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Jean-Cyril Monty, agronome et directeur de Solid Waste Recycling Ltd: «La Chambre d’agriculture n’existe aujourd’hui que de nom»

8 octobre 2014, 10:57

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Jean-Cyril Monty, agronome et directeur de Solid Waste Recycling Ltd: «La Chambre d’agriculture n’existe aujourd’hui que de nom»
 
Face à l’augmentation de l’enveloppe consacrée à l’importation de produits alimentaires, il existe des solutions, fait remarquer Jean-Cyril Monty. Ce consultant a réalisé plusieurs études pour des organisations internationales telles l’Union européenne, la Commission de l’océan Indien et des organisations privées étrangères.
 
 
D’année en année, la dépendance de Maurice de l’étranger pour nourrir sa population ne cesse de s’accentuer tant en termes de volume qu’en termes de valeur. Est-ce une fatalité ?
Non, ce n’est pas une fatalité. Maurice a toujours été un importateur net de produits alimentaires. Plusieurs raisons expliquent cette situation, notamment sa superficie restreinte en terres agricoles, les conditions climatiques défavorables à certaines cultures, le coût de production élevé, etc. La situation qui prévaut actuellement relève d’un choix fait au début des années 2000 et qui consiste à favoriser l’importation de produits alimentaires plutôt que d’en produire localement.
 
Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, un saut dans le temps est nécessaire. Avant la libération du commerce international, qui a entraîné l’élimination graduelle des taxes douanières, les prix des denrées de base sur le marché international étaient plus ou moins abordables, et ce malgré les fortes taxes douanières à l’entrée. Il était plus intéressant pour Maurice d’importer que de produire localement. Le choix devait se faire entre deux approches. La première était favorable à ce que Maurice augmente son seuil d’autosuffisance alimentaire et produise donc davantage.
 
La seconde optait pour l’importation vu que le coût de produire localement revenait à plus cher. C’était l’époque de l’abondance sur le marché mondial. En Europe, la politique agricole commune battait son plein. L’Europe subventionnait massivement la production agricole de ses États membres. Ce qui aboutissait inévitablement à une surproduction. Le dumping devint inévitable. Le continent africain, incluant Maurice, allait tirer avantage de cette aubaine au détriment de sa production nationale.
 
Avec la libéralisation du commerce international, la situation va changer drastiquement avec les cours mondiaux qui commencent à augmenter, auxquels viennent se greffer petit à petit les changements climatiques : pluies torrentielles, sécheresses, typhons, etc. Deviennent plus fréquents. Cela résultait en une baisse mondiale en matière de produits alimentaires, qui a atteint son paroxysme en 2008. Maurice a été pris de court. Le pays n’a pas pu et n’a pas su se préparer à faire face à cette situation.
 
On est encore loin, très loin de l’être de nos jours. Maurice va donc subir les effets collatéraux du choix arrêté au début des années 2000 et qui favorisait l’importation au détriment de la production locale. On a été pris dans la spirale qui ne nous a permis ni de revoir la situation ni de faire un bilan de manière à insuffler une nouvelle dimension à notre secteur agricole. La situation s’est aggravée avec la baisse du prix du sucre sur le marché européen qui, dans son sillage, a entraîné une refonte de l’industrie sucrière. Aujourd’hui, l’agriculture est remise en question. Beaucoup d’incertitudes planent sur le secteur. La filière de la production alimentaire subit les effets de cette tendance.
 
Si ce n’est pas une fatalité comment le pays peut-il en faire une opportunité ?
En examinant les données disponibles, on se rend compte que 90 % de nos importations sont constituées de produits transformés et de matières premières destinées à la transformation. C’est une indication indéniable de l’importance des produits transformés dans notre alimentation. Il est possible d’envisager la fabrication de certains produits à forte valeur ajoutée mais pas n’importe lesquels.
 
Les opportunités existent bel et bien. Maurice est un pays importateur net en termes de produits alimentaires. Le volume annuel des importations nettes tourne autour de 575 000 tonnes pour un montant de quelque Rs 20 milliards. Selon les données de Statistics Mauritius, la plus importante partie de notre production agricole non sucre est composée de légumes frais, Or, la grosse majorité de cette production ne peut être transformée vu que les variétés que l’on cultive ne s’y prêtent pas.
 
Deuxième constat : la quasi-totalité des produits qui sont transformés à Maurice le sont à partir des matières premières importées. Je ne fais pas partie de ceux qui estiment qu’une expérience sur quelques mètres carrés offre suffisamment de garantie pour lancer un projet de production à grande échelle de certains produits dont le blé.
 
Certains produits qui étaient déjà cultivés à Maurice dans le temps, peuvent être réintroduits. Des grains secs par exemple. Cependant, ce sont les perspectives de la valeur ajoutée que de tels produits peuvent générer qui devraient déterminer leur sélection. On va continuer à produire jusqu’à un certain seuil d’autosuffisance dans le domaine des légumes frais. Toutefois, l’enjeu est ailleurs. Il s’agit de produits pour lesquels nous dépendons essentiellement des importations et qui nous coûtent des centaines de millions de roupies annuellement.
 
À quoi peut-on attribuer la tendance à transformer la terre nourricière en biens immobiliers ?
Cette situation résulte d’une politique visant à favoriser le développement des projets immobiliers et à attirer des fonds de l’étranger. Il est clair que les terres susceptibles de servir à la réalisation d’un tel développement économique sont majoritairement celles qui sont sous culture de la canne et indirectement destinées en partie à la production alimentaire.
 
Les activités agricoles en tant que telles ne sont pas aussi rentables que les initiatives réalisées dans le secteur immobilier. Il est compréhensible que les propriétaires de ces terres veuillent rentabiliser leur revenu au maximum.
 
Il est un fait que ces mêmes propriétaires sont les établissements sucriers qui sont les plus gros propriétaires fonciers à Maurice. Il y a quand même une urgence à trouver un juste équilibre entre les exigences de ce nouveau pôle de développement économique qui, inévitablement, ont une incidence directe sur la réduction de la superficie sous canne et la nécessité de relancer la production alimentaire. Cela pourrait peut être se faire si toutes les parties concernées y croient vraiment.
 
Quelles sont les possibilités que l’industrie sucrière consacre davantage de terre à la production agricole alimentaire?
Il est prématuré de croire que les propriétés sucrières vont spontanément diversifier dans le but de favoriser la production agricole alimentaire. L’expérience qu’elles ont faite dans ce domaine a laissé des traces indélébiles. Nous sommes en 1974. La crise pétrolière frappait de plein fouet. Le pays n’avait pas suffisamment d’argent pour s’acheter de quoi nourrir la population. La Chambre d’agriculture n’a pas hésité à répondre à l’appel du gouvernement d’alors et à lui apporter tout son soutien pour la relance de la diversification agricole. Un dialogue permanent a été mis en place entre le gouvernement et la Chambre, aidé en cela par un High Powered Committee. La mise en place de cette stratégie de diversification agricole, axée sur la substitution à l’importation, va déboucher entre autres sur la production de la pomme de terre, du maïs, de grains secs, de riz et d’autres cultures sur les terres à canne. L’élevage bovin pour la production du lait et de la viande ainsi que celui du cerf et des poulets étaient également à l’agenda. Très vite, les propriétés sucrières vont se rendre compte, malgré tous les efforts entrepris que la production locale n’était pas compétitive vis-à-vis des importations. Pour dynamiser la production alimentaire, le gouvernement met en place, en 1988, une législation incitant les propriétés sucrières à utiliser davantage leurs terres, incluant la location aux petits planteurs, contre une ristourne sur la taxe de sortie sur le sucre, selon un barème bien établi. Les propriétés sucrières ont donc produit sans se soucier de savoir si toute la production allait être écoulée. L’enjeu était évidemment de récupérer une bonne partie de la taxe sur l’exportation du sucre. Les produits étaient vendus à l’encan. Le surplus a occasionné une chute des prix, affectant ainsi les petits planteurs.
 
Les propriétés sucrières qui se sont engagées dans la production de lait et de maïs allaient elles aussi connaître le désenchantement. Avec la politique agricole commune de l’Europe, le lait produit localement était nettement plus cher que celui importé, ce qui affectait indéniablement son écoulement. Le maïs produit localement était vendu à Rs 5 000 la tonne alors que le produit importé d’Afrique du Sud, notre principal fournisseur d’alors, coûtait Rs 2 500 la tonne. Il s’en est suivi un gel du prix garanti afin de décourager les producteurs à continuer dans cette filière.
 
Graduellement, la majorité des propriétés sucrières se sont retirées de la diversification agricole alimentaire. Aujourd’hui, certaines le font encore mais les activités s’articulent autour des cultures spécifiques. La politique agricole alimentaire qu’on a connue entre 1980 et 2000, est chose du passé.
 
Les propriétés sucrières seraient-elles disposées à se remettre à produire si le gouvernement le leur demande?
Ce sera peut-être possible pour certaines cultures bien spécifiques en raison de l’économie d’échelle. Cependant, il faut se rendre à l’évidence que la relance de la production agricole alimentaire à Maurice ne peut se faire sans le secteur privé, à savoir les propriétés sucrières qui sont bien structurées et ont les terres appropriées. C’est une erreur de croire que les petits planteurs, à eux seuls, y parviendront. Une synergie entre les petits et les gros planteurs pourrait déboucher sur des résultats fort intéressants. Quant à savoir s’il est possible de convaincre les propriétés sucrières, de nouveau, à s’engager dans la production agricole alimentaire, c’est un autre débat.
 
Quels sont les facteurs qui empêchent et le gouvernement et le secteur privé d’être plus proactifs dans le domaine de l’autosuffisance ?
Il y a d’abord le fait que la formule arrêtée depuis les années 2000 n’a pas été ré-examinée jusqu’ici. Par ailleurs, la Chambre d’agriculture, qui représente les intérêts de l’ensemble des opérateurs agricoles, travaillait en étroite collaboration avec le gouvernement, ce qui facilitait bien des choses. Il y a eu certes des divergences d’opinion. Cependant, des compromis étaient trouvés la plupart du temps. On cherchait ensemble des solutions par rapport aux problèmes alimentaires auxquels le pays était confronté. Aujourd’hui, il est triste de l’avouer : nous avons une Chambre d’agriculture qui n’existe que de nom, qui est le reflet du déclin du secteur agricole. À l’époque, la Chambre était écoutée. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, l’élaboration de différentes politiques agricoles alimentaires du gouvernement est faite de manière unilatérale sans consultation avec le secteur privé. On n’aurait jamais vu cela dans les années 1980 à 2000.
 
Concrètement jusqu’à quel point une politique d’autosuffisance alimentaire peut-elle nous aider à réduire notre dépendance sur l’extérieur ou à en atténuer les effets ?
On peut augmenter notre seuil d’autosuffisance. Ce ne sera que de façon limitée. Il faut cibler certains produits importés à forte valeur ajoutée qui pourraient être fabriqués localement à moins cher et sur une grande échelle. Cependant, cette filière ne nous mènera pas loin. Ce qui m’inquiète beaucoup lorsqu’on évoque la possibilité d’augmenter notre seuil d’autosuffisance, c’est qu’à aucun moment, on n’évoque le problème de l’eau auquel le pays fera face. Avec les conditions climatiques prévalentes, il y aura de plus en plus de périodes sèches. Sera-t-on en mesure de maintenir le volume actuel de notre production ? Ou bien va-t-on régresser ? Depuis la construction du Midlands Dam, censé alimenter le secteur agricole du Nord, la question de l’eau n’a jamais été abordée. Force est de constater qu’aujourd’hui, l’eau du Midlands Dam est utilisée pour subvenir aux besoins de la population du Nord et même de la région de Port-Louis. C’est un défi auquel il faut faire face.
 
Vous avez été partie prenante de la rédaction de plusieurs rapports sur l’autosuffisance alimentaire pour des organisations internationales. Si vous devriez résumer vos arguments en trois principaux points quels seraient-ils ?
D’abord, un constat. C’est une erreur de croire que seuls, nous serons en mesure d’augmenter significativement notre seuil d’autosuffisance alimentaire pour ce qui est de Maurice. C’est quasiment impossible. Nous sommes un petit pays. Nous n’avons pas les infrastructures voulues. La solution est ailleurs. Dans la région, nous avons un géant. Il s’agit de Madagascar. Malheureusement pour les raisons que l’on sait, ce pays n’est pas parvenu à se développer durant ces dernières années. Il faut avoir une politique de sécurité alimentaire régionale. C’est sur ce facteur qu’il va falloir s’appuyer. Les pays faisant partie de la Commission de l’océan Indien importent annuellement l’équivalent de 2 milliards d’euros de produits alimentaires. Pas moins de 95 % des terres agricoles de la région se trouvent à Madagascar. Maurice et La Réunion sont les plus gros importateurs des produits alimentaires au niveau de la COI. Il est de notre intérêt de développer avec l’aide de Madagascar, une politique commune pour certains produits spécifiques.