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Étienne Sinatambou, ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et du Commerce international «J’ai dans le viseur des milliardaires en dollars»

22 mars 2015, 12:11

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Étienne Sinatambou, ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et du Commerce international «J’ai dans le viseur des milliardaires en dollars»

 

Pourquoi cette discrétion médiatique depuis trois mois ?

Pour me familiariser avec mon ministère. Je déteste parler sans maîtriser les dossiers. Avant d’accorder de longues entrevues et de risquer de dire n’importe quoi, j’ai préféré faire le tour du propriétaire.

 

Qu’avez-vous découvert ?

Ce n’est pas le travail qui manque ! Un de mes officiers m’a demandé de recruter du personnel pour l’aider à gérer, tenez-vous bien, 2 000 dossiers ! Le plus gros morceau concerne le commerce international. J’ai découvert ses règles non écrites, ses subtilités,ses sournoiseries. Certains ont l’art de vous forcer la main pour parvenir à leurs fins. Si vous faites ceci, vous aurez cela, ça marche comme ça. On dit que la concurrence est la seule règle qui vaille, c’est faux, d’autres paramètres moins avouables entrent en jeu.

 

Vous découvrez que les États n’ont pas d’amis mais des intérêts ?

Je ne le dirai pas de façon aussi directe… mais il y a de ça.

 

 «Certains ont l’art de vous forcer la main», que voulez-vous dire ?

Prenez l’industrie textile du Lesotho. Ce pays, par an, fait un milliard de dollars de ventes aux États-Unis. Nous, on plafonne à 338 millions alors que notre main-d’oeuvre est plus compétitive. La différence se joue sur la «générosité» envers les investisseurs étrangers, sur les avantages fiscaux par exemple.

 

C’est un jeu que Maurice doit jouer ?

Surtout pas. Si vous donnez A, votre concurrent donne A+1. Vous donnez A+2, il donne A+3, ça n’en finit pas… Au final vous êtes perdant car vous n’êtes plus compétitif.

 

La tyrannie de l’investisseur-roi ?

C’est un peu cela. Je refuse de m’aligner sur cette surenchère.

 

On est foutu, alors ?

Mais pas du tout ! Maurice a d’autres atouts à faire valoir ! Notre plus belle carte, c’est le climat des affaires, la stabilité sociopolitique, la qualité de vie. C’est là-dessus qu’il faut jouer.

 

Et ça fonctionne ?

Pas toujours. L’autre jour, un investisseur vient me voir et me dit : «Monsieur, vos lois du travail m’incitent à plier bagage.» Ailleurs, effectivement, ses ouvriers travailleront peut-être 90 heures par semaine au lieu de 45 à Maurice.

 

Cela vous démange-t-il de lui répondre d’aller chercher des esclaves ailleurs ?

Je pourrais… mais les codes de la diplomatie me l’interdisent.

 

A priori, on se dit que la diplomatie et vous, ça ne peut pas coller. Un vilain préjugé ?

Un très vilain préjugé. Je suis un piètre diplomate avec les médiocres, ceux qui bâclent le travail. En dehors de ce contexte, je peux être un excellent diplomate.

 

Qu’est-ce qui vous faire dire cela ?

Arrivé à 51 ans, on se connaît un peu. Je suis un bon technicien, un homme de dossiers, cette qualité n’est pas négligeable quand vous gérez des accords avec 200 pays. Regardez, il y en a partout ! (Il montre une centaine de dossiers éparpillés aux quatre coins de son bureau). Ces trois premiers mois ont été durs mais je suis heureux, très heureux (sourire jusqu’aux oreilles). J’ai la chance d’avoir un travail passionnant qui va me permettre de faire de belles choses pour mon pays.

 

Lesquelles ?

Créer de la richesse, c’est ma feuille de route. La diplomatie est devenue essentiellement un levier au service de l’économie. Notre diplomatie doit donc renforcer son «réflexe économique», c’est ma priorité.

 

Comment se faire entendre quand on est le porte-parole d’un État-confetti ?

Pour se faire entendre, il faut d’abord se faire voir, quitte à jouer des coudes. Dans une négociation internationale, vous devez être à l’avant-plan, dans le peloton des négociateurs. Si vous êtes percutant, vous serez entendu. Se montrer pour être vu n’apporte rien. Il faut se montrer… intelligent et pertinent.

 

Pertinente la visite de Narendra Modi ?

Je n’en retiens que du positif. Maurice est peut-être le partenaire le plus privilégié de l’Inde.

 

Privilégié ?

Dans le sens où ce pays fait preuve de beaucoup de souplesse à notre égard. Je pense au traité de non double imposition mais pas seulement. L’Inde va nous aider dans plusieurs domaines, la pêche, l’économie bleue, le bunkering, la fibre optique… C’est plus qu’un partenariat, c’est une fraternité.

 

Considérez-vous la menace sur l’offshore levée ?

M. Modi a fait la promesse de «ne rien faire pour nuire» à ce secteur. C’est rassurant mais j’ai appris à être prudent.J’attendrai que les mots soient traduits en actes avant de dire que la menace est levée.

 

L’Inde a également débloqué Rs 18 milliards de crédits. Merci la Chine ?

Pourquoi la Chine ?

 

Ce prêt, c’est pour nos beaux yeux ?

Ou pour contrer la montée en puissance de la Chine dans la région ? Il ne faut pas voir le diable là où il n’est pas. La Chine contribue aussi au développement de Maurice.

 

Diablement langue de bois !

Mais pas du tout !

 

Celui que vous appelez «le diable», n’est-ce pas de la géopolitique ?

Même pas. Les sommes débloquées sont insignifiantes pour ces pays-là. Une lutte d’influence se joue à coups de milliards de dollars, pas à coups de millions.

 

En parlant de gros sous, c’est budgétivore un ministre des Affaires étrangères ?

Le budget annuel tourne autour d’un milliard. La moitié est allouée à nos 20 ambassades à l’étranger. 

 

Les grands pays commencent à doter leurs ambassades d’un «conseil économique» pour rechercher des investisseurs. Une idée pour Maurice?

Absolument, cette idée a d’ailleurs été enclenchée. Nous envisageons d’installer une dizaine de ces conseils.

 

Maurice souhaite ouvrir une ambassade en Arabie saoudite. Pourquoi est-ce si important d’avoir des copains saoudiens ?

Premièrement, nous n’avons pas d’ambassade dans le golfe Persique. Secondement, quitte à avoir des amis, autant qu’ils soient puissants… (on coupe)

 

D’où Rakesh Gooljaury ?

J’ai dit puissant, pas malfamé (sic). L’Arabie saoudite est non seulement la première puissance pétrolière du monde, mais elle abrite aussi les deux plus importants lieux saints de l’islam, ça a joué dans le choix de ce pays.

 

Avoir un nouvel ami qui finance le terrorisme, c’est un détail ?

Faut-il encore que ce soit prouvé… 

 

Vous êtes sérieux ?

J’ai l’air de blaguer ?

 

Vous me direz, le pays de l’AGOA a bien financé Al-Qaida…

Nous n’avons pas rompu nos elations diplomatiques avec les États-Unis, que je sache.

 

Revenons sur votre priorité.«Renforcer le réflexe économique», concrètement, ça veut dire quoi?

Cela veut dire tout mettre en œuvre pour susciter l’intérêt des investisseurs étrangers. Ce que nous leur «vendons», c’est une porte d’entrée avantageuse sur les marchés africains et asiatiques. J’ai dans le viseur des milliardaires en dollars. Le but est qu’ils investissent ici. Si je réussis, j’augmente la richesse de mon pays.

 

Réussir, c’est en convaincre combien au cours d’un mandat ? Un, cinq, plus ?

Je suis plus ambitieux que vous. En trois mois, j’ai déjà parlé à cinq milliardaires en dollars.

 

D’où et dans quels secteurs d’activité ?

Américain, asiatique et européen. Ils sont dans les nouvelles technologies, les télécommunications, les énergies renouvelables, le sport – je ne veux pas être plus précis – et la finance.

 

 Des noms…

Certainement pas, c’est trop tôt. 

 

C’est trop tôt ou c’est du bluff ?

Vous croyez que je prendrais le risque de bluffer en sachant que le Conseil des ministres peut me demander l’identité de ces personnes ? Allons… 

 

S’il y en a trois qui s’implantent à Maurice…

Ça change un mandat.

 

La diplomatie économique, c’est également mieux vendre le «Made in Mauritius». Comment ?

En exploitant mieux ce qui existe déjà. Prenez l’AGOA. Ce programme, comme chacun sait, offre un accès privilégié au marché américain. Ce que les gens savent moins, c’est qu’il couvre 6 200 produits – la liste fait 120 pages ! Or, 0 % de nos ventes se font sur un seul produit, le textile. Il y a forcément d’autres créneaux à saisir. Sur l’AGOA, cela fait quinze ans qu’on rate le coche.

 

Résumons. De formidables opportunités existent aux USA, tout le monde est passé à côté, heureusement, Étienne Sinatambou arrive…

Je ne suis pas le sauveur, je dis simplement que les États-Unis sont une terre d’opportunités délaissées parce que nous n’avons pas suffisamment réfléchi. L’Afrique du Sud, sous l’AGOA, exporte pour 3,6 milliards de dollars, ils font dix fois mieux que nous.

 

Le MSM, c’est dix fois mieux que le Parti travailliste ?

C’est très différent. L’écoute, la disponibilité, rien à voir. Rencontrer M. Ramgoolam était compliqué. Si j’appelle Anerood Jugnauth maintenant, il me reçoit dans dix minutes.

 

Vous avez rejoint le MSM en 2014 juste après la cassure du «Remake». Intégrer un parti quand il est au plus bas, c’est original…

Je ne suis pas un roder bout. Je ne me retrouvais plus dans le Parti travailliste. Le Dr Ramgoolam que j’ai connu n’a plus rien à voir avec celui qu’il est devenu. Et je sais de quoi je parle : j’ai été l’un de ses plus proches collaborateurs de 2000 à 2004.

 

Vous étiez donc au courant pour les coffres ?

Non.

 

Le «proche collaborateur» ignorait que le Premier ministre recevait beaucoup d’argent ?

Si vous insistez, je vais devoir sortir ma langue de bois diplomatique (sourire complice). Navin Ramgoolam m’a dit un jour qu’il avait en lui un «self-destruction button» – ce sont ses propres mots. Je crois qu’il a appuyé sur le bouton maisqu’il ne l’a pas fait seul. Kailash Ruhee, Subash Gobine, Bhinod Bacha, toute cette clique l’a aidé. La gent féminine aussi. Je le plains...

 

L’opposition parlementaire est internes pour avoir la tête au pays. Des citoyens s’en inquiètent, et vous ?

Je m’en inquiéterais si le gouvernement abusait de sa majorité des trois quarts. Cette opposition fragmentée est une aubaine, l’action gouvernementale ne sera pas ralentie par des broutilles. D’autres garde-fous existent. Au moindre impair, la presse ne se gênera pas pour nous tomber dessus.

 

La presse s’est longtemps régalée des «zistwar Sinatambou». Appartiennent-elles au passé ?

Ces histoires étaient mensongères. On a raconté tellement de choses… Je mettais des gens à genoux pour  u’ils implorent mon pardon pendant que je leur lisais la Bible, non mais n’importe quoi !

 

Vous avez arrêté ?

(Éclat de rire)

 

Vous paraissez assagi. Qu’est-ce qui a changé ?

Mais j’ai toujours été sage ! Ce qui a changé, c’est que je ne laisse plus passer le moindre mensonge. Vous écrivez une connerie sur moi, je vous traîne en cour.

 

Vos proches vous disent «intelligent et brillant» mais aussi «impulsif et caractériel». Vous reconnaissez-vous ?

(Il réfléchit) Les quatre mis ensemble, c’est une bonne description.

 

Combien de garde du corps avez vous rincé en trois mois ?

Tout dépend de ce que vous entendez par «rincé». Dans toute ma carrière, j’ai renvoyé un seul bodyguard, un sergent qui m’avait insulté. 90 % de mes soi-disant frasques sont fausses.

 

C’est quoi les 10 % de vrai ?

Des broutilles sur lesquelles les gens ont brodé. On a dit que je punissais mes secrétaires en leur faisant copier l’annuaire alors que mon ministère avait entrepris de numériser les coordonnées des médecins. On a même écrit que j’importais des gadgets électroniques pour espionner mes collègues ministres.

 

Pourquoi seriez-vous victime de tant de mensonges ?

Mes ennemis sont puissants, c’est l’un des grands drames de ma vie.

 

N’est-ce pas une façon de vous donner de l’importance ?

Non, je sais le mal que mes ennemis peuvent faire. On n’a pas pu m’avoir sur mon intelligence, ma performance et mon intégrité ; on a essayé de m’abattre sur ma vie privée.

 

 Magistrat du parquet, avocat, notaire, député, ministre, journaliste : laquelle de vos six vies avez-vous préférée ?

Ministre pour l’action, journaliste pour l’éclairage. Mais j’aurais tellement aimé connaître autre chose, pouvoir m’allonger sur une plage, regarder le ciel, respirer, me relaxer. Ma famille sait que pour me voir heureux, il faut m’emmener dans l’hôtel le plus loin possible du bureau. J’ai un sens des obligations trop prononcé.

 

Il paraît que vous auriez aimé être Tom Cruise dans «Top Gun»...

(Rire) C’est vrai ! Pas pour le côté beau gosse mais pour le beau rôle. J’ai passé l’âge d’être un Dom Juan.

 

Dom Juan dit que l’«on n’a pas besoin de lumière quand on est conduit par le Ciel». Pourquoi aimez-vous tant la lumière ?

Parce que c’est sous la lumière que les choses naissent et s’améliorent.