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Jocelyn Grégoire, président de la Fédération créole mauricien : « Je suis un homme qui appartient à toutes les races »

10 août 2014, 14:35

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Jocelyn Grégoire, président de la Fédération créole mauricien : « Je suis un homme qui appartient à toutes les races »
Accusé d’avoir tenu des propos racistes lors du congrès de la FCM il y a sept jours, le prêtre s’en défend. Il déclare que ses propos ont été tirés de leur contexte. Il réitère son engagement en faveur des plus démunis de la société et s’attaque aux politiciens en quête d’alliance.
 
 
Cehl Meeah a-t-il déteint sur vous ? Communalisme, racisme et noubanisme n’ont jusqu’ici jamais fait partie de votre vocabulaire…
(Crispé) C’est chagrinant de voir des personnes qui tirent de son contexte une phrase que j’ai dite. Elles l’ont interprétée et m’attaquent. Elles auraient mieux fait d’écouter cette phrase dans sa totalité avant de réagir. 
 
Dans ce discours, j’ai certes déclaré que je suis raciste. Ce, dans la mesure que je suis un homme qui appartient à toutes les races. De celles qui souffrent du dénuement, de l’injustice et des passe-droits. Je n’ai fait aucune référence à une ethnie en particulier… 
 
Un éditorialiste a écrit que je devrais rester dans mon église au lieu de faire des discours à consonance politique. Vous savez, je ne fais que mon métier de prêtre. Je suis libre de m’exprimer sur les sujets de société. Tout comme cet éditorialiste. Sinon, je pourrai, moi aussi, dire qu’il a un agenda quand il se prononce sur des tractations ayant cours sur la scène politique.
 
Vous parliez quand même au nom de la Fédération créole mauricien, non ?
Je me bats pour tous les Mauriciens souffrant d’injustice et de la misère. Je ne fais aucune distinction. Le congrès de dimanche dernier était ouvert au grand public. Des Mauriciens de toutes les communautés étaient présents.
 
Je pense que les personnes intelligentes ont compris que je n’aurais jamais pu tenir un discours de division devant un tel rassemblement. Mes propos ont tout simplement été dénaturés.
 
La présence de Cehl Meeah à ce congrès a été un accélérant. Aucun accord en vue avec le Front solidarité mauricien ?
Cehl Meeah est venu assister à ce congrès comme l’a fait Patrick, Ashok et Ah-Moy. La FCM a lancé une campagne d’affiches et de spots radio avec le support de l’Union des citoyens mauriciens, qui a déjà travaillé avec le Front solidarité mauricien, pour inviter le public à cet événement. Sinon, il n’y a aucun rapprochement dans l’air entre Cehl Meeah et moi. Une telle perspective n’a jamais effleuré mes pensées.
 
Regardez-vous toujours «les cabris manger de la salade» ? Cette phrase prononcée l’an dernier n’aurait- elle pas des relents racistes ?
Si mes souvenirs sont exacts, j’ai fait cette déclaration peu avant mon départ vers les États-Unis lors d’une conférence de presse à la fin de l’année dernière. C’était une formule imagée pour parler des jeux d’alliance sur la scène politique et évoquer la posture de ces politiciens qui tentent de se maintenir ou d’accéder au pouvoir. Zot couma cabri pé manz salade car, pour ces politiciens, les problèmes auxquels le peuple fait face semblent secondaires. Alors que la population crie son désespoir, d’autres considérations retiennent leur attention.
 
La Fédération créole mauricien se cherche depuis des années. Quand allez-vous faire votre coming-out politique?
La FCM a vu le jour en tant qu’organisation apolitique. Son but ne consiste pas qu’à défendre la communauté créole mais de lui donner les moyens de se prendre en main. L’idée étant de l’empower.
 
J’ai même écrit une chanson sur ce thème. La communauté créole ne peut pas s’asseoir et attendre que l’État, l’Église ou le secteur privé lui viennent en aide. Il n’a jamais été dans mon intention d’utiliser la fédération pour faire du lobbying politique. Tant que je serai son président, je veillerai à ce que ce principe soit respecté.
 
Pourtant il existe un Black Caucus aux États-Unis, votre pays d’adoption, qui fait du lobby politique…
Oui, des Afro-Américains de tous bords politiques qui se concertent sur les sujets touchant à leur communauté. Ce n’est pas là la vocation de la FCM…
 
Des députés d’origine tamoule s’étaient bien réunis pour l’inversion des inscriptions des billets de banque dans un passé récent.
Ma vision est tout autre. C’est de permettre à la communauté créole d’avancer grâce à la créativité, l’éducation et l’effort. Les résultats du travail accompli sont palpables.
 
Je ressens une certaine fierté quand je me rends dans des maisons des cités ouvrières et que je découvre qu’un coin a été spécialement aménagé pour les enfants afin qu’ils puissent faire leurs devoirs scolaires ou pour la lecture. Et non sur la table à manger, face à la télé.
 
Nous invitons aussi les parents à suivre les devoirs de leurs enfants. À ceux qui n’ont pas la chance d’avoir pu apprendre à lire et à écrire, on demande à leurs voisins d’assurer ce suivi.
 
En somme, vous n’inventez rien. Ce n’est que du social engineering !
Oui. Et il prend de l’ampleur. La FCM vise aussi à permettre aux personnes de la communauté créole de cultiver un potager dans leur arrière-cour ou sur leur toit. Pour l’autosuffisance alimentaire ainsi que pour vendre le surplus.
 
L’année dernière, j’ai offert des graines de cotomili à des habitants de Riche-Mare. Quand je leur ai rendu visite, ils avaient aussi planté du thym et du piment. Il faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas ?
 
Planter des condiments ne mènera pas bien loin. Quels autres projets avez -vous dans votre escarcelle ?
À la fin de ce mois, grâce à l’aide de Médine, nous allons lancer un centre de formation technique dans l’ancien Farmers Market Centre de Bambous. Le bâtiment est actuellement en rénovation. Les personnes ciblées sont ces jeunes qui ont abandonné l’école trop tôt et qui vivotent comme maçons, par exemple. C’est une façon de leur offrir une seconde chance. On a tous besoin d’une seconde chance dans la vie.
 
Avez-vous eu des discussions au préalable avec le ministère de l’Éducation ou la National Empowerment Foundation pour de tels programmes?
Avec le Premier ministre aussi. Des promesses ont été faites mais il faut quand même qu’on arrive à tenir sur nos jambes, histoire de démontrer notre sérieux. En lançant nos propres projets, à coup sûr nous allons bénéficier du coup de main de l’Etat.
 
Déjà, à cité Richelieu, à Petite-Rivière, sept arpents de terres ont été mis à notre disposition par le ministère de l’Agro-industrie. Ils permettront aux riverains à se lancer dans la culture de légumes. Nous avons pensé à ce projet après le viol suivi de l’assassinat de la petite Joannick Martin par son oncle en 2010. Des sociétés à côté nous ont aussi aidés pour la fouille d’un borehole.
 
Il y a eu l’épisode Danielle Turner et Edley Chimon en 2010. Combien d’autres pareillement gravitent autour de la FCM ?
Je ne veux pas citer de noms… Il y aura toujours des personnes qui voudront nous aider dans l’espoir de bénéficier de certains avantages. Si on découvre qu’untel s’engage à nos côtés dans l’espoir que ce sera pour lui un tremplin pour accéder à un parti politique, on lui dira de partir. Nous n’avons nulle intention de nous afficher avec un individu ayant un agenda politique.
 
Vous avez quand même vos préférences politiques. Vous avez invité vos sympathisants à voter avec leur coeur en 2010. Ce sera avec la clé cette fois ?
(Sourires) C’est l’interprétation qui a été faite. J’aurais pu dire «en votre âme et conscience». Ce fut un mauvais choix de mots qui a prêté à confusion. J’ai appris de cette erreur. Je ne la répéterai pas.
 
Vous en pensez quoi de cette super-alliance entre le MMM et le Parti travailliste ? Ramgoolam au Réduit et Le Trésor à Bérenger. N’est-ce pas là une forme d’égalité de chances ?
Je préfère m’abstenir de tout commentaire. Le sujet ne m’intéresse pas. N’importe qui peut prétendre au poste suprême. Qu’il soit dans le fauteuil de Premier ministre. Le candidat doit, avant tout, avoir un engagement en faveur de la lutte contre la pauvreté et l’injustice. Et non pas se concentrer sur ses intérêts personnels. Il doit être là pour servir et non pour se servir.
 
Sylvio Michel vient de saisir la justice pour la recomposition du conseil d’administration du Centre culturel africain. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Sylvio Michel et moi-même nous nous battons pour la même cause. Mais de manière différente. Il faudrait peut-être qu’on se rencontre pour établir un plan pour une bataille commune. Comme celle autour des recommandations de la Commission Justice et Vérité.
 
Encore la compensation ?
Pas nécessairement. Le mot compensation me fait tiquer. Sur ce point, j’ai des divergences avec Sylvio Michel dont le combat a été sincère. On réclame de l’argent pour les descendants d’esclaves mais on en fera quoi avec ? Et quand tout aura été dépensé, ils vont faire quoi ? Comment identifier ceux qui en ont droit ? Qui mettra la main à la poche ? Les anciennes colonies ou les descendants des colons ?
 
Le mieux, pour moi, serait de réclamer de l’aide auprès de ces anciennes colonies et aux descendants des colons pour la mise en place de structures en vue d’aider les générations futures de descendants d’esclaves. À travers l’éducation.
 
Les Chagossiens veulent retourner sur leur archipel et Ramgoolam parle de cogestion aux Américains…
Je ne suis pas très au courant de la géopolitique. Pour moi, toute discussion avec la Grande-Bretagne ou les États-Unis devrait impliquer le peuple chagossien. Il ne peut être hors de l’équation.
 
Combien allez-vous jouer au loto ? En êtes-vous actionnaire ?
Ni l’un, ni l’autre. Par contre, je prépare une licence aux États-Unis pour encadrer les gros parieurs. C’est un fléau. On ne peut empêcher les gens de jouer mais on peut toujours les aider à s’en sortir. Les opérateurs du jeu de hasard ou les bookmakers devraient verser de l’argent à un fonds, comme aux États-Unis, pour un soutien à ces personnes.