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Kentis Sooriamoorthy, membre de l’Association des pharmaciens : «Le Pharmacy Board ne contrôle pas l’importation des médicaments de l’État»

12 juillet 2014, 18:35

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Kentis Sooriamoorthy, membre de l’Association des pharmaciens : «Le Pharmacy Board ne contrôle pas l’importation des médicaments de l’État»
 
Pour le ministère de la Santé, ce serait une mauvaise manipulation de l’«Avastin», injecté à plusieurs patients de l’hôpital de Moka, qui leur a fait perdre l’usage d’un oeil. Kentis Sooriamoorthy avance, lui, d’autres hypothèses : effet secondaire connu, mauvais diagnostic et générique peu recommandable… L’occasion d’aborder la question épineuse du contrôle de l’importation des médicaments.
 
 
Le consultant du ministère de la Santé parle de contamination de l’«Avastin» au moment de le manipuler. Est-ce une explication plausible ?
 
C’est plausible, mais il faut attendre les conclusions de l’enquête. L’Avastin et le Lucentis (NdlR : utilisé pour ralentir la détérioration de la vue chez les personnes âgées) sont des médicaments similaires, fabriqués par le même laboratoire. Mais, les fabricants ont spécifié que c’est le Lucentis qui doit être utilisé pour ces cas de dégénérescence de la vue liée à l’âge. Ils n’ont pas approuvé l’Avastin comme traitement. Or, beaucoup de corps médicaux acceptent son utilisation.
 
Y a-t-il eu plusieurs autres cas similaires à travers le monde à cause de l’«Avastin» ?
 
Sur le Net, il y a Medscape, un site que tous les médecins du monde suivent de près, car il compile des données sur les traitements et médicaments. D’après ce site, un des effets secondaires possibles de l’Avastin est la perte de la vue, surtout en cas de mauvais diagnostic. Si le médicament est prescrit alors que la perte de la vue n’est pas liée à l’âge, cela pourrait avoir des répercussions. Maintenant, c’est l’enquête qui doit déterminer s’il y a eu un mauvais diagnostic ou pas, ou si c’est un cas de contamination.
 
Mais n’existe-t-il pas un protocole strict dans les hôpitaux sur la méthode d’injection ?
 
Comme pour tout produit à être injecté, il y a un minimum de règles de stérilisation à suivre. Encore une fois, il faut s’en remettre à l’enquête pour savoir s’il y a eu des manquements à ce niveau. Reste toutefois à déterminer si c’est le médicament d’origine qui a été utilisé ou un générique.
 
Les génériques et autres alternatives risquent justement d’avoir la vie dure, le ministère voulant interdire la vente de médicaments de la pharmacopée indienne, entre autres…
 
Cela fait des années que le Pharmacy Board accepte des produits de diverses normes. Notre législation ne spécifi e pas les normes acceptables, sauf pour les produits thérapeutiques, comme les antibiotiques, les hormones ou les corticoïdes. Pour ces médicaments, la Pharmacy Act précise qu’ils doivent être de la pharmacopée britannique, européenne, américaine et française (NdlR : connues par l’appellation BEUF). En ce qui concerne les autres, c’est au Pharmacy Board d’évaluer les normes de fabrication avant de donner son aval pour une mise sur le marché. C’est pour cela qu’on a eu beaucoup de produits de l’Inde ou de la Chine dans le passé. Cela ne veut pas pour autant dire que c’étaient des produits de qualité inférieure. Le Board a visé tout cela. Mais désormais, il veut étendre les normes BEUF à tous les médicaments.
 
Vous dites que les médicaments provenant de l’Inde ou de la Chine ne sont pas inférieurs. Pourtant, les produits thérapeutiques provenant de ces pays ne sont pas acceptés. C’est bien le manque de qualité qui doit en être la raison, n’est ce pas ?
 
Le traitements thérapeutiques requièrent des normes un peu plus sérieuses et spécifiques. Mais il ne faut pas oublier que cette loi date de plus de 30 ans. En attendant, ces pays ont progressé. Il y a des produits en provenance de la Chine ou du Vietnam qui repartent vers l’Europe pour ensuite être revendus chez nous. C’est le Board qui doit vérifier que les normes sont respectées, peu importe le pays.
 
Vous dites vous-même que les normes pour les produits thérapeutiques sont plus sérieuses. N’est-il pas naturel de vouloir étendre ces règlements à l’ensemble des médicaments du marché ?
 
Pas nécessairement. Aujourd’hui, on parle de globalisation. L’Organisation mondiale de la santé réclame une uniformisation de la pharmacopée pour qu’il y ait une libre circulation de médicaments conformes. Quand vous comparez les monographies, c’est-à-dire, les détails de chaque produit, entre les États-Unis et l’Inde, il y a une similarité de 95 %. La seule différence est dans l’utilisation de plantes endémiques.
 
Les médicaments dans les hôpitaux publics vont-ils également être aux normes BEUF ?
 
À partir de maintenant, d’après ce qui ressort du ministère de la Santé, l’on exigera des produits aux normes britanniques, européennes ou américaines. Je ne sais pas s’il va y parvenir, mais il va se limiter. Si vous avez besoin d’avoir en urgence une cargaison de médicaments, l’Inde est pratiquement le seul pays à pouvoir aider, à cause du volume de médicaments produits et la taille de son marché. Mais ils sont aux normes de la pharmacopée indienne.
 
Actuellement, la majorité des médicaments dans les hôpitaux viennent donc de l’Inde ?
Actuellement, oui. Ils sont peu onéreux et de qualité. Même le Bangladesh fabrique de bons médicaments aujourd’hui.
 
Cela implique-t-il que les médicaments coûteront plus cher si ces nouvelles normes sont appliquées dans les hôpitaux ?
 
Ils vont certainement coûter plus. Si ces mesures sont appliquées, il y aura moins de compétition. Si vous appliquez cette règle, vous favorisez un petit groupe d’importateurs.
 
Le durcissement du ton du ministère sur les compléments alimentaires fait aussi débat. La décision est-elle justifiée ?
 
Il y a eu un gros cafouillage, car il n’y avait pas de règles. L’Association des pharmaciens a demandé, à plusieurs reprises, d’établir des normes que tout le monde peut suivre. Que ce soit l’importateur de produits pharmaceutiques, l’importateur de compléments alimentaires ou l’importateur de produits cosmétiques. Mais le ministère complique davantage les choses au lieu d’agir comme un facilitateur.
 
On a un peu l’impression que le «Pharmacy Board» se concentre surtout sur le privé. Qu’en est-il du secteur public ?
 
D’après la Pharmacy Act, le Pharmacy Board a un droit de regard sur toutes les importations de médicaments. Mais, pendant ces 50 dernières années, le Board n’avait pas de droit de regard sur les importations du ministère.
 
Pourquoi n’a-t-il pas de droit de regard ?
 
Je ne sais pas vraiment. Cela devrait être le cas. Mais le Pharmacy Board indique que c’est ainsi parce qu’il y a déjà une instance au sein du ministère qui s’en charge. Nous demandons que ce soit uniforme. D’ailleurs, le Board a amendé la Pharmacy Act en décembre dernier, afin de renforcer l’enregistrement des médicaments au niveau du privé. Là où il y avait déjà des règlements, le Pharmacy Board les a renforcés, mais ce dernier affirme qu’il peut exempter tout médicament de son choix. À qui cette exemption sera-t-elle utile ? Au ministère sans doute. Mais on ne peut avoir deux catégories de médicaments.
 
Le ministère a voulu être plus strict en régulant la vente de produits contenant de la codéine. Pourtant, les toxicomanes continuent à s’approvisionner. Quel est le problème ?
 
Il faut un contrôle efficace. Certaines pharmacies doivent fermer après inspection, mais elles ouvrent leurs portes de nouveau après quelques mois. Il faut renforcer les lois. Si le ministère a établi des quotas à l’importation, le résultat est que les pharmaciens, qui avaient l’habitude de vendre du sirop contre la toux à des drogués, ont continué à le faire. Au final, ce sont les vrais malades qui n’arrivent pas à en trouver, les substance abusers ayant tout raflé à des prix exorbitants.
 
Quelle serait la solution ?
 
Il faut fermer ces pharmacies. Et surveiller les devantures de celles qui sont réputées pour avoir trempé dans ces pratiques. Mais il faut se poser la question suivante : pourquoi certaines pharmacies s’adonnent-elles à cette pratique?
 
Vous avez une idée de la réponse ?
 
La réponse, c’est qu’on a tellement contrôlé les marges du commerce qu’on l’a détruit. Les pharmacies sont à bout de souffle. Il faut une étude sur la rentabilité des pharmacies.