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CCTV avec reconnaissance faciale : une atteinte à la liberté ?

10 août 2014, 18:09

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CCTV avec reconnaissance faciale : une atteinte à la liberté ?
Maurice est-elle en train de se transformer en un Etat policier? C’est ce que craignent de nombreuses personnes depuis qu’il a été annoncé que 300 caméras de surveillance à reconnaissance faciale seront installées dans les villes. Le but de telles caméras: épingler les récidivistes. Le problème, c’est que le plus grand flou règne autour de la manière dont ces caméras seront utilisées, tant d’un point de vue pratique que légal.
 
Si on y ajoute la polémique qui dure autour de la carte d’identité biométrique, beaucoup de Mauriciens ont l’impression que leurs droits fondamentaux sont bafoués. Le Mauritius National Identity Scheme (MNIS) se veut rassurant. Il soutient que sa base de données ne sera pas utilisée à des fins de reconnaissance faciale. Mais les doutes persistent.
 
D’autant plus que la police ne veut pas fournir de détails. Dhramarajen Mooroogan, du Police Press and Public Relations Office, n’a pas voulu nous expliquer le fonctionnement de la reconnaissance faciale. Idem quant à la loi qui régira l’utilisation de ces nouvelles caméras.
 
Malgré les dires des responsables du projet de carte d’identité biométrique, Me Sanjeev Teeluckdharry, qui représente la plateforme citoyenne No to biometric identity card, explique qu’il n’y a pas de contrôle des données enregistrées avec la carte d’identité. «Le MNIS peut mettre les données collectées à la disposition de n’importe quelle autorité publique. Celles-ci pourraient même aller vers des agences étrangères», explique l’avocat.
 
Ces propos vont dans le sens de la plaidoirie de Me Roshi Bhadain, avocat de Pravind Jugnauth dans son affaire en cour contestant l’utilisation de la carte d’identité biométrique. Ce dernier a argué qu’avec la formulation actuelle de la loi, la police pourrait avoir accès à la base de données du MNIS.
 
Ainsi, explique Me Sanjeev Teeluckdharry, la police pourrait synchroniser les images enregistrées par les caméras avec les informations enregistrées sur la carte biométrique. Cela faciliterait, par exemple, la reconnaissance des personnes participant à une manifestation.

 

«Une société à la big brother»

 
L’avocat estime que cela pourrait décourager les Mauriciens de participer à une manifestation. Un fonctionnaire, par exemple, n’osera jamais manifester à cause de cela, par crainte de représailles. «Nous deviendrons un régime totalitaire, insiste-t-il, et les Mauriciens seront sous une surveillance constante.»
 
Pour lui, ces caméras et la carte d’identité biométrique feront une farce de la démocratie. «Nous nous dirigeons vers une société à la Big Brother, où tous nos faits et gestes seront surveillés», dénonce-t-il. C’est, pour lui, une atteinte aux droits fondamentaux des Mauriciens: une atteinte à la liberté de mouvement et d’association ainsi qu’une atteinte à la vie privée.
 
De son côté, Me Roshi Bhadain estime que «la reconnaissance faciale massive n’est pas justifiée à Maurice. En Europe, avec les open frontiers, on peut comprendre cela, mais à Maurice, il y a d’autres moyens de contrôle». Dans sa plaidoirie lors du procès de Pravind Jugnauth, l’avocat a avancé que la présomption d’innocence est désormais inversée: autrement dit, tout le monde est considéré coupable jusqu’à preuve du contraire. «Il y a désormais une présomption de culpabilité», dit-il.
 
De plus, avec la technologie qui évolue à grande vitesse, il déclare qu’il est difficile de contrôler l’utilisation future de la base de données du MNIS. «Il n’y a aucune loi régissant spécifiquement la reconnaissance faciale, ce qui fait qu’il n’y a pas de protection contre cela.»
 
Me Raouf Gulbul est du même avis. Pour lui, on ne pourra plus rien avoir de secret car tous nos faits et gestes seront contrôlés. «Il n’y a plus d’intimité, et il n’existe aucun moyen de contrer cela», déplore-t-il. Il ajoute que même le Data Protection Office (DPO) ne pourra rien y faire car l’État n’a pas à répondre à qui que ce soit.
 
Et en effet, Drudeisha Madhub, Data Protection Commissioner, avoue qu’en ce qui concerne la reconnaissance faciale, comme pour la carte d’identité, le DPO ne peut intervenir puisqu’il y a manipulation de données sensibles... Comme stipulé dans la section 25 (2) (d) du Data Protection Act. Ce qui pousse M e Raouf Gulbul à s’interroger : «Data Protection Office? Quelle protection? Je ne sais pas...»