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Présidence: les risques d’un pouvoir accru
14 juin 2014, 22:30
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Présidence: les risques d’un pouvoir accru
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger nous concoctent un partage des pouvoirs entre le Premier ministre et le président. C’est l’idée que se font les deux leaders d’une seconde République. Pourtant, le régime qu’ils proposent comporte de nombreux pièges qui risquent de faire un croche-pied à la vie démocratique du pays s’il est administré par des gens irresponsables : un régime bicéphale en premier lieu, perte de crédibilité du chef de l’État, légitimité amoindrie… Autant de problèmes qui pointent à l’horizon.
■ Les pouvoirs du président selon le tandem Ramgoolam/Bérenger
Que sait-on au juste des pouvoirs que devraient avoir le président de la République si l’alliance entre le Parti travailliste (PTr) et le Mouvement militant mauricien (MMM) se concrétisait ? Très peu de choses en fait, sinon, selon Bérenger, que le Premier ministre conserve tous ses pouvoirs actuels, alors que le président s’en verrait attribuer d’autres.
Le président serait élu pour sept ans lors d’une élection à un tour. L’idée étant d’éviter une polarisation ethnique qui opposerait seulement deux candidats à l’issue d’une élection à deux tours, comme en France.
Une fois élu, le président aurait le pouvoir de dissoudre le Parlement. Il pourrait convoquer un conseil des ministres quand il le juge nécessaire, alors que le cabinet continuerait à se réunir sur une base hebdomadaire sous la présidence du Premier ministre.
Le président de la République devrait également avoir des pouvoirs accrus concernant les nominations. S’il n’est pas encore clair de quels postes il s’agira, il y aura certainement un rééquilibrage. Actuellement, pour la majorité des nominations, c’est «on the advice» du Premier ministre (PM) que le président agit, ce qui remet plus de pouvoirs entre les mains du PM. Dans une seconde République, les formules «after consultation» et «on his own deliberate judgment», qui donnent l’initiative au président, seront plus présentes.
Quid des ministres ? C’est un point sur lequel Bérenger et Ramgoolam semblent avoir du mal à s’entendre. Navin Ramgoolam, en tant qu’aspirant président, a émis le souhait que le locataire de la State House conserve le pouvoir de nommer les ministres sans avoir à tenir compte du point de vue du Premier ministre. Bérenger cèdera-t-il à cette exigence ? Sa décision sur la question pourrait être déterminante dans l’étendue du pouvoir du président.
■ Un chef d’État avec la tête dans le guidon ?
Il était question à un moment que Kailash Purryag, l’actuel locataire de la State House, prenne le leadership du parti une fois Ramgoolam installé comme premier président de cette seconde République. Une option qui semble avoir été rangée au placard, Navin Ramgoolam désirant être à la fois le leader du PTr et président de la République.
Le hic, c’est que cette option met en péril l’institution qu’est supposé représenter le président. C’est Mansour Moalla, banquier et ex-ministre, qui explique le mieux ce problème dans un réquisitoire contre le régime présidentiel dans les colonnes de Jeune Afrique, dans le contexte tunisien de 2011 : «Le chef de l’État est là pour symboliser l’unité nationale, le respect de la Constitution et de la loi, pour servir d’arbitre et de conciliateur en cas de besoin. Il ne doit pas être mêlé aux vicissitudes quotidiennes de l’action politique pour ne pas se discréditer.»
Or, c’est exactement le système que veut Navin Ramgoolam, un président qui se mêle à l’actualité politique et qui peut en ressortir égratigné. Qui plus est, Moalla avance même que le suffrage universel n’est pas la meilleure option, car il «concentre tout le débat politique sur une seul personne».
La solution ? Que le président soit élu par l’Assemblée nationale. Soit la proposition initiale de Paul Bérenger, rejetée par Ramgoolam.
■ Un gouvernement sous l’influence du président ?
Et si c’était bien le président, à savoir Navin Ramgoolam selon ce scénario, qui nomme et révoque les ministres ? Le leader des rouges remet en cause la formule «on the advice» du Premier ministre, qui donne en fait le pouvoir de nomination du cabinet à ce dernier. Si Bérenger venait à céder sur ce point, cela inverserait de manière importante la balance du pouvoir entre le président et Premier ministre.
Il en résulterait en fait un régime où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul homme : le président. C’est exactement le reproche qui est fait au système actuel, où c’est le Premier ministre qui a les pleins pouvoirs. Pour l’éviter, il faut mettre en place les checks and balances nécessaires.
La critique du régime présidentiel tunisien, par Mansour Moalla, est encore une fois éclairante: «Les membres de ce gouvernement, Premier ministre et ministres, n’étaient que des fonctionnaires du président, nommés et révoqués par lui, à sa convenance», écrit-il. C’est une situation similaire qui prévaut aussi à Madagascar et en France : le Premier ministre préside un conseil du gouvernement qui n’a d’autre but que de mettre en oeuvre ce qu’a décidé le président lors de son conseil des ministres. Le président, qui nomme le PM (non élu), a les pleins pouvoirs sur l’exécutif.
■ Pouvoir bicéphale, recette pour une catastrophe annoncée ?
S’il y a effectivement deux pôles de pouvoirs, l’un occupé par Bérenger, l’autre par Ramgoolam, ne risque-t-on pas une crise institutionnelle ? C’est l’avis de Nilen Vencadasamy, avocat de Rezistans ek Alternativ. Surtout vu les difficultés qu’éprouvent déjà les deux hommes à tomber d’accord sur les principes d’une alliance.
«Quand il y a deux pôles de pouvoirs, c’est toujours compliqué, explique l’avocat. On ouvre la voie à un blocage constitutionnel. Connaissant les personnalités respectives de Ramgoolam et Bérenger, il faut s’attendre à des querelles gramatin, tanto». Navin Ramgoolam se fera-t-il un plaisir de convoquer des conseils des ministres à l’improviste pour renverser des décisions prises par son Premier ministre ?
■ Limitation des mandats ?
La plupart des systèmes présidentiels qui existent en Afrique proposent un mandat de cinq ans et une limitation à deux mandats. Le but, selon Babacar Guèye, professeur de science politique à Dakar, dans un article datant de 2009, étant d’éviter «le retour à la personnalisation et à la patrimonialisation du pouvoir». Bref, le but est d’éviter de créer des dynasties. Un problème dont on a longtemps débattu chez nous, où le patronyme compte souvent plus que les compétences.
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