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Tim Taylor, président révoqué du Comité national sur la bonne gouvernance: «Je ne me sens coupable de rien»

15 avril 2015, 11:26

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Tim Taylor, président révoqué du Comité national sur la bonne gouvernance: «Je ne me sens coupable de rien»

Même s’il n’en fait pas une maladie, «Monsieur bonne gouvernance», Tim Taylor a peu goûté à sa révocation par le ministre Roshi Bhadain. Il explique pourquoi et livre son regard sur l’affaire BAI.

 

Tim Taylor révoqué, c’est arrivé souvent ?

Non, c’est ma première expérience. Je précise que j’avais donné ma démission en janvier, elle a été refusée.

 

Votre démission ?

Oui, peu après la prise de fonction de M. Bhadain, je lui avais offert ma démission et celle des autres membres du National Committee on Corporate Governance. C’est l’usage quand vous avez été nommé par un autre gouvernement.

 

De quoi ce gouvernement-là vous punit-il ?

Bonne question ! Généralement, on est puni après avoir commis une faute...

 

Quelle est la vôtre ?

Je ne me sens coupable de rien du tout !

 

Et les six autres membres du comité ?

Ils sont comme moi, très surpris par l’annonce du ministre. On ne comprend pas en quoi l’affaire BAI nous concerne.

 

Tous virés… mais personne n’a rien à se reprocher ?

Absolument rien ! Notre mission était d’accompagner les chefs d’entreprises sur les questions de bonne gouvernance. Les problèmes de la BAI ne sont pas les nôtres, ce sont ceux des régulateurs, des enquêteurs, nous ne sommes ni l’un ni l’autre, je ne vois pas où notre responsabilité est engagée.

 

C’est donc une sanction injuste ?

(Il soupire) Franchement, je ne comprends pas la décision du ministre. Ce qui me dérange, c’est la perception qu’elle crée. J’ai écouté la conférence de presse de M. Bhadain, il annonce le renvoi des responsables de la Financial Service Commission (FSC) et du Financial Reporting Council (FRC) et, dans la phrase suivante, il révoque notre board. Dans la tête des gens, l’amalgame est tentant.

 

Ça crée des suspicions ?

Ça peut ! Des suspicions infondées puisque ce comité n’est pas un organisme de contrôle, il n’a aucun pouvoir de sanction ni même d’investigation. Nous étions là pour promouvoir la bonne gouvernance en mettant des outils à la disposition des entreprises, c’est tout.

 

Quel genre d’outils ?

Nous avons créé un code de conduite, mis sur pied le Mauritius Institute of Directors, organisé des séminaires, des workshops, etc. La liste des réalisations est longue depuis 2004.

 

En passant, un nouveau «Code of Corporate Governance» n’était-il pas censé voir le jour ?

Effectivement, il devait sortir dans trois semaines, nous finalisions le document. Maintenant que nous n’existons plus, j’ignore ce que ce travail va devenir.

 

Avant qu’il ne vous révoque, comment avez-vous accueilli la création d’un ministère de la Bonne gouvernance ?

C’est une bonne chose. Mais s’il suffisait de créer un ministère de la Bonne gouvernance pour que les corps parapublics soient bien gérés, ça se saurait.

 

Doutez-vous des capacités de M. Bhadain?

Non, je suis sûr qu’il est très capable. Mais la bonne gouvernance ne se décrète pas, elle se construit en nommant des gens compétents et intègres dans tous les conseils d’administration, et pas des agents politiques ou des camarades.

 

Vous siégez sur un «board» de moins, il vous en reste combien ?

Oh, plus beaucoup, je suis en préretraite!

 

Plus beaucoup, c’est combien ?

Quatre : CIM, SCOTT, Vivo Energy et la Mauritius Wildlife Foundation.

 

Cela vous gêne de parler de l’affaire BAI ?

Ça dépend. Sur les questions de gouvernance je n’ai pas de problème.

 

Les grands patrons ne s’expriment pas sur cette affaire. Par corporatisme ?

Non. Dawood Rawat n’appartient pas au club des grands patrons mauriciens, il ne s’est jamais associé à d’autres conglomérats, c’est un électron libre, il marchait seul. Enfin, seul… disons que ses partenaires étaient plus politiques qu’économiques. Si les grands patrons ne disent rien sur cette affaire, c’est qu’ils n’ont rien à dire. D’une part, ils se fichent des soucis de la BAI. D’autre part, les faits sont rares, on ne sait pas grand-chose de fiable, d’où une certaine prudence.

 

En privé, c’est autre chose ?

Oui, cette affaire alimente toutes les conversations, c’est le talk of the town des business meetings ! Ce qui choque, c’est l’ampleur du problème. Nous savions tous que la BAI allait mal, mais à ce point-là...

 

Est-ce que ça n’allait pas un peu mieux ? Les défenseurs de la BAI mettent en avant la baisse du taux d’investissement dans les «related companies»…

J’ai une autre lecture. Ils sont passés de 85 % à 58 %, c’est vrai, mais pas en désinvestissant. Ce qui s’est passé, c’est que la cagnotte des polices d’assurance a grossi grâce au Super Cash Back Gold. Or plus votre cagnotte grossit, plus le ratio d’investissement dans les related companies diminue, c’est mécanique. Cette baisse était donc purement artificielle.

 

Les largesses que prenait la BAI avec l’«Insurance Act», ça se savait dans les milieux d’affaires ?

Non, pour savoir il aurait fallu avoir accès aux comptes. Ils sont malins, ils se sont retirés du Stock Exchange. On ne savait pas mais on se posait des questions.

 

Quel genre de questions ?

Sur l’origine des fonds. La BAI a acheté des sociétés à tout-va ces dernières années. Avec quel argent ? Le leur, celui des banques, des policy holders ? Je me posais la question et je n’étais pas le seul.

 

Des interrogations, c’est tout ?

Que faire d’autre ? Si, éviter de mettre de l’argent ! Je n’ai jamais investi un sou à la BAI, je n’avais pas confiance.

 

Toute cette affaire ternira-t-elle durablement l’image de marque du pays ?

C’est déjà le cas, il suffit de lire la presse étrangère pour le voir. Il faut bien comprendre une chose: lorsqu’un pays se positionne comme un centre financier, son bien le plus précieux est long et difficile à bâtir. Maurice en a une solide, on peut se permettre de petits pépins de temps en temps. Le problème, c’est que cette affaire est un gros pépin, il y aura un prix à payer, c’est certain.

 

Combien ?

Si le gouvernement gère bien les prochaines semaines, il minimisera les dégâts.

 

Et le gouvernement gère bien pour l’instant ?

Je préfère ne pas répondre (sourire gêné)... Savoir comment on en est arrivé là m’intéresse davantage.

 

Quelle est votre analyse ?

Pour l’instant, je n’ai que des bouts de réponse. Pour y voir clair, il va falloir poser les bonnes questions. Quel a été le business plan de la BAI depuis vingt ans ? Où notre système de contrôle a-t-il failli ? Des lois, des régulateurs, on en a, ça n’a pas suffi, il faut donc chercher ailleurs. La clé, c’est l’intégrité. Vous pouvez avoir le meilleur cadre légal du monde, si à la tête des compagnies il y a des gens malhonnêtes, vous ne les empêcherez pas tous de tricher.

 

Cette affaire jette aussi le discrédit sur les régulateurs…

Nous avons au moins trois problèmes avec les régulateurs. D’abord, ont-ils pu travailler sereinement ? Pour moi, la réponse est non. La proximité entre Dawood Rawat et l’ancien Premier ministre leur a compliqué la vie. Même s’ils n’avaient pas de pressions politiques directes, cette proximité, parce qu’elle était affichée et connue de tous, a rendu la tâche des régulateurs plus ardue. J’évoquais tout à l’heure un prix à payer pour le pays, eh bien ce prix est issu de la proximité Rawat-Ramgoolam.

 

Première leçon, la nécessité d’un régulateur fort ?

Fort, indépendant et totalement affranchi des politiciens.

 

Bienvenu chez les Bisounours !

Mais pas du tout, dans d’autres pays ça marche comme ça ! Le deuxième problème, c’est la rivalité entre les régulateurs. Les deux principaux, la FSC et la Banque de Maurice (BoM) ne s’entendaient pas. Il a même été question à un moment que la BoM absorbe la FSC. Est-ce que les policy holders auraient été mieux protégés ? On peut en douter, connaissant les relations privilégiées entre l’ancien gouverneur et M. Rawat… Quoi qu’il en soit, trois régulateurs, avec le FRC, c’est peut-être deux de trop. Chacun gère sa paroisse et des zones grises échappent au contrôle.

 

Vous proposez quoi ?

Je pense que le moment est venu de faire appel à un consultant étranger, expérimenté et surtout indépendant, pour qu’il observe, constate et propose des améliorations.

 

Troisième faille du système de contrôle ?

Elle tient aux activités overseas de la BAI. Là-dessus, vous ne contrôlez rien. Cela dépasse le cadre mauricien, c’est un problème international. La solution passe par une plus grande coopération entre les régulateurs des différents États.

 

Plus de règles, donc ?

Non, plus d’efficacité. Une overregulation nous ferait plus de mal que de bien. Il y a un juste milieu à trouver, c’est toute la difficulté.

 

CIM, le groupe financier que vous présidez, est-il intéressé par le rachat de compagnies de la BAI ?

Je ne souhaite pas répondre à cette question.

 

Ça fait deux fois. À la troisième c’est la révocation…

(Rires)

 

Quel(s) parti(s) le groupe CIM a-t-il sponsorisé(s) aux dernières élections ?

Aucun. Nous n’avons pas donné un sou.

 

Vous disiez pourtant qu’«une alliance PTr-MMM serait bénéfique au pays»...

(Il coupe) Non, je n’ai pas dit ça…

 

Si, je vous le confirme. Regrettez vous cette phrase ?

Ce que j’ai dit, c’est que quand le MMM est au gouvernement, généralement le pays tourne mieux. Le journaliste a rebondi en me demandant si le secteur privé était favorable à une alliance travaillistes-MMM ; j’ai répondu oui parce que c’était la vérité. Depuis, beaucoup de choses ont… viré !

 

Connaissez-vous Dawood Rawat ?

Il sait qui je suis, je sais qui il est. On a discuté deux-trois fois ensemble, sans plus. Nous sommes des connaissances, pas des amis.

 

Si vous aviez une question à lui poser, une seule ?

«Pourquoi avez-vous tout gâché ?» Cet homme est parti de rien, il a connu une incroyable réussite. Pourquoi tout ça, pourquoi brûler une réputation ?

 

Imaginez sa réponse…

Je vous transmettrai la sienne, c’est plus prudent.