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Kugan Parapen: «Ma génération a tort de tourner le dos au pays»
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Kugan Parapen: «Ma génération a tort de tourner le dos au pays»
■ Commençons par les présentations. Financier activiste, cela vous convient ?
Ça me va. La finance est mon métier - j’ai commencé comme trader avant de gérer des portefeuilles d’investissement -, l’activisme politique, un engagement. Je suis tombé dedans petit. Mon père siège au bureau politique du MMM, il était candidat aux élections générales de 2010.
■ Mais vous n’avez pas choisi le MMM...
À mon retour d’études, j’étais plus militant que résistant. Je suis allé vers le MMM mais j’ai vite compris que ça ne marcherait pas. Là-bas, avant qu’une idée soit entendue par un décideur, il faut compter dix ans.
■ Un financier de gauche, ça aime la provoc’, non ?
(Rire) Je suis le plus à droite d’un mouvement de gauche, c’est sûr ! Pour moi, tout n’est pas à jeter dans le capitalisme, loin de là. Mes camarades de Rezistans me taquinent un peu mais ça va, ce n’est pas méchant.
■ Dans le milieu des affaires, quels sont les commentaires sur l’explosion de la BAI ?
Le monde des affaires, en particulier celui de la finance, n’a pas découvert en 2015 les problèmes de la BAI. Dans la communauté des investisseurs, beaucoup savaient. Et beaucoup se taisaient. On laissait investir les autres...
■ Aujourd’hui, qu’est-ce qui se dit ?
Rien.
■ Comment ça, rien ?
Un investisseur, ça ne dit rien, ça chuchote.
■ Et ça chuchote quoi ?
Assainir le système financier est une bonne chose, après ça dépend comment c’est fait. Voilà ce qui se dit. Ça se jouera sur le volet social. Si «nettoyer» implique de mettre des centaines de personnes au chômage, on aura un sérieux problème.
■ En parlant de problème, que vous inspirent ceux de Showkutally Soodhun après l’interview de Dawood Rawat à ION News ?
La seule certitude, c’est qu’un des deux ment. Une enquête de Roshi Bhadain s’impose (rire)... Je pense qu’il y a chez M. Rawat une part de vérité et une part d’intox. Que la BAI, depuis trente ans, finance les quatre gros partis, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais que le MSM se soit taillé la part du lion, connaissant la proximité Dawat-Ramgoolam, je suis sceptique. Sur le fond, M. Rawat ne nous apprend rien. Qu’une entreprise comme la BAI lâche des millions à chaque élection, personne ne s’en étonne, c’est une confirmation. Ce que l’on ne dit pas, c’est que cet argent profite à un groupe de gens. Une campagne électorale est une économie parallèle temporaire. Des Mauriciens voient cela comme un bonus, un 13e mois. Une baz, c’est Rs 20 000 par jour. Vingt baz par circonscription, sur un mois de campagne, ça vous fait Rs 240 millions. Où va cet argent ? Dans la poche de nombre de Mauriciens.
■ Vous avez vécu votre première campagne en décembre. Qu’est-ce qui vous a surpris ?
L’électeur est un incroyable traser. «Ki ou pou fer pou mwa», «trass enn ti travay pou mo tifi»... Dès que vous mettez les pieds dans la circonscription, vous êtes assommé de demandes (NdlR : il était candidat à Belle- Rose/Quatre-Bornes). Pour trouver une baz, je suis passé par une dizaine d’intermédiaires. Finalement, on m’a présenté un «agent double» qui travaillait pour les deux alliances. Cet homme m’a lui-même présenté à quelqu’un qui sous-louait des baz, et mon «agent double» a pris une commission au passage. Il ne faut pas se faire d’illusion : la plupart des gens qui travaillent pendant la campagne se fichent de la politique. Ils sont là pour se faire de l’argent. L’élection est pour eux un travail saisonnier au même titre que la pêche à la senne.
■ Vous mettez tout le monde dans le même filet ?
Non, il faut faire la différence entre un activiste et un agent. L’activiste commence à travailler quand l’agent va se coucher. Il est bénévole et donne de son temps pour une cause à laquelle il croit. L’agent, lui, voit, dans certains cas, l’élection comme une source d’enrichissement. Pour certains agents, quand ils terminent leur journée, c’est «donn mwa mo kass», «donn mwa mo rhum».
■ Les Rs 10 millions que Dawood Rawat a offertes au MMM à un mois des élections, ça vous choque?
Plus maintenant. Il y a cinq ans je n’y aurais pas cru. Depuis j’ai ouvert les yeux, j’ai compris que les leaders des partis traditionnels nageaient tous dans le même bassin. Etre candidat à une élection, en théorie, c’est dire au peuple: «Je veux vous représenter.» Or, quand vous touchez des millions du secteur privé, vous n’êtes plus redevable envers les électeurs mais envers vos bailleurs de fonds. Vous devenez le représentant de celui qui a de l’argent. Les leaders sont de formidables acteurs. Et encore, le mot est gentil. En réalité, ce sont des traîtres. Beaucoup trahissent la confiance des électeurs en leur faisant croire qu’ils protégeront leurs intérêts. Mais non, ils protégeront les intérêts de leurs financiers parce que le système les y oblige. Si l’on obtenait la liste des compagnies les plus généreuses envers les politiques, et que l’on croisait cette liste avec leur poids dans l’économie mauricienne, la corrélation serait frappante.
■ Vous en concluez quoi ?
Le problème n’est pas le capitalisme en soi, mais notre modèle de capitalisme. Maurice végète dans ce que les Anglo-Saxons appellent le «crony capitalism», le capitalisme de copinage. Une entreprise peut rarement prospérer sans connexion politique, c’est cette relation-là qu’il faut briser, et qui perdure depuis l’Indépendance. Nos moeurs politiques, depuis, n’ont pas évolué. On fonctionne avec un logiciel de 1968, on ne l’a pas «update».
■ Pourquoi ?
Parce que nous avons peur du changement. Et parce que ceux qui vivent de ce système n’ont aucun intérêt à le casser. Quand Paul Bérenger réclame une «bonne loi» sur le financement des partis, personne n’est dupe. En vérité, il n’a aucun intérêt à ce que ça change. S’il n’a rien à cacher, rien ne l’empêche de publier les comptes du MMM dès lundi ! L’autre point, c’est d’arrêter de tricher sur le montant des dépenses. Une élection, c’est Rs 2 millions minimum par candidat. La loi fixe le plafond à Rs 150 000 mais tout le monde s’en fiche. En décembre, j’ai vu un candidat inscrire le chiffre «zéro» sur son relevé de dépenses, et ça passe...
■ Ce serait quoi, pour vous, une bonne loi sur le financement des partis ?
Il y a deux voies : le financement privé et le financement public, je pense qu’elles peuvent cohabiter. Le financement privé ne me gêne pas, c’est l’opacité qui pose problème. Quand une compagnie prospère, le doute est permis. Réussit-elle parce qu’elle est performante ou parce qu’elle a été généreuse avec le pouvoir en place qui lui renvoie l’ascenseur ? L’absence de transparence laisse le champ libre à toutes les spéculations possibles. D’où la nécessité de dire.
■ Êtes-vous optimiste sur le vote d’une loi durant ce mandat ?
Non. Toutes les formations politiques traditionnelles ont eu l’opportunité, un jour ou l’autre, d’assainir le financement des partis. Elles ne l’ont pas fait et ne vont pas le faire. La seule solution, c’est de le faire nous-même, de montrer la voie. Chez Rezistans, tout est clair. Pour les municipales, on a reçu autour de Rs 400 000. Nous refusons l’argent des compagnies et des associations à caractère communal. Si vous voulez nous financer, vous devez être une ONG, un syndicat ou un particulier.
■ «Montrer la voie», comme vous dites, est-ce suffisant pour espérer un changement ?
Mais oui ! Le meilleur exemple est la déclaration d’appartenance ethnique. Rezistans a dit non, le gouvernement a suivi. Il ne faut jamais croire que l’on est trop petit. «Si tu te crois trop petit pour changer le monde, passe une nuit avec un moustique», disait Gandhi.
■ Comment êtes-vous né à la politique ?
Enfant, je suis tombé amoureux de la politique, de sa puissance, de son impact sur la vie des gens. À 10 ans, je lisais les éditoriaux de Gilbert Ahnee dans Le Mauricien. Quand j’arrivais à en déchiffrer un, c’était le bonheur ! (rire)
■ Comment s’est faite la rencontre avec Rezistans ?
C’était en 2011, j’étais trader à Ébène. Mon quotidien, c’était les taux interbancaires européens. Un matin, à deux pas du bureau, je tombe sur les grévistes de la faim d’Infinity BPO, le centre d’appels. Je m’arrête au supermarché, j’achète deux packs d’eau, et c’était parti... Ce jour-là, j’ai découvert un autre monde, la détresse avait subitement un visage. J’ai compris que ma vie ne pouvait pas se limiter aux placements financiers, à la plage et aux amis. Il fallait que je me rapproche de mon pays, alors je me suis connecté à ces gens, j’ai mis sur pied un comité de soutien. J’ai croisé des membres de Rezistans, une fraternité est née, elle a grandi au fil des ans.
■ Cette grève a-t-elle été le déclic ?
Le fait d’être loin de Maurice a joué aussi. Pendant mes études en Angleterre, j’avais un regard critique sur mon pays, je sentais qu’il y avait tellement mieux à faire. À un moment, tu te dis : pourquoi ne pas essayer d’être partie prenante du changement ?
■ Vishnu Lutchmeenaraidoo a lancé un appel aux jeunes diplômés pour qu’ils rentrent au pays. Pensez-vous qu’il sera entendu ?
Pas sûr, non. Quand vous êtes à l’étranger, deux forces sont en tension. D’un côté, l’éloignement fait vibrer la fibre mauricienne. De l’autre, vous êtes aimanté par ce nouveau monde qui vous impressionne. Je ne pense pas qu’un diplômé de 25 ans ait très envie de rentrer. Pour dire bonjour à sa maman, éventuellement, mais il refait aussitôt ses valises parce que l’île Maurice est devenue trop petite pour lui. C’est dommage. Je suis convaincu que réussir ici est possible, il faut être patient. La vie est un marathon, pas un sprint.
■ N’a-t-on pas envie de sprinter à 25 ans ?
Forcément... Mais ma génération se trompe, elle tourne trop facilement le dos au pays. L’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Courir derrière un bon salaire à l’étranger est un piège. Quand on le convertit en qualité de vie, bien souvent, on s’aperçoit que Maurice propose mieux. Personnellement, j’aurais pu me caser à Londres et gagner des millions. Je me suis dit qu’il fallait essayer de faire quelque chose pour mon pays. L’argent, ça va, ça vient ; contribuer au progrès d’une société, ça reste. C’est ce qui m’a fait revenir, je vais persévérer. Pas éternellement, non plus, je me donne dix-quinze ans. Si ça ne marche pas, je partirai. J’aurais au moins la satisfaction d’avoir essayé, et donc d’avoir fait un bout du chemin.
En 8 dates
1985 : Naissance à Vacoas.
2004 : Lauréat en économie, collège du Saint-Esprit.
2005-2008 : Études d’économie à Warwick, Angleterre.
2009-2011 : Trader spécialisé dans les taux d’intérêt.
Février 2011 : Grève de la faim des employés d’Infinity BPO. Il monte un comité de soutien et rejoint Rezistans ek Alternativ.
2011-2014 : Recruté par la MCB comme analyste en placement, puis gestionnaire de fonds.
Depuis octobre 2014 : Porfolio manager chez AXYS.
Décembre 2014 Candidat aux élections
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