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Jérôme Champagne, candidat à la présidence de la FIFA: «La FIFA n’est pas une mafia»

11 août 2014, 00:04

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Jérôme Champagne, candidat à la présidence de la FIFA: «La FIFA n’est pas une mafia»

Ancien journaliste à France Football et diplomate français, Jérôme Champagne est à ce jour le seul candidat déclaré à la présidence de la FIFA, lors des élections qui se tiendront l’année prochaine. Après avoir travaillé 11 ans comme conseiller international de Sepp Blatter et Secrétaire Général adjoint de la FIFA, il connaît bien les rouages de cette administration et entend bien la réformer et l’aider à répondre aux exigences du monde moderne et aux effets pervers qui gangrènent le monde s’il est élu. Citoyen du monde, ayant vécu sur quatre continents et visité près de 150 pays, dont l’île Maurice. Jérôme Champagne s’est confié en exclusivité à l’express, au téléphone, de son lieu de vacances à Los Angeles.

 

Jérôme Champagne, vous êtes pour l’instant le seul candidat déclaré à la présidence de la FIFA. Pouvez-vous vous présenter au public mauricien?

– Je suis Français, mais citoyen du monde, car j’ai été diplomate et j’ai vécu sur plusieurs continents, étant notamment en poste à Oman, Cuba, Los Angeles ou Brasilia. Lorsque j’étais étudiant j’ai travaillé comme journaliste à l’hebdomadaire France Football de 1976 à 1983, puis comme diplomate de 1983 à 1997.

 

Ensuite vous atterrissez à la FIFA…

– Oui. En 97, je suis nommé conseiller diplomatique et chef du protocole de l’organisation de la Coupe du monde 1998 en France. C’est là que j’ai connu Sepp Blatter qui m’a fait venir travailler comme conseiller international à la FIFA. J’y suis resté 11 ans durant lesquels j’ai occupé plusieurs positions comme celle de secrétaire adjoint. Puis, je pars en 2010… J’ai même été viré en fait ! J’ai alors travaillé comme conseiller à titre personnel en Palestine, au Kosovo, à Chypre Nord et aussi au Tout- Puissant Mazembe.

 

Votre CV est décidément très international…

– Oui et ce n’est pas tout. Depuis deux ans, j’ai envoyé trois contributions à 209 fédérations dont la première était : quelle FIFA pour le 21e siècle ? Les choses avançant le football connaît de grands succès avec la globalisation mais aussi de fortes inégalités. Il faut une FIFA encore plus forte pour lutter contre ça. C’est pour ça que je postule à la présidence.

 

Le récent décès de l’Argentin Julio Grondona précipite-t-il un peu les choses concernant votre candidature ?

– Non, pas du tout. Je me suis porté candidat à la présidence le 20 janvier dernier, donc ce n’est pas un élément qui influe sur ma décision. C’est une décision lourde, avec des conséquences familiales et personnelles.

 

Sur quels axes voulez-vous lancer votre campagne?

– La position est la suivante : la globalisation est extrêmement positive pour le football. Regardez le succès planétaire de la dernière Coupe du monde et sa médiatisation pour vous en convaincre. Mais en même temps ça apporte un certain nombre de problèmes. Dans le football de clubs des inégalités entre les riches et les pauvres ont créé des déséquilibres dans chaque continent. Il y a des disparités partout. Par exemple les meilleurs partent d’Afrique très tôt mais l’Afrique demeure un fournisseur de matières premières aux autres continents.

 

Que faudrait-il faire ?

– Il y a peut -être un manque de valorisation de l’Afrique. Il y a 30 ans les meilleurs matches camerounais attiraient la grosse foule, aujourd’hui ils font face à la concurrence déloyale des grands championnats européens à la télé, comme à Maurice. Il y a 20 ans, le foot européen était plus homogène, on pouvait voir l’Étoile Rouge de Belgrade ou le Steaua Bucarest champion d’Europe. Malgré le rideau de fer, l’Europe du foot jouait ensemble, aujourd’hui, avec l’arrêt Bosman et le format de la Ligue des champions, qui avantage les plus riches d’Europe à travers un mauvais mécanisme de redistribution de l’argent, on a remplacé un rideau de fer politique par un rideau de fer financier qui sépare les 20 clubs les plus riches d’Europe de l’ouest de tout le reste de l’Europe. Par exemple, en Coupe de l’UEFA 1985-86, on avait vu un club hongrois arriver en finale après avoir éliminé le PSG en seizièmes, Manchester United en quarts et tomber sur le Real en finale. Aujourd’hui, les clubs hongrois n’ont plus aucune chance de faire ça.

 

Tous les championnats ne sont plus sur un même pied d’égalité…

– Aujourd’hui, la Ligue anglaise est tellement riche que le 20e de son championnat reçoit deux fois plus d’argent que le champion de France. On est dans un système inégalitaire qui crée des inégalités. Il existe des inégalités entre des clubs d’un même pays aussi. Regardez ce qui s’est passé la saison dernière : records de points pour la Juve en Italie, le Bayern champion d’Allemagne le plus tôt de l’histoire de la Bundesliga, en  France le PSG a le record de points pour un premier et Monaco le record pour un deuxième de l’histoire. Dans le reste de l’Europe, l’Olympiakos a gagné 15 des 16 derniers championnats. Pareil en Suisse, en Croatie, en Écosse… On peut continuer comme ça encore ! Aujourd’hui les budgets des clubs sont quasiment déterminants du résultat sportif. Pourtant, ce qui fait l’intérêt du football, c’est l’incertitude du résultat. La surprise est toujours là mais elle se situe entre clubs devenus très prévisibles. Je ne suis pas le seul à reprendre ces positions-là, que ce soit le pape ou Obama dans le domaine politique, on dénonce la même chose. Dans le football, il y a le président de la Football Association, Greg Dyke, et le directeur général de la Bundesliga, Christian Seifert. En Espagne, le combat sur la globalisation est très fort pour corriger les inégalités et centraliser la vente des droits TV vendus aujourd’hui individuellement par les clubs. Pour cela, il faut une FIFA plus forte, plus démocratique, plus proactive et plus volontariste, pour corriger les inégalités dans les pays en situation de déséquilibre.

 

Vos futurs adversaires sont connus: Sepp Blatter et Michel Platini. Vous ne craignez pas de vous mesurer à de tels clients ?

– D’abord, ils ne se sont pas encore déclarés. On verra. Ensuite ma démarche n’est pas déterminée par rapport aux autres. La FIFA et le football ont besoin d’une modernisation. On a besoin de les entraîner dans ce 21e siècle et en même temps continuer ce qui a été bien fait pendant 40 ans par les présidents Havelange et Blatter. Aujourd’hui, le monde a changé, le football aussi. Il n’y a pas d’attaques contre monsieur Blatter ou monsieur Platini, mais plutôt un débat d’idées et des propositions pour réformer ce qui est nécessaire. Il faut reconnaître que l’image de la FIFA doit être améliorée et l’élection présidentielle de 2015 doit servir à ça. Ce sera l’occasion d’un vrai débat démocratique sur quel football nous voulons préparer en 2015 pour 2030 à l’occasion des 100 ans de la Coupe du monde. Est-ce qu’on veut un football élitiste qui va renforcer ce qui est en train de se faire ou garder un football universel ? Je donne toujours comme exemple le basket. Le football risque de finir comme le basket qui a la NBA, et tout tourne autour de ce grand championnat américain avec pas beaucoup d’intérêt des pour les compétitions de sélections mondiales. Le risque du football c’est d’en arriver à ça.

 

Blatter est un gestionnaire expérimenté. Platini un défenseur crédible du jeu. Et vous, quel type de président voulez-vous être ?

– Moi, je veux être proche des fédérations nationales. Proche de la base. Pour moi, la base ce sont les joueurs et les clubs. Les clubs c’est comme la famille dans nos sociétés. C’est un élément de racines, de l’identité, un endroit ou on éduque les jeunes. Et puis, il y a les fédérations. N’oublions pas que la FIFA a été créée par et pour les fédérations nationales. Pendant 11 ans, monsieur Blatter m’avait demandé d’être leur interlocuteur. Donc je veux leur rendre tout leur pouvoir. Actuellement, ce sont les confédérations qui jouent un grand rôle, mais elles ne sont pas membres de la FIFA. Elles dirigent le comité exécutif alors que ça ne devrait pas être le cas.

 

Que préconisez-vous ?

– Moi, je suis un citoyen du monde. J’ai visité près de 150 pays dans le monde, dont l’île Maurice. Ma famille est ‘globalisée,’ on parle plusieurs langues à la maison. La force du foot c’est le mot MONDE. Je ne veux pas d’une FIFA centrée sur l’Europe mais comme l’a fait monsieur Blatter, ouverte sur le monde. Aujourd’hui le monde change, le football change, donc la FIFA doit s’adapter à tous ces changements.

 

Ces dernières années, de nombreux scandales en tous genres ont éclaboussé la FIFA, au point ou des fans de football disent sur des blogs que FIFA rime avec mafia. Comment réagissez-vous à cela ?

– Moi, ça me fait beaucoup de mal d’entendre ça, c’est très triste. J’ai travaillé pendant 11 ans à la FIFA et la FIFA n’est pas une mafia. Il y a trois mois, le Daily Telegraph a révélé que l’ancien président du Qatar de la confédération asiatique (AFC) a donné 2 millions de dollars à l’ancien président de Trinidad, Jack Warner, de la CONCACAF et tous les médias disent que c’est la FIFA alors que ça implique deux confédérations, pas la FIFA. Mais je suis d’accord sur le fait que la FIFA doit s’améliorer. Par exemple, j’ai proposé que les candidats à la présidence pourraient venir débattre, en direct à la télé, face aux fans de foot du monde entier, avec un modérateur qui recevrait les questions. Pourquoi pas ? Il faut changer de style. Un tel débat permettrait d’améliorer l’image et d’avoir de la transparence. Car beaucoup de gens ne savent pas comment fonctionne la FIFA. Ils pensent que le président est tout puissant, alors que ce sont les confédérations qui contrôlent le comité exécutif. Toutefois, c’est vrai qu’il y a un problème d’image et c’est pour ça que je me présente…

 

Que pensez-vous de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar qui suscite une vague d’indignation dans le monde ?

– C’est très simple : j’ai vécu dans le golfe arabe et je trouve très bien qu’on amène la Coupe du monde dans cet endroit qui ne l’a jamais organisée. On a un principe dans une démocratie, et Maurice en est une, c’est injuste d’accuser un pays, le Qatar, tant que l’enquête n’est pas terminée. On n’est pas coupable tant qu’on n’est pas reconnu coupable. Ceci dit, il y a trois problèmes avec le Qatar. Le premier c’est la condition des ouvriers du sous- continent indien, surtout le Népal. C’est totalement inacceptable. On ne peut pas aller à la Coupe du monde, célébrer le football en connaissant cette situation. Deuxième problème : la date. Pourquoi a-t-on voté en sachant qu’on ne pouvait pas jouer ? Troisième problème : les allégations d’influence politique, par exemple de Sarkozy sur Platini, les accusations d’achat de voix, les accusations d’alliance entre les partis ce qui était interdit. Donc, on doit savoir…

 

Si vous devenez le prochain boss de la FIFA, vous donnez le Mondial 2022 à qui, si jamais il est retiré au Qatar ?

– Si jamais il est retiré, on pourrait revoter. Moi, je suis plutôt en faveur d’appliquer la jurisprudence du comité olympique : quand vous savez qu’un médaillé d’or est positif pour dopage, on retire la médaille et on la donne à celui qui avait l’argent, en l’occurrence ce sont les États-Unis qui étaient arrivés deuxième du vote pour 2022, derrière le Qatar. Mais dans ce cas-là, il faudrait donner le Coupe du monde 2026 à l’Asie. Trois candidatures se dégageraient alors : Inde, Chine et Indonésie avec des candidatures traditionnelles comme le Japon, la Corée, l’Australie et peut-être une candidature arabe répartissant la Coupe du monde sur l’ensemble des pays du Golfe. Trois pays où le football est une passion et où il peut se développer. Mais une fois encore, attendons les résultats de l’enquête…

 

Pelé soutient votre candidature. C’est une alliance mûrement réfléchie ou un ami de longue date ?

– Les deux (rires). J’ai eu le privilège de connaître Pelé en 1995-96 quand il était ministre des Sports au Brésil et moi le n°3 de l’ambassade de France à Brasilia. On a commencé à travailler ensemble sur la Coupe du monde en France puis on est devenu amis. On a beaucoup discuté sur le football. Il est très engagé dans la lutte contre le racisme et avait soutenu l’Afrique du Sud pour sa candidature au Mondial 2010. Il a notamment changé les règles des transferts de football au Brésil. Pour moi, c’est un grand honneur   qu’il soutienne ma candidature. C’est le plus grand joueur de l’Histoire, je ne peux pas faire de bêtises (rires). Pelé, est quelqu’un de très engagé dans le foot, il a une vraie vision.

 

À Maurice, on a eu un problème de matches truqués l’année dernière. Comment pensez-vous pouvoir endiguer ce fléau ?

– Si on revient sur le football mauricien, on pense aux émeutes de 1999 où il y a eu cette politique de changement dans les clubs. Moi, je venais d’arriver à la FIFA et j’ai suivi ce problème de près. Aujourd’hui, le problème du football mauricien, c’est qu’il produit des talents comme Lindsay Rose, Vikash Dhorasoo ou Kevin Bru (qui sont directement Mauriciens ou simplement d’origine), mais cependant, après la réforme de 1999, il y a de moins en moins de personnes au stade à un moment où les matches de Premier League arrivent en permanence à la télé… C’est très difficile de développer le football comme ça. J’ai vu que vous avez une nouvelle direction avec Samir Sobha et un nouveau projet sportif. Il n’y a effectivement pas d’autre solution que de professionnaliser le foot. Dhorasoo est le joueur d’origine mauricienne qui s’est le plus distingué dans le football. Cela veut dire qu’avec de bonnes conditions, on peut avoir de grands joueurs mauriciens. Dans le monde, on a déjà beaucoup de dirigeants d’origine indienne qui dirigent des fédérations. Je suis convaincu qu’il y a des talents mauriciens, c’est juste une question de travail. J’espère que la nouvelle équipe de Samir Sobha va travailler dans ce sens et que la FIFA va l’aider. Il n’est pas normal que la ligue anglaise gagne autant d’argent en droit télés sans rien investir dans les pays où elle diffuse ses matches. Par exemple, la Ligue anglaise perçoit 40 millions de dollars de l’Inde mais ne réinvestit rien là-bas. Comment voulez-vous développer votre football comme ça ? C’est une concurrence déloyale pour les joueurs des championnats locaux. La FIFA doit intervenir. Dans mon programme, je dis que la FIFA doit investir un pourcentage des bénéfices TV dans tous les pays où des championnats étrangers sont diffusés. Il va falloir rééquilibrer ça. Je veux une FIFA plus forte.

 

La Ligue 1 vient de reprendre ses droits. Que pensez-vous des nouveaux riches : PSG et Monaco ?

– Comme je le disais, ça crée un déséquilibre. Le club qatari à Paris ne fait jouer qu’un ou deux joueurs français. Monaco, c’est un club russe qui joue à l’étranger. Ensuite, il y a 18 clubs qui jouent pour finir troisième. Cela crée des inégalités à l’intérieur même d’un championnat. PSG et Monaco attirent l’attention mais au détriment des 18 autres… Aujourd’hui, St. Étienne est un modèle, en misant beaucoup sur la formation, une politique salariale modérée et des billets de match pas chers. De manière générale, il faut suivre le modèle allemand, avec des clubs solides. Chez vous à Maurice, ce qui était intéressant c’est que les clubs avaient une véritable identité avant. Il faut revenir à ça. Bien sûr, il faut éviter la violence qu’il y a eue dans le passé. Il faut renforcer le foot professionnel. Le club c’est une identité. Comme une équipe nationale. Je souhaite bonne chance à Samir Sobha et son équipe.

 

Lien vers le site web de Jérôme Champagne: http://www.jeromechampagne2015.com/programme.html