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Ashok Subron, leader de Rezistans ek Alternativ : «Le Parti travailliste a oeuvré pour une démocratisation de la bêtise !»
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Ashok Subron, leader de Rezistans ek Alternativ : «Le Parti travailliste a oeuvré pour une démocratisation de la bêtise !»
Il tire plus vite que son ombre. Mais plus Zorro que Lucky Luke, le syndicaliste, qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui est sur tous les fronts, n’hésite pas à dire le fond de sa pensée. Surtout sur le dégoût des jeunes envers la politique…
Industrie sucrière, transport en commun, port... Vous êtes sur tous les fronts. Ne lorgnerez-vous pas la place du leader de l’opposition par hasard ?
Pas du tout ! Je ne fais que militer aux côtés de mouvements qui contestent l’inégalité salariale et qui ont déjà une tradition de combativité. Ces secteurs, il faut le rappeler, ont été porteurs de grands combats syndicaux pour une émancipation politique et sociale tout au long de l’histoire du pays. Je vous parle des années ‘40 et ‘70.
Votre bataille au sein de l’industrie sucrière est souvent assimilée à une sorte de chantage. Quand allez-vous toucher au but ?
Il faut savoir que l’industrie sucrière est contrôlée par ces mêmes grandes sociétés qui se sont enrichies depuis la période de l’esclavage. Elles se sont davantage rempli les poches avec la réforme enclenchée en 2000. Malheureusement, cette bourgeoisie refuse de s’embarquer dans un processus de partage avec ceux qui s’échinent aux champs et à l’usine. Zot pe pinayer.
Elle doit sûrement avoir des raisons de ne pas jouer au Père Noël, non ?
La réforme de l’industrie sucrière a créé une nouvelle architecture de rentabilité et de revenus. Il y a d’abord le financement de la réforme et le non-paiement de la taxe pour la conversion des terres agricoles en morcellements résidentiels. Sans compter l’accaparement de la production électrique, le recours aux travailleurs saisonniers ainsi que la transformation du sucre. Il faut se rendre à l’évidence : cette oligarchie n’a nullement été déstabilisée par la restructuration du marché mondial du sucre. Entre 2011 et 2013, les profits et les dividendes d’une seule société ont connu une croissance de 110 %. Alors que ces sociétés versent des dividendes mirobolants à leurs actionnaires, les artisans et les laboureurs n’ont pas connu de hausse salariale depuis 2000. En 2010, il y a bien eu une révision de 10 % mais elle n’a rien apporté en termes de pouvoir d’achat pour ces personnes.
À combien estimez vous le coût d’une hausse salariale de 40 %, comme vous la réclamez, à l’industrie sucrière ?
En tout cas, ce ne sera pas moins que les dividendes qu’elle a versés à ses actionnaires. Saviez-vous que le salaire annuel d’un directeur d’un conglomérat sucrier, qui est présent au sein de plusieurs conseils d’administration, tourne autour de Rs 18,2 millions par an ?
Combien touchent un artisan et un laboureur de nos jours ?
Un laboureur de Grade 2 perçoit Rs 10 125 par mois, contre Rs 10 714 pour un artisan. Si on prend en compte le taux d’inflation entre 2000 et 2013, leur pouvoir d’achat a considérablement diminué. Vous me parliez de chantage... C’est le patronat qui a recours à ce type de subterfuge : il veut que le salarié travaille le dimanche, les jours fériés et les jours de congé accordés en début d’année contre une augmentation de misère. Sans la mobilisation des travailleurs, sans une grève, on n’aura pas de résultats. On va bien voir ce que le patronat va proposer à la Commission conciliation et médiation mardi. Les artisans et les laboureurs sont prêts à toutes les éventualités. Même à faire grève pour la coupe 2014.
Vous ramenez toujours la grève sur le tapis. Une révolte calquée sur le modèle des années de braise est-elle envisageable de nos jours ?
Notre pays est assis sur un volcan. D’un côté, on assiste à l’enrichissement effréné d’une petite poignée de nantis qui détiennent le pouvoir économique et qui modèlent la politique économique pour s’engraisser davantage. De l’autre, ceux qui détiennent le pouvoir politique favorisent des proches. Qu’ils soient Bleus, Rouges ou Orange, ils sont tous les mêmes. Ils veulent tout accaparer. Les terres sur les régions côtières sont offertes à des coteries. Les chiffres parlent : l’inégalité sociale augmente, tout comme l’endettement des ménages. La situation se détériore. La politique néolibérale asphyxie les services sociaux et ceux d’utilité publique. Ce n’est pas par hasard que des patients ont perdu un œil à l’hôpital de Moka ou que le taux de mortalité infantile augmente.
L’enrichissement indécent se juxtapose à une injustice salariale. Il y a actuellement une déconnexion entre les partis politiques et les aspirations des citoyens ordinaires. Surtout le dégoût que ressentent les jeunes ces jours-ci pour les grands partis traditionnels. Ce sont là les ingrédients d’une révolte. Mais je tiens à préciser que Rezistans ek Alternativ ne souhaite pas qu’on arrive à une telle situation. Nous sommes en faveur d’un projet de transformation de la société. Nous procédons à la construction d’un mouvement face au désengagement des forces politiques traditionnelles, davantage intéressées à pérenniser leur mainmise sur le pouvoir.
N’est-ce pas de l’idéalisme romantique ?
Maurice a connu le mouvement travailliste dans les années ‘40 et le mouvement militant juste après l’Indépendance. Nous, à Rezistans ek Alternativ, avons eu une réflexion approfondie sur la société mauricienne, ce qui nous a poussés à contester la Constitution, quant à l’obligation faite aux candidats de décliner leur appartenance ethnique lors des élections législatives.
N’êtes-vous pas en train de vendre «Rezistans ek Alternativ» comme une troisième force politique ?
Je dirais un troisième mouvement. Blok 104 a fait son travail : on aura droit à un amendement constitutionnel. D’autres mouvements ont émergé, composés de jeunes intellectuels, pour protester contre l’accaparement des plages publiques, par exemple. Les syndicats connaissent également un regain d’activité. Il faut continuer à maintenir la pression.
La possibilité d’une grève au sein du secteur du transport a conduit à une guerre des syndicats. Certains de vos camarades collaborent-ils avec le gouvernement ?
Il y a une unification au niveau des syndicats. Il y a peut-être eu des différends par rapport aux stratégies à adopter. C’est tout. Personnellement, je suis satisfait avec ce qui est fait au niveau du transport. Au niveau de Rezistans ek Alternativ ainsi que la General Workers Federation, nous prônons la démocratie participative et le travail de terrain. Ce sont là les secrets pour redynamiser l’action des travailleurs. D’ailleurs, mis à part le cas de Yousouf Sooklall, je n’ai pas vu de syndicaliste proche du pouvoir. Certains composent avec le système établi. Ils sont davantage des bureaucrates. D’autres privilégient une sorte de connivence avec le patronat et le gouvernement...
Vous ne faites sûrement pas référence au leader de l’opposition...
Ne m’en parlez pas. Le leader de l’opposition démontre la dégénérescence du Mouvement militant mauricien, un parti né durant les années de braise et qui a été l’incarnation de la transformation structurelle de la société mauricienne. Cette chute, Paul Bérenger la cultive depuis la fin des années ‘80. Ce parti, comme les autres partis traditionnels, est en panne d’idées. Vendredi, j’ai entendu le Premier ministre dire que la presse n’a pas d’idéologie. Permettez-moi de lui demander, à lui et à Paul Bérenger, quelle est donc leur idéologie ? Quelles idées incarnent-ils à part le mariage à venir et le partage des biens ? Le combat contre le virus communal est celui des jeunes de Rezistans ek Alternativ. Ces deux-là ont détourné leur combat à leur profit et ne seraient jamais venus avec un amendement. Ils sont même en train d’adapter la réforme électorale à leur agenda politique. Le projet de nouvelle république est également celui de Rezistans ek Alternativ et des mouvements de gauche.
Les Mauriciens doivent-ils être reconnaissants envers «Rezistans ek Alternativ» pour le futur partage de pouvoir entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ?
Vous êtes trop sarcastique ! Les Mauriciens ne doivent pas permettre aux politiciens d’accaparer leurs aspirations. Les Mauriciens sont contre le communalisme en politique. Ils doivent faire confiance aux mouvements alternatifs...
Donc voter pour vous...
L’histoire retiendra que le mini-amendement tire son origine du recours de Rezistans ek Alternativ devant la Cour suprême en 2005. On ne peut s’embarquer dans la IIe République pour le bon plaisir de deux personnes. C’est un mouvement de contestation qui pourra préparer une riposte contre un gouvernement rouge mauve. À notre niveau, nous n’avons pas encore décidé s’il y aura plus d’un candidat par circonscription. Nous sommes toujours en discussion avec les écologistes et les syndicats.
Si le mariage entre le PTr et le MMM est effectivement consommé, à combien estimeriez-vous le taux d’abstention aux prochaines élections ?
C’est la question qui fait débat au sein de notre mouvement. Il y a un réflexe chez les jeunes et ceux issus de la classe moyenne qui consiste à se distancer de la politique. Mais à chaque élection, chacun va accomplir son devoir civique. Je ne crois pas qu’il y aura beaucoup d’abstention. Ils auront simplement raison de ne pas accorder leurs votes à ceux qui les dégoûtent.
Un pronostic ?
Je ne vais pas répondre à cette question. Ces deux partis vont s’appuyer sur leur histoire respective et les moyens qui sont à leurs dispositions pour remporter ces élections. Ce sera aux mouvements alternatifs de faire la différence, pas une opposition disparate composée du Mouvement socialiste militant ou du Parti mauricien social-démocrate, qui ne sont plus crédibles, ayant à un moment donné été aux côtés de Navin Ramgoolam.
Le PTr a quand même œuvré pour la démocratisation de l’économie...
Une démocratisation de la bêtise, oui ! Au lieu de stopper les projets IRS, il a amené les projets ERS. Face à son manque de courage vis-à-vis des oligarques sucriers, il distribue des terres de l’État à ses protégés. Non, non et non ! Allez voir combien de proches du régime se sont enrichis. Rezistans ek Alternativ aspire à un amendement constitutionnel afin que toute famille pauvre puisse aspirer à un lopin de terre d’au moins 400 m2 pour y construire une maison, pas une boîte d’allumettes. Nous voulons une loi pour l’accès à l’information, pour une décentralisation de la gestion des collectivités locales et un pouvoir référendaire pour des questions d’intérêt national. Il faut aussi une participation des travailleurs dans les prises de décision au sein des conseils d’administration des corps parapublics et privés. Comme à la Cargo Handling Corporation Ltd. Ainsi, le salarié ne sera pas dans le flou quant aux décisions qui pourraient constituer un danger pour son avenir.
51 ans après le discours de Martin Luther King, «what dream do you have»?
Une transformation de la société mauricienne telle que je l’ai souhaitée lors de la révolte de 1975. J’ai confiance en la nouvelle génération. Sans rêve, on n’a pas de futur. Le rêve et l’utopie ont toujours été des éléments de transformation de la société dans l’histoire de l’humanité.
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