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Dr Revin Panray Beeharry, directeur de Sustainable Resource Management Ltd et expert en environnement et énergie : «Pas de risque de black-out mais possibilité de coupure intentionnelle…»

2 août 2014, 14:06

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Dr Revin Panray Beeharry, directeur de Sustainable Resource Management Ltd et expert en environnement et énergie : «Pas de risque de black-out mais possibilité de coupure intentionnelle…»
Une mauvaise planification des besoins énergétiques peut entraîner une situation où une coupure intentionnelle s’avère nécessaire, soutient l’expert. Du reste, fait-il ressortir, on ne peut pas compter que sur l’éolien et le solaire.
 
◗ Un rapport du Bureau des statistiques publié mercredi démontre que la production électrique est composée à 52,8 % de charbon et à 25 % d’huile lourde. Est-ce cohérent avec le projet Maurice Ile Durable ?
Il faut réfléchir sur les moyen et long termes. On sait qu’il y a plusieurs projets, notamment éoliens et solaires, qui arrivent bientôt ou qui sont déjà là et dont le rapport ne tient pas compte. Il y a les projets Suzlon-Padgreen et Aerowatt en gestation. Ainsi que Sarako et d’autres fournisseurs d’énergie.
 
◗ L’énergie propre peine à se développer vite.
Je constate plutôt l’absence d’une institution appropriée apte à aider nos décideurs à prendre de bonnes décisions sur la politique énergétique à moyen et long termes. Le problème énergétique est très technique. Quand il y a un vide institutionnel, c’est à ce moment que des personnes ou des organisations font des commentaires sur l’avenir énergétique du pays. Cela cause beaucoup de tort. Les décideurs ne peuvent pas prendre de décisions s’ils n’ont pas de bons conseils ou des données fiables.
 
◗ Et le «Central Electricity Board» (CEB) alors ?
Le CEB est un fournisseur de services. Il ne peut pas fixer le tarif, être en charge de produire du courant et de le distribuer chez les consommateurs, tout en décidant de la politique énergétique du pays. On constate qu’entre les décideurs et ceux qui sont là pour offrir le service, il y a un vide qu’il faut combler. Il faut une Utility Regulatory Authority. La loi avait été amendée en 2008 pour cette instance qui n’a jamais pris naissance.
 
◗ Vous êtes donc d’accord avec Paul Bérenger qui dit qu’il faut des experts étrangers pour faire un rapport complet sur la situation énergétique ?
La question n’est pas d’être d’accord ou pas. Le travail que ces professionnels feront ici, nous pouvons nous-mêmes le faire. Nous avons des experts mauriciens compétents. Pourquoi ne pas utiliser nos compétences pour faire ce type d’analyse ? Au Maroc où j’ai travaillé, le gouvernement a des analystes hautement qualifiés au sein du ministère de l’Énergie qui font des analyses et remettent constamment des rapports sur la situation énergétique. Un ministre ne peut pas maîtriser tous les dossiers techniques. Il faut qu’il ait toutes les informations nécessaires pour prendre de bonnes décisions. Il doit avoir des facilitateurs. Il y a déjà des experts disponibles. Il faut juste que tout le monde soit réuni sous le même toit.
 
◗ C’est ce qui a été fait avec la «National Energy Commission»
Justement. Cela montre que j’ai raison. Quand le Premier ministre s’est retrouvé confronté à une prise de décision, il a nommé une National Energy Commission. Pourquoi ne pas formaliser cette commission tout en la faisant fusionner avec d’autres pour faire des analyses en permanence ? Il faut aussi un observatoire de l’énergie. Une branche de Statistics Mauritius pourrait être transformée en observatoire de l’énergie. Ce sont leurs données qui peuvent nous aider à prendre des décisions.
 
◗ La demande en électricité est en hausse. L’énergie 100 % verte peut-elle satisfaire la demande minimale ?
Il y a le morning peak et le night peak. Le solaire et l’éolien dépendent de la nature. Ils peuvent constituer jusqu’à une certaine partie de notre énergie mixte. On ne peut pas se reposer entièrement sur eux. Il y a des contraintes à respecter pour répondre à la peak demand et à la demande minimale. Il faut donc les deux : un peu de fossile et un peu de renouvelable. On aura toujours besoin de fossile.
 
Sinon, il y a aussi le pump storage qui utilise l’énergie solaire pour pomper l’eau et la faire monter. Puis, quand il y a une grande demande en électricité, on laisse l’eau descendre pour faire tourner les turbines.
 
◗ On parle d’un black-out dans les prochaines années...
On parle de black-out quand tous les réseaux font un «crash» pendant 24 ou 48 heures à cause d’une radiation solaire. En revanche, une mauvaise planification de nos besoins énergétiques peut nous entraîner dans une situation où on sera forcé de faire du load shedding, soit couper intentionnellement la fourniture électrique. Je ne crois pas que la situation soit aussi alarmante. Je pense que bientôt on aura une bonne planification en nous servant d’analyses poussées pour trouver des solutions correctes.
 
◗ Mais l’installation de quatre nouvelles turbines à St-Louis a pris du retard et le projet CT Power est incertain. Le CEB comptait sur ces projets pour satisfaire la demande.
Une grande demande et le retard dans des projets peuvent contraindre à faire du load shedding, chose courante dans certains pays les moins avancés, et même en Inde. Cela peut arriver, mais pas un black-out total.
 
◗ D’après vous, faut-il aller de l’avant avec CT Power ?
Je préfère ne pas répondre directement à cette question. Ce n’est pas à moi d’en décider. Cette décision doit être prise par nos décideurs en tenant compte des avantages et des contraintes. J’espère qu’ils ont toutes les informations et les données nécessaires.
 
◗ Dans le rapport, on note que la production du gaz carbonique est en hausse par 3,7 % alors que l’utilisation de la bagasse est en baisse. Un autre paradoxe par rapport à Maurice Île Durable…
L’émission de gaz carbonique ne date pas d’hier. Comme nous sommes un pays qui se veut responsable par rapport à l’environnement, on aurait souhaité montrer à tout le monde que nous avons pu sortir de cette étape de développement qui est carbon extensive pour passer à un fonctionnement lower carbon extensive. Pour le faire, il y a beaucoup de mesures à prendre. Il faut repenser notre programme de mix énergétique, il faut revoir les tarifs de l’électricité et notre politique par rapport à l’efficacité énergétique. Il y a beaucoup de choses qu’on maîtrise mal. Par exemple, on utilise la technologie solaire pour chauffer l’eau. Or, le solaire est mal compris. Quand une personne achète un chauffe-eau solaire, on ne lui demande pas si elle habite à Curepipe ou Albion pour savoir quelle technologie elle doit acheter ! On lui demande : «Vous avez besoin d’un chauffeeau pour combien de personnes ?» C’est tout. Il y a des solutions techniques à apporter pour faire de l’énergie solaire une réalité ou pour l’utiliser efficacement.
 
◗ Les écologistes disent que d’ici à 2030-35, il faut éliminer le charbon.
Ce ne sera pas facile. Il faut comprendre le développement du phénomène mondial qui s’appelle «electrification of energy supply». Plus un pays se développe, plus l’énergie va être livrée aux consommateurs sous forme d’électricité. À Maurice, près de 40 % de l’énergie est livrée chez une famille sous forme d’électricité. Cela continuera à augmenter.
 
Même le transport devient électrique. Avec le projet de métro léger, une large partie de notre demande pour le transport sera satisfaite par l’électricité. Même l’avenir de la voiture, c’est l’électricité. L’utilisation de la voiture électrique est mal comprise chez nous. On n’a pas de politique pour que les voitures électriques deviennent une réalité. Il faut un réseau électrique pour charger les voitures la nuit, au moment où il y a une grosse production d’électricité et une petite demande. On peut sortir du statut de pays grand consommateur de carburant pour devenir un pays consommateur d’électricité. L’électricité pour voiture ne sera pas produite avec un combustible fossile, mais on a le choix entre le photovoltaïque et l’éolien. Le CEB achète l’électricité produite par le solaire à environ Rs 6,50 Kwh, il le vend à Rs 5 pour les besoins domestiques et pour les voitures, le coût peut être de Rs 10 Kwh sur un compteur différent et séparé. Cela encouragera la production d’énergie renouvelable et celle-ci occupera une place importante dans notre mix énergétique.
 
◗ Pourquoi ne pas utiliser l’éthanol pour être moins polluant ?
En 2003 ou 2004, un ministre avait décidé de ne plus utiliser d’essence contenant du plomb. Il a pris une décision pour bannir le plomb et il n’y a pas eu de débat. Cela s’est passé sans problème. Maintenant, avec l’éthanol, il y a un grand débat. On parle de l’E5 et de l’E10. Je pense qu’il faut arrêter le débat et commencer à utiliser de l’éthanol sans perdre du temps. C’est faisable. On peut le faire du jour au lendemain.
 
◗ Vous êtes aussi expert en environnement. Est-ce que Maurice est une île propre ?
Bien sûr que non ! Les Mauriciens jettent de tout n’importe où. Il suffit de regarder nos rivières qui sont remplies de détritus. Toutes ces saletés vont ensuite à la mer. Il faut refaire l’éducation des Mauriciens. Ils ne sont pas conscients de l’importance de protéger l’environnement.