaine prochaine j’espère.

 

Laquelle des deux options est en ballotage favorable ?

Celle de Sithanen recueille le plus de suffrages au sein de notre comité. Mais les juristes lui reprochent sa fragilité légale. Ils pensent qu’elle risque d’être contestée en cour et invalidée.

 

Il doit bien y avoir une solution…

Il y en a une : votons la réforme électorale tout de suite ! Si je devais décider, c’est ce que je ferais. Si le nouveau texte est en vigueur aux prochaines élections, il n’y a plus de problème.

 

Encore faut-il que ce texte soit voté à la majorité des trois quarts…

(L’index pointé) Qui vous dit que cette majorité sera plus facile à obtenir après les élections ? Certes, la nouvelle alliance qui se dessine est bien partie pour gagner, mais elle n’a pas la certitude d’obtenir les 54 sièges nécessaires.

 

Admettons. Reste qu’aujourd’hui le MSM ne vote pas le texte.

A mon avis, ce problème n’est pas insurmontable. Ramgoolam et Bérenger ont bien fini par s’entendre sur des points qui au départ les opposaient, cela montre bien que des compromis sont possibles. Le MSM veut abaisser le seuil de la proportionnelle de 10 à 7,5%. Il n’est pas interdit de penser que tout le monde pourrait s’entendre à 8,5%. Demain, encore une fois, il n’est pas certain que le vainqueur des élections dégage une majorité des trois quarts. L’abstention risque d’être plus forte que d’habitude car un certain nombre de personnes refuseront d’ériger de vieux princes en empereurs.

 

Vous parlez des mêmes vieux princes à qui vous venez de tailler un texte sur-mesure ?

Evidemment que les rédacteurs sont aux ordres des princes. Ce n’est ni au Solicitor General, ni à sir Victor Glover de décider du contenu d’une loi. Les politiques nous disent « voilà ce que nous voulons » et nous le traduisons en termes juridiques. J’ai fait cet exercice le plus consciencieusement possible, en essayant de contribuer à un avenir meilleur pour mon pays et pour les Mauriciens. Mon souci principal était de servir la Constitution et l’intérêt général. J’ai essayé de faire abstraction de Ramgoolam, de Bérenger, des princes… et même des princesses ! (rire)

 

Et si ce projet de loi n’était jamais appliqué ?

C’est une possibilité mais ce serait dommage.

 

Selon vous, le gouvernement ira au bout ?

Je pense que oui… mais je ne parierais pas ma chemise. Je fréquente les politiciens depuis quarante ans, j’ai appris à m’en méfier. Je sais qu’ils peuvent changer d’avis du jour au lendemain.

 

La deuxième République, vous avez commencé à travailler dessus ?

Pas encore mais j’ai l’impression que je serai bientôt amené à le faire. Ce sera plus facile que la réforme électorale, il s’agira juste de mieux répartir les pouvoirs entre un président de la République rubber stamp et un Premier ministre tout-puissant. Ce rééquilibrage sera une bonne chose.

 

En attendant, la « dream team » a prévu quoi ce dimanche ?

(Sourire) Cette expression était un peu exagérée mais le casting était bon. On est allés au bout, on a réussi.

 

Barbecue dominical pieds dans l’eau pour toute la bande ?

(Eclat de rire)

 

C’est vous qui régalez ?

Ce n’est pas prévu...

 

Interview réalisée vendredi, avant les développements politiques survenus hier.