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Kerslay Melanie: «Il faut voter avec raison, et non avec passion»

18 septembre 2014, 12:44

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Kerslay Melanie: «Il faut voter avec raison, et non avec passion»

Kerslay Melanie, consultant en agrochimie, passionné de philosophie et du comportement humain, analyse la façon dont les Mauriciens votent. Il leur propose de se servir d’une grille afin de voter rationnellement. 

 

À l’approche des élections générales, vous parlez de la révolution rationnelle.  Expliquez-nous de quoi il s’agit.

 

Chaque personne fait la révolution à sa façon. Toute révolution naît d’abord dans la tête des individus. Normalement, elle arrive par l’émotion et la passion, au lieu de la raison. Or, il y a des élections importantes derrière la porte. Je souhaite que chaque électeur se serve de sa raison et utilise son esprit pour voter avec discernement.

 

Que proposez-vous pour faire cette révolution et voter en usant de sa raison?

 

Il faut d’abord savoir ce qu’on veut. Il faut faire un constat de la situation actuelle et de ce qu’on veut avoir à l’avenir. Notre futur dépend des valeurs et de la culture dans lesquelles nous croyons profondément. Donc, en se basant sur nos valeurs, il faut voir ce que les partis politiques proposent, en tenant compte des valeurs que nous défendons ou auxquelles nous croyons. Par exemple, si on croit en la protection de l’environnement, avant d’aller voter, on regardera ce qu’un candidat ou ce qu’un parti propose pour la protection de l’environnement et ce qu’ils ont fait par le passé. Ensuite, on les note selon leurs accomplissements ou leurs projets.

 

Justement, vous proposez une grille aux électeurs avec des critères spécifiques. Pourquoi cette grille et ces critères ?

 

Pour qu’une personne puisse réfléchir, il faut d’abord qu’elle structure son esprit. On ne peut pas réfléchir dans le vide. Il faut cette structure pour pouvoir donner notre point de vue et notre choix devient plus rationnel qu’émotionnel. J’ai choisi des critères que les gens considèrent comme étant nécessaires à leur bonheur. Par rapport à ces critères, ils réfléchissent tangiblement et concrètement. Ils peuvent déterminer quelles sont les solutions que les politiciens apportent en se basant sur ces critères. Par exemple, dans la grille, je parle du combat contre la misère ou la corruption. Les Mauriciens doivent poser des questions par rapport à ces critères. Ils doivent aussi interpeller les politiciens sur ces critères. Ils doivent chercher des informations sur chaque point avant de finalement décider pour qui voter après avoir attribué des points.

 

Vous demandez donc aux Mauriciens de ne plus voter par conviction politique?

 

Je vous donne un exemple. Il y a beaucoup de passionnés de football à Maurice, notamment des fans de Manchester United et de Liverpool. Ils affichent ouvertement leurs couleurs avec des tee-shirts et des drapeaux. Cependant, si ces deux équipes ont un match très important à jouer, les fans ne vont pas forcément miser une grosse somme d’argent sur leur équipe préférée, même si ce sont des inconditionnels. Ils pèseront le pour et le contre. Ils feront des analyses. C’est la même chose en allant voter. Quand on vote pour un parti ou pour un candidat, c’est un investissement dans le pays et c’est aussi une forte somme d’argent qui sera investie directement ou indirectement. Et c’est notre argent car nous payons la taxe. Donc, pour utiliser cet argent à bon escient, il faut l’investir dans la bonne équipe.

 

Vous voulez dire qu’après 46 ans d’indépendance, les Mauriciens ne savent pas voter ?

 

Oui, il y a un constat à faire. Les Mauriciens sont très émotionnels, comme beaucoup de citoyens dans les pays d’Afrique. Dans de nombreux pays où il y a un parti qui a apporté l’indépendance et le droit de se syndiquer, on dit: «Parce que ce parti nous a donné tout cela, il faut soutenir ce parti.» Entre parenthèses, je tiens à préciser que je n’appartiens à aucun parti ni à aucun mouvement. Nous avons aussi tendance à penser en termes de «communauté». Nous croyons que tel individu de tel parti apportera quelque chose à notre communauté. 

 

De plus, l’absence d’information n’aide pas les électeurs. Ils ont peu d’informations sur le programme proposé et ils ne cherchent pas à avoir l’information nécessaire. Je ne comprends pas pourquoi aller dans des meetings pour avoir des informations afin de voter. Ce n’est pas une bonne source. Il y a des analystes politiques qui écrivent, c’est bien, mais il faut des analyses détaillées sur chaque parti. Parfois, l’information existe, mais on ne va pas la chercher.

 

Vous demandez aux Mauriciens de changer leur façon de voter? Est-ce réalisable?

 

Il y a déjà une bonne partie de la population qui vote ainsi, mais ce n’est pas la masse. Ce groupe n’est pas assez conséquent pour avoir un impact sur le résultat. Nous voulons que ce groupe devienne la masse critique car la majorité des Mauriciens vote par passion alors que la minorité vote par raison. Proposer une grille peut aider ceux qui votent émotionnellement. Il est temps de changer car nous, Mauriciens, sommes intellectuellement avancés.

 

Les leaders politiques parlent de 60-0. Ils savent déjà que les Mauriciens votent par passion…

 

J’appelle cela le conditionnement de l’esprit. Ils parlent de 60-0 pour conditionner l’esprit des électeurs, pour leur dire que «nous sommes les plus forts». L’être humain s’attache toujours aux vainqueurs. Pour ne pas faire partie des perdants, on va voter comme les politiciens nous demandent de voter. Il faut déconditionner notre esprit. Il faut avoir de la volonté pour faire cela.

 

Il y a aussi le fait que les grands partis attirent des membres ayant une certaine notoriété, un certain bagage, voire qui sont considérés comme des intellectuels...

 

Vous voulez dire que les grands partis ont des grands intellectuels et les petits partis des petits intellectuels. Je ne le crois pas. Les grands partis ont de gros moyens et ils sont plus visibles sur le marché. C’est un peu du marketing. Le public associe souvent la visibilité à ce qui est meilleur et il pense que quand une chose n’est pas visible, c’est qu’elle n’est pas bonne. Il faut prêter l’oreille aux petits partis qui ont aussi de bonnes choses à dire. Des choses crédibles et des idées intéressantes.

 

Il y a également notre système électoral qui a certaines failles…

 

Non. Il ne faut pas chercher des faiblesses ailleurs. C’est notre mentalité qu’il faut changer.

 

Pensez-vous que les Mauriciens vont adopter votre grille?

 

Il y a un début à tout. Je pense que cela fera un effet boule de neige. Pour les prochains élections, l’impact sera peut-être minime, mais je suis convaincu que petit à petit, les Mauriciens commenceront à changer leurs habitudes de vote.