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Marc Touati, économiste: «La chute de l’euro ne fait que commencer»

1 mars 2015, 11:34

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Marc Touati, économiste: «La chute de l’euro ne fait que commencer»

L’économiste préféré des médias français donnait une conférence à Ébène, jeudi. L’occasion de décrypter un phénomène qui tourmente l’industrie d’exportation et le tourisme : la baisse continue de l’euro. Faut-il s’en alarmer ? Oui… et non, selon Marc Touati. Oui, parce que ce n’est que le début. Et non, parce que des parades existent.

 

C’est vrai tout ce que l’on écrit sur vous ?

Je ne sais pas, vous avez lu quoi ? Il faut se méfier des journalistes, vous savez (sourire complice).

 

Ils vous décrivent comme le «Monsieur Irma» de la finance, éconoclaste et pédagogue. Ça vous ressemble ?

(Rire) Je n’ai pas de boule de cristal ! Pédagogue, j’espère. Mon but est de démocratiser l’économie et la finance. Mais je vous l’accorde, on se demande parfois si les économistes n’ont pas été créés en solidarité avec les météorologues. Je suis le seul économiste français à faire chaque année le bilan de mes prévisions. Et je reconnais mes erreurs… qui sont rares.

 

Vous donnez 120 conférences par an, c’est un métier !

C’est une passion.

 

Pourquoi l’île Maurice ?

J’ai été invité par l’Association progrès du management (APM), dont je fais partie. Ça fait du bien d’être ici quand vous êtes Européen. Nous, la croissance, on a oublié ce que c’était. J’ai regardé les chiffres : depuis 1990, le PIB de l’île Maurice, hors inflation, a augmenté de 215 %. C’est une belle réussite. En France, sur la même période, on a progressé de 30 %.

 

Qu’aviez-vous à dire aux patrons mauriciens ?

Je leur ai expliqué ma vision de la crise, comment y faire face et j’ai donné mes prévisions pour 2015 et 2016.

 

Ils avaient le sourire en sortant. Qu’est-ce que vous leur avez raconté ?

(Rire) Qu’une crise est une phase d’opportunités. Celui qui baisse les bras est sûr de perdre.

 

Celui qui se retrousse les manches n’est pas sûr de gagner…

C’est vrai mais il a de grandes chances. Des crises, il y en aura toujours, la question est de savoir comment on s’en sort. La Chine sait : elle a 4 000 milliards de dollars de réserve de change. L’île Maurice, elle, doit diversifier ses sources de revenus, miser moins sur l’Europe et mettre l’accent sur l’innovation.

 

Le nouveau gouvernement promet un «deuxième miracle économique».Vous croyez aux miracles ?

Non. En économie tout se mérite, les réussites sont le fruit du travail. Et Maurice a tout ce qu’il faut pour faire du bon travail : une économie «libérée», une faible fiscalité, la paix sociale. Les dépenses publiques ne représentent que 24,5 % du PIB, c’est magnifique. Nous, Français, on est à 57 %. Aux États-Unis, un pays pourtant très libéral, ils sont à 38 %. Cela veut dire que l’État a les moyens de dépenser plus. Après, la dépense publique, c’est comme le cholestérol, il y a la bonne et la mauvaise. La bonne, c’est l’investissement qui crée un effet accélérateur : je mets 100 d’investissement public, je récolte 300 d’investissement privé.

 

Pour l’instant, l’économie mauricienne récolte des sueurs froides avec la chute de l’euro. Ce phénomène est-il durable ?

Oui, la chute de la monnaie européenne ne fait que commencer. L’économie américaine est en pleine reprise, elle va mieux que celle de la zone euro. Les Américains s’apprêtent à augmenter les taux d’intérêts alors que la zone euro va maintenirles siens proches de zéro. La roupie, par ricochet, va encore s’apprécier face à l’euro.

 

Cela fait longtemps que vous militez pour un euro plus faible. Pourquoi ?

Parce que la zone euro en a absolument besoin pour retrouver de la croissance. Le problème, c’est que ça vient un peu tard : nos pays sont déjà en déflation, ce qui est la pire des situations en économie. L’euro était une arme exceptionnelle que l’Europe a retournée contre elle. On a voulu un euro fort. On s’est battu contre une inflation qui n’existait pas et aujourd’hui on est en déflation. C’est ce que j’appelle «mourir guéri».

 

Il y a un an, contre un euro, une entreprise mauricienne encaissait Rs 41,5. Aujourd’hui, elle n’encaisse plus que Rs 37,5. Jusqu’où la chute ?

C’est difficile à dire, cela dépend de beaucoup de facteurs. Ce qui est sûr, c’est que les taux de change vont devenir de plus en plus défavorables pour ceux qui dépensent en dollars et encaissent en euros. Actuellement, c’est le pire des scénarios.

 

 L’euro peut-il passer sous la barre des Rs 35 cette année ?

C’est tout à fait possible. Cela dépendra en partie de la situation de la Grèce. Mais surtout, cela dépendra de vous. Il faut vous défendre, ne pas tout laisser entre les mains des Européens ! L’euro doit s’échanger à Rs 40-41. Si j’étais responsable de la Banque de Maurice, je dévaluerai la roupie de 10 %.

 

Quitte à créer de l’inflation ?

L’inflation n’a jamais tué personne. Maurice n’est qu’à 4 % d’inflation, il y a de la marge.

 

 Cela revient, pour la population, à «subventionner» le manque à gagner des entreprises lié au taux de change. N’est-ce pas injuste ?

Je ne crois pas. Une baisse de la roupie avantagerait les exportateurs mais pas seulement. Prenez un producteur mauricien qui ne vend qu’à Maurice. Appelons-le Satish. A priori, on se dit que les taux de change, Satish s’en fiche. Eh bien pas du tout. Quand la roupie s’apprécie par rapport aux monnaies étrangères, le prix des produits importés baisse. Satish se retrouve donc en concurrence déloyale avec des produits importés moins cher que le sien. Résultat, il perd des parts de marché. À l’inverse, si la roupie baisse, il retrouve de la compétitivité. Croire qu’une dévaluation n’avantage que les exportateurs est réducteur.

 

A plus long terme, comment se prémunir contre l’euro faible ?

Maurice doit absolument diversifier ses produits et ses marchés. Miser autant sur l’Europe est une erreur stratégique, surtout quand on a la chance d’être au carrefour de l’Asie et de l’Afrique. C’est rouge de la croissance mondiale depuis 2000. Ce n’est pas le bon client, et ça va durer. L’Europe est condamnée à la croissance molle. Ses partenaires sont donc condamnés à en trouver d’autres.

 

Et du côté des produits ?

La stratégie du «bas prix» a ses limites. Ce qui fait la force d’une économie, aujourd’hui, c’est sa capacité à innover, à développer des industries high-tech.

 

Le tourisme, le secteur financier, c’est fini ?

Ce sont déjà des locomotives, il faut en trouver d’autres. Maurice a su s’inscrire sur la carte mondiale du tourisme, le prochain challenge sera de marketer le pays comme une terre d’innovation et de high-tech. Exemple : les nanotechnologies. C’est l’un des secteurs les plus prometteurs. Ce n’est pas le seul. Dans l’agroalimentaire ou l’énergie, des révolutions technologiques arrivent. Maurice ne doit pas rater ce train-là.

 

Imaginons que vous êtes à la tête d’un groupe hôtelier mauricien. Vous devez valider votre grille tarifaire pour la saison 2016. Vous tablez sur un euro à combien ? 

Pour ne pas prendre de risque, l’idéal serait de budgéter l’euro à Rs 35. Mais là, vous n’êtes plus compétitif. Je placerais donc le curseur au niveau actuel, voire un peu en dessous, disons Rs 37 pour un euro. Et, à côté, je me couvrirais pour Rs 35 avec des instruments financiers.

 

C’est-à-dire ?

Il existe des produits financiers qui jouent le rôle d’assurance contre les fluctuations des devises. Moyennant une commission, je peux figer pour un temps donné le prix d’une monnaie. Je suis donc certain de ne pas perdre lors de la conversion de mes euros en roupies.

 

Et si entre-temps l’euro grimpe à Rs 40 ?

J’en profite aussi. C’est ce que les banques appellent les «options». C’est le meilleur moyen de se protéger contre  les risques de change.

 

Vous disiez que le cas de la Grèce serait déterminant pour l’avenir de l’euro et, par ricochet, pour le taux de change avec la roupie…

Oui, ce pays doit sortir de la zone euro. L’Europe a énormément aidé les Grecs, les banques et les États leur ont fait un cadeau de 350 milliards d’euros. Qu’en ont-ils fait ? Rien.

 

Le nouveau gouvernement a promisdes réformes… 

Je n’y crois pas. Les Grecs ont choisi un gouvernement d’extrême gauche, europhobe, dont le ministre de l’économie n’a cessé de dire qu’il faut effacer la dette. Je pense qu’on est en train de préparer la Grèce à une sortie de l’euro. Arrêtons de nous voiler la face, ce pays ne remboursera jamais sa dette. À la limite, ce n’est pas celle-ci qui m’inquiète, mais la prochaine. Ils réclament encore 20 milliards, c’est un puits sans fond. La Grèce doit quitter la zone euro. Elle doit le faire pour elle, pour pouvoir dévaluer sa monnaie et retrouver de la compétitivité.

 

Si elle le fait, la zone euro implose ?

Au contraire : l’Europe implose si elle fait un énième cadeau à la Grèce. Ce serait donner un bon point à un mauvais élève. Que va dire l’Espagne ? Votons pour l’extrême gauche et ils nous feront cadeau de la dette…

 

A force d’imaginer que la Grèce pourrait sortir de la zone euro, on a fini par oublier que le pays le plus enclin à claquer la porte pourrait bien être l’Allemagne...

C’est effectivement une possibilité. Angela Merkel commande des études régulières pour savoir combien coûterait à l’Allemagne la sortie de la zone euro. Là, ce serait une vraie implosion, une crise sans précédent. Pour des pays  comme Maurice, ce serait désastreux.

 

Cette crise, vous l’anticipiez en 2012 dans un livre intitulé «Quand la zone euro explosera».

Ce scénario est plus que jamais d’actualité ! L’histoire nous enseigne que sans union politique, les unions monétaires sont vouées à disparaître. Si on veut que la zone euro survive, il faut harmoniser les conditions fiscales, faire un marché du travail unique et s’entendre sur un budget fédéral. Sans cela, tôt ou tard, la zone euro explosera. Je pense que c’est le souhait des Allemands : recréer une zone à six ou sept pays capables d’avoir un budget fédéral.

 

Il y a donc deux scénarios possibles…

Voilà. Soit la zone euro explose de façon cataclysmique et c’est une crise mondiale. Soit on procède, comme je le souhaite, à une refonte en douceur.

 

Et si le premier scénario se réalise ?

Le vrai danger sera géopolitique. Les pays dits «développés» sont surendettés,leurs entreprises ont besoin de cash. Qui possède ce cash aujourd’hui ?Les pays émergents : la Chine et les pays du Golfe. Les Grecs avaient besoin de cash, ils sont allés voir les Chinois et leur ont vendu la moitié du port du Pirée. La Chine a les moyens de s’offrir une partie de l’Europe. Vous croyez que les Américains laisseront faire ? C’est là que ça devient dangereux.

 

Dans votre dernier livre, vous écrivez : «Ayant passé la première partie de ma vie dans les cités HLM d’Orly et la seconde dans l’univers bancaire et financier, tout en côtoyant les politiques,je pense qu’il y a autant de voyous dans ces trois mondes»…

(Il coupe) C’est un peu démago mais je maintiens…

 

Quand on côtoie autant de voyous, comment fait-on pour ne pas en devenir un ?

(Il réfléchit) J’ai eu de la chance. J’ai eu des règles de vie, une morale. Dans ma cité, oui, j’aurais pu mal tourner. Mais je ne voulais pas faire de peine à mes parents qui se sont sacrifiés. Ils venaient d’un milieu modeste et me disaient toujours : «On veut que tu ailles plus loin que nous.» Le drame de mon pays, c’est les enfants ne sont plus sûr du tout d’aller plus loin que leurs parents.