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Ashok Subron, porte-parole de Rezistans ek Alternativ : « La réforme électorale tourne à l’escroquerie »
15 juin 2014, 19:14
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Ashok Subron, porte-parole de Rezistans ek Alternativ : « La réforme électorale tourne à l’escroquerie »
Il était une fois, onze candidats désobéissants. Neuf hommes et deux femmes qui décident de boycotter la déclaration d’appartenance ethnique. Cette action a été à l’origine du projet de réforme électorale. Près de dix ans plus tard, Ashok Subron commence à trouver le temps long. Et il affûte ses canons.
Ce sont les cernes du téléspectateur d’Espagne-Pays-Bas que vous portez sous les yeux ?
(Sourire) Un peu... Je suis un couche- tard, je travaille, je surfe. Cet Espagne-Pays-Bas m’a plu, les plus forts ne sont pas toujours ceux que l’on croit. J’espère que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger étaient devant leur télé vendredi soir.
Pendant le Mondial, êtes-vous en mode résistance ou en mode alternatif ?
Les deux. Les tensions sociales au Brésil et la mafia du football m’interpellent. Mais je regarde aussi les matchs, j’aime le football, l’équipe du Ghana en particulier. J’ai un petit faible aussi pour le Brésil et l’Angleterre.
Pas de petit faible pour la Colombie ?
Non, pas spécialement.
C’est dommage, ça vous aurait fait un point commun avec Nathalia Vadamootoo…
(Longue expiration) Bon, Nathalia a exprimé son opinion, mes camarades de Rezistans lui ont répondu. Pour moi, l’incident est clos. Elle fait sa route, je fais la mienne. (Elle s’était fendue d’une sortie virulente contre lui, le 4 mai dernier, ndlr)
C’est bon pour les artères de se faire bouger, non ?
Bien sûr ! J’aime la critique, mais pas le character asssination. Déblatérer des faussetés n’est pas constructif.
Mardi, en Cour suprême, l’État a réaffirmé que l’on pourra se présenter aux prochaines élections sans déclarer sa communauté. Rassurant ?
C’est une bonne nouvelle mais je reste sur mes gardes, parce que le flou persiste entre une réforme électorale ou un mini-amendement Constitutionnel.
Le nouvel «amendement Sithanen» vous inspire quoi ?
La nausée. C’est une énième absurdité du Best Loser System. S’il est appliqué, nous aurons deux îles Maurice : d’un côté les candidats citoyens et de l’autre ceux qui vont se classifier. Qu’est-ce que le candidat Ramgoolam va faire ? Va-t-il déclarer sa communauté ou pas ?
À votre avis ?
Il a toujours dit qu’il était contre la déclaration communale, on peut donc penser qu’il va s’abstenir. Pourtant, je crois qu’il fera le contraire. Bérenger, lui, a dit « nou pe clasifie under protest ». C’est absurde : soit on se classifie, soit on ne le fait pas. Tout ce cinéma montre une chose : la réforme électorale est en train de tourner à l’escroquerie politique. L’État a pris un triple engagement devant les Nation unies, la Cour suprême et le peuple, pour changer le système aux prochaines élections. Et finalement, au lieu de présenter cette réforme, on va nous présenter une coalition politique. C’est de l’escroquerie politique.
Le Premier ministre dit avoir besoin d’« un mandat du peuple » pour faire voter la réforme…
Je n’y crois pas. Ce mandat, c’est pour faire approuver l’alliance qu’il finalise avec Bérenger. Ces deux hommes ont en commun le manque de courage politique. On assiste à une guerre machiste, chacun essaie de dominer l’autre. Cela aurait été plus sain de débattre de la réforme en public, au Parlement ou dans les médias. Ils ne le font pas parce que la réforme n’est pas leur priorité. Leur priorité, c’est l’alliance. Et elle se fera parce que tout y concourt. Chacun a besoin de l’autre pour survivre, l’envie est donc forte des deux côtés. Il y a aussi la réforme électorale à voter. Et puis, cette alliance a les faveurs du secteur privé.
Et si cet attelage remportait les élections sans dégager une majorité des trois-quarts ?
C’est une possibilité. Demain est aussi incertain qu’aujourd’hui, il est donc absurde d’attendre. Rendez-vous compte : vous convoquez le Parquet et un ex-chef juge, vous mobilisez tout l’arsenal de l’État pour préparer un projet de réforme électoral, et au final, le Bill ne sera pas en vigueur aux prochaines élections. On ne peut pas hypothéquer la réforme en la rendant dépendante du succès ou de l’échec d’une coalition. Qu’on la présente donc maintenant, qu’elle soit votée et proclamée.
On n’est pas sûr qu’elle soit votée…
Toute comme on n’est pas sûr qu’elle le sera après les élections.
Le résultat de cette élection, mouillez-vous…
Un 60-0 n’est pas une certitude. Il y a de la place pour challenge les partis traditionnels. Leurs leaders sont persuadés que quoi qu’ils fassent, le jour de l’élection, l’électorat suivra. Zot zoue ek dife, mais les choses commencent à changer. Peut-être pas encore au Mouvement militant mauricien (MMM), où le leader peut faire voter une chose et son contraire dans la même semaine, mais d’une manière générale, les jeunes d’aujourd’hui votent avec leur tête, plus que leurs parents qui votaient avec leurs réflexes.
Alliance, pas alliance, re-alliance, re-pas alliance… Il vous défrise la barbichette ce scénario ?
(Rire) Ce qui me défrise, c’est que les partis dit « historiques » sont en panne d’idées. Depuis 1983, ils sont dans un cycle de décomposition-recomposition. Je crois que l’on assiste à la fin de ce cycle. Auparavant, les alliances et les cassures se faisaient tous les 2 ou 3 ans. Aujourd’hui, ça prend 48 heures, on assiste à une accélération du processus. Et la réforme électorale est prise en otage au milieu des scènes de ménages. Je ne sais pas si le Parti travailliste et le MMM en ont conscience, mais leur crédibilité en a pris un coup. Un feu couve dans ce pays, la confiance est entamée.
C’est bon signe pour vous, non ?
Tout dépendra de notre capacité à rassembler les énergies. Si nous arrivons à regrouper les forces émergentes et à dessiner une vision commune, alors ce mouvement aura son mot à dire dans la bataille électorale qui arrive.
C’est qui les «forces émergentes» ?
Les camarades derrière Nilen Vencatasamy, derrière Roshni Mooneeram, les écologistes, les militants des droits humains, les syndicalistes ; je côtoie ces gens-là tous les jours.
On connaît la chanson : beaucoup de contestataires, peu d’élus…
Ce n’est pas le nombre de sièges au Parlement qui est important. L’objectif est de démontrer qu’une nouvelle force politique est en train de naître.
La proportionnelle à 10 % vous condamne-t-elle ?
Cela va être difficile. Il faudra environ 70 000 votes pour faire élire un député, ce n’est pas impossible. On aurait préféré 5 %. 35 000 votes, c’était largement jouable.
Cette réforme électorale est un peu votre « bébé »…
(Il coupe) Rezistans ek Alternativ a effectivement été le détonateur en 2005 (quand 11 candidats aux élections ont boycotté la déclaration d’appartenance ethnique, Ndlr), mais ce n’est pas notre « bébé », c’est celui des citoyens mauriciens.
Se le sont-ils fait voler ?
Clairement. Le Parti Travailliste se sert de la réforme électorale pour préserver le pouvoir et le MMM pour y accéder. Cette réforme est devenue le pivot de leurs intérêts électoraux. Ils ont réalisé que notre mouvement aurait une portée historique parce que nous touchons à des questions fondamentales, à l’identité, à la citoyenneté. Maurice est un pays qui n’a pas de population autochtone, notre identité et notre citoyenneté sont en chantier. Mon regret, c’est que l’intelligentsia mauricienne se soit désintéressée de ces sujets. Les créateurs d’idées et les forces de progrès ont laissé le champ libre aux vieux dirigeants politiques.
Et aujourd’hui, ce sont eux qui mènent le bal…
Forcément. Ils se sont réapproprié notre combat alors qu’il devrait être entre les mains des citoyens qui croient au changement. La Seconde république, c’est la même chose : au départ, c’est un projet de la gauche mauricienne. Quand je vois Sheila Bunwaree, que je respecte beaucoup, s’associer à Collendavelloo pour peut-être finir au Parti mauricien social démocrate ou au Mouvement socialiste militant, je suis choqué et déçu.
Quel regard portez-vous sur la démarche d’Ivan Collendavelloo?
Faire de l’anti-Bérenger et de l’anti-Ramgoolam n’est pas une vision politique.
Il y a 20 mois, en commentant le ruling des Nations unies, vous disiez que « ce combat dépasse le cadre de la politique ». En êtes-vous toujours aussi sûr ?
Plus que jamais ! Il est vrai que cette réforme est extrêmement politisée, mais ce qui est en jeu est bien plus profond : c’est la première graine de l’homo mauricianus, c’est la construction de notre identité. Cette construction a commencé le 14 février 1639, le jour de la naissance de Simon, le premier enfant qui a vu le jour sur cette terre (le fils d’un colon hollandais et d’une esclave de Java, ndlr).
Ce sont donc nos ancêtres qui ont étrillé l’Espagne ?
(Rire) Dans un sens, oui !
Vous voyez-vous député ?
J’aurais préféré ne pas l’être. Mais ces derniers temps, beaucoup de gens me disent que je dois être candidat. Si je le suis et que je deviens député, je prolongerai mes actions de désobéissance de la rue au Parlement.
C’est quand la dernière fois que vous avez porté une cravate ?
Ça m’est arrivé une seule fois, il y a 20 ans. J’étais rédacteur en chef de Lagazet Lalit, l’organe de presse Lalit. J’ai dû aller au Parlement pour une raison quelconque, je n’avais pas de cravate, j’en ai emprunté une à la dernière minute. Si je deviens député, je m’habillerai comme bon me semble, la cravate ne sera pas obligatoire.
Vous êtes quand même plus à l’aise dans une grève générale que dans une élection générale, non ?
C’est vrai. Rezistans n’a pas encore d’appareil électoral.
Donc vous n’êtes pas prêt de gagner une élection ?
C’est juste.
Les tergiversations autour de la réforme nous disent-elles que Maurice est un pays difficile à réformer ?
Oui, d’une certaine manière. Le problème, c’est que les politiciens censés conduire ses réformes sont eux-mêmes prisonniers de l’ancien système. D’ailleurs, c’est amusant de remarquer que leurs enfants, souvent, épousent le combat de Rezistans. C’est le cas du fils de Rajesh Bhagwan, par exemple. Les parents de plusieurs de nos membres actifs négocient actuellement l’alliance entre les travaillistes et le MMM ! C’est le reflet de notre époque. Mo kone ki dan dine deba la leve ! Cela va donner des névroses familiales…
Des noms ?
Je préfère éviter par respect pour leur vie professionnelle.
Vous recrutez chez les tueurs à gages ?
Non, mais nous avons des banquiers par exemple. Leur employeur pourrait trouver que leur métier n’est pas compatible avec la vision de Rezistans.
Qui vous dit que ce ne sont pas des « infiltrés » ?
(Il réfléchit) Non, surtout pas. Certains commencent même à convaincre leurs parents.
Si la réforme échoue, vous retrouvera-t-on dans les bas-fonds de Rio à dealer des vignettes Panini ?
Si aux prochaines élections nous devons déclarer notre communauté, alors nous serons des milliers à désobéir, croyez-moi. Si après tout sa coze lor reform, zot na pa fer sa sanzman la, un Printemps mauricien ne sera pas loin.
Du pain béni pour votre mouvement…
Effectivement, ce serait un cadeau Il nous apporterait sur un plateau l’occasion de prendre une envergure terrible. On est prêt à cette éventualité… (Sourire en coin).
Finalement, vous êtes autant dans le calcul que dans la conviction…
Nous sommes dans la conviction, mais nous ne sommes pas des naïfs… Sinon, vous n’auriez pas un calendrier du Mondial ?
Si l’amendement Sithanen est appliqué : nous aurons deux îles Maurice. D’un côté les candidats citoyens et de l’autres ceux qui vont se classifier.
Si je deviens député, je prolongerai mes actions de désobéissance de la rue au Parlement.
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