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Raouf Gulbul, avocat: «Un mandat de sept ans n’est pas sain dans une démocratie»

7 novembre 2014, 13:13

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Raouf Gulbul, avocat: «Un mandat de sept ans n’est pas sain dans une démocratie»

Pour l’avocat, les élections législatives ne peuvent servir de référendum pour justifier l’avènement d’une IIe République. Il s’interroge aussi sur le fait que selon l’accord PTr-MMM, le pouvoir de dissoudre l’Assemblée appartiendra à quelqu’un qui est hors du Parlement.

 

Vous avez déclaré qu’il faut un référendum ayant recueilli 75 % des voix et un vote unanime de l’Assemblée nationale pour établir la IIe République. Certains de vos confrères, dont Nilen Vencadasmy, vous contredisent. La question est-elle ouverte au débat ?

Il y a des opinions contraires qu’il faut analyser. Pour amender les articles 1 ou 57 (2) de la Constitution, il faut obtenir 75 % des votes lors d’un référendum et l’approbation de tous les membres de l’Assemblée nationale. L’article 57 (2) établit le principe d’un Parlement quinquennal, à savoir qu’après cinq ans, le Parlement est  automatiquement dissous. Quant à l’article 1, il précise que Maurice est un «sovereign democratic state». C’est une phrase qui englobe beaucoup de choses. Par exemple, la Constitution ne mentionne pas la séparation des pouvoirs…

 

Est-ce un principe implicite à l’article 1 ?

Le Privy Council a donné une interprétation de cet article à deux reprises. Une première fois dans l’affaire Ahnee en 1999 (NdlR, une affaire d’outrage à la cour). Les Lawlords ont déclaré que «Mauritius is a parliamentary democracy on the Westminster model», donc l’article 1 implique que Maurice est une démocratie parlementaire. Puis vient l’affaire Khoyratty (NdlR, un jugement de 2006 sur une loi privant une personne avec des antécédents, arrêtée pour un délit de drogue, de bénéficier d’une caution). Le verdict affirme que la séparation des pouvoirs est comprise dans l’article 1 : le judiciaire, l’exécutif et le législatif ne peuvent empiéter sur leurs pouvoirs respectifs. L’article 1 prend tout son sens quand on regarde la Constitution dans son ensemble. À aucun moment il n’y est fait mention d’une démocratie présidentielle. Voilà pourquoi j’avance que pour changer notre démocratie parlementaire en démocratie présidentielle, il faut un référendum.

 

Le PTr-MMM propose que le Parlement continue à voter des lois et que le Cabinet prenne des décisions sous la direction du Premier ministre. Est-ce qu’au fond, on abandonne vraiment la démocratie parlementaire ?

Nous n’allons pas totalement vers un système présidentiel. Mais il y a un détail qui change tout. Actuellement, le Premier ministre est le leader of the house : c’est lui qui a le pouvoir de demander au président de dissoudre l’Assemblée. Il n’y a que dans l’éventualité d’un vote of no confidence que le président peut prendre cette décision seul. C’est un pouvoir très limité. Or, l’accord PTr-MMM stipule que le président «may dissolve the National Assembly». Ça donne le pouvoir absolu de la dissolution au président. Ce pouvoir est transféré à quelqu’un qui est hors du Parlement.

 

Avoir un président avec des pouvoirs exécutifs ne modifie-t-il pas automatiquement notre interprétation de l’article 1 ?

Il y a des amendements mineurs qui ne touchent pas à l’article 1. Quand on dit par exemple que le président pourra s’adresser au Parlement, ce n’est pas un pouvoir, mais un privilège. Au contraire, la dissolution, ce n’est pas un privilège, mais un pouvoir additionnel. Dans l’affaire Khoyratty, le Privy Council a statué que la loi votée par le

Parlement était anticonstitutionnelle car elle usurpait le pouvoir du judiciaire. C’est comme si les parlementaires rendaient des jugements. Ça touche au principe de séparation des pouvoirs. Quand on transfère le pouvoir du Premier ministre au président, est-ce qu’on ne touche pas à la même question ?

 

 Quand le pouvoir du Premier ministre, qui est chef de l’exécutif, est transféré au président, qui fait aussi partie de l’exécutif, la séparation des pouvoirs ne reste-t-elle pas intacte ?

Le président n’a pas ce pouvoir dans notre Constitution actuelle. Il l’exerce à la requête du Premier ministre, pas selon sa volonté. Il y a une différence.

 

 Si l’alliance PTr-MMM obtient trois quarts des sièges de l’Assemblée, contesterez-vous cet amendement ?

N’importe quel citoyen peut contester cette loi. Certains en parlent déjà. Moi j’en parle comme avocat, pas comme quelqu’un qui compte la contester. Je peux faire partie d’un panel d’avocats dans l’affaire, mais c’est une opinion légale que je donne. La contestation de l’amendement constitutionnel ira jusqu’au Privy Council selon moi. Ça prendra du temps.

 

Il y a quelques mois, votre nom était cité comme candidat du MMM dans la circonscription n° 3. La question de la IIe République vous gênait-elle à l’époque ?

Mon nom était cité, c’est vrai, mais il n’y a pas eu de suite. Ce n’est pas pour cela que je dis que cet amendement n’est pas constitutionnel. Je donne un avis purement légal. Je précise d’ailleurs que je n’ai pas vu le projet de loi. Si, par exemple, il stipule que le président peut dissoudre l’Assemblée under advice of the Prime minister, cela change tout.

 

La proposition d’être candidat au n° 3 vous attirait-elle ?

À l’époque oui, j’étais intéressé.

 

C’est avec Paul Bérenger lui-même que vous en avez discuté ?

Je préfère que ce dont on a parlé en privé reste privé.

 

Allez-vous entrer en politique pour un autre parti que le MMM ?

À l’heure où je vous parle, je ne suis toujours pas politicien. Tout ce que j’ai dit est purement une interprétation de la Constitution. Ça n’a aucune connotation politique.

 

Avez-vous reçu des propositions depuis l’épisode MMM ?

À l’heure actuelle, je ne suis membre d’aucun parti et il n’y a aucune offre concrète. Il y en a eu de la part du MMM mais il y a eu des objections et il faut les accepter.

 

Nourrissez-vous toujours des ambitions politiques ?

Je vous répète que pour l’instant, je ne suis pas politicien. Demain, on verra bien…

 

Vous avez eu une longue carrière comme avocat. Pourquoi vous laisser tenter par la politique maintenant ?

Tout citoyen pense qu’il peut apporter sa contribution. Si l’on sent qu’on peut contribuer à un autre niveau, on peut aspirer à faire de la politique. Le Parlement a besoin de gens capables d’éclairer la Chambre sur les lois proposées à travers les débats.

 

Navin Ramgoolam a qualifié ces législatives d’élections référendum. C’est un simple slogan ou est-ce que cela signifie vraiment quelque chose ?

Un référendum est un processus bien distinct. On va interroger le peuple sur une question spécifique, comme récemment en Écosse. Je crois que c’est effectivement un slogan. On n’élit pas un gouvernement à travers un référendum. Les politiciens ont leurs propres terms of art.

 

Alors que le débat sur la limitation des mandats prend de l’ampleur, l’alliance PTr-MMM propose un septennat pour le président. C’est une bonne idée selon vous ?

Personnellement, je suis pour une limitation des mandats, comme c’est le cas aux États-Unis. Cela encourage le renouveau. C’est cela une démocratie. En France, le mandat du président est passé de sept à cinq ans. Je pense que c’est sain et moderne. Si cela s’applique aux grands pays, pourquoi pas Maurice ? Un mandat de sept ans, ce n’est pas correct dans une démocratie.

 

On constate un dégoût et une désillusion généralisés face à la classe politique. La responsabilité en incombe-t-elle aux politiciens eux-mêmes ?

Comme tout le monde, je constate ce qui se passe. Je ne peux pas m’aventurer plus loin que cela. C’est regrettable, mais à Maurice, quand une personne donne son opinion, on l’associe à tel ou tel parti. Pourtant, nous avons des esprits indépendants. Aujourd’hui, le débat contradictoire n’existe pas. On est arrivé au point où, si on donne une opinion contraire à ce que propose un parti politique, on devient automatiquement son adversaire. Je refuse de cautionner cela. Le droit à l’opinion contraire est un droit absolu pour lequel il faut se battre.