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Questions à Ming Chen, observateur de la chose sportive: «une des avenues pour la survie des JIOI est la décentralisation»

25 juin 2015, 12:05

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Questions à Ming Chen, observateur de la chose sportive: «une des avenues pour la survie des JIOI est la décentralisation»
 
Il y a de fortes chances que Maurice hérite de l’organisation des 10e Jeux des îles de l’océan Indien (JIOI) prévus en 2019 et prenne le relais des Comores, désignées pays organisateur mais incapables jusqu’ici de prouver qu’elles ont les moyens de tenir leurs engagements. Qu’impliquerait pareille décision ? Ming Chen, observateur de la chose sportive et gestionnaire éprouvé, donne son point de vue sur ce qui est un défi et rien de moins.
 
Maurice est certes mieux lotie que les Comores et, sur le papier, plus à même d’abriter la 10e édition des Jeux des îles de l’océan Indien en 2019. Mais sera-ce pour autant chose facile quand on sait le gigantisme atteint par cette manifestation ?
– On ne doit pas mettre en doute le bien-fondé et la mouvance des JIOI mais nous devons être honnêtes avec nous-mêmes : avons-nous les moyens d’accueillir ce genre d’événement dans sa forme et sa dimension ? Les crises auxquelles nous faisons face ces jours-ci ne sont pas propices à cela. Toutefois, si nous avons les compétences, la vision nécessaire, il est possible de créer l’événement, mais il faudra impérativement sortir des sentiers battus.
 
Faisons un rapide survol des infrastructures : peut-on envisager sereinement la rénovation de plusieurs d’entre elles voire la construction de nouvelles infrastructures dans la conjoncture économique actuelle ?
– Il est un fait que la maintenance de nos infrastructures est de piètre niveau. J’ai fait un tour à la piscine Serge-Alfred dimanche dernier (NdlR : 24 mai 2015) et la situation s’est dégradée. Il y a un je-m’en-foutisme inacceptable. Je n’ai pas visité les autres sites, je ne peux donc me prononcer, mais il serait étonnant que les autres stades et infrastructures soient mieux lotis.
 
Quid de l’hébergement ? Où se situerait le Village des Jeux ? Où loger quelque 2 000 personnes pendant presque deux semaines ?
– En 2003, il y avait le Cyber Village et nous avons profité de ces infrastructures pour l’hébergement et de l’école hôtelière pour la restauration. Une option serait de terminer des projets qui sont en hibernation : Le Merritt ou Centre Point. Une autre option serait de calquer la construction et la livraison d’une Smart City sur la période des Jeux.
 
Que rapporterait au final le coût de pareille organisation ? Quel serait le retour sur investissement sur le plan purement sportif ?
– Les frais de participation des différents pays couvrent à peine les dépenses pour la nourriture et la logistique. Le gate money, les droits de retransmission et le sponsoring soulagent de manière superficielle les autres dépenses. Tout ce qui s’appelle infrastructure pèsera très lourd dans la balance. Quoi qu’il advienne, l’organisation des Jeux sera déficitaire. Toutefois sur le plan touristique, il y a peut-être quelque chose à faire. Mais le timing est essentiel, l’hiver n’est pas forcément idéal.
Autre chose, la plupart des gens qui sont dans l’organisation sont des volontaires et le volontariat se meurt, c’est une autre vérité.
 
A l’origine, les Jeux des îles de l’océan Indien devaient permettre de lutter contre l’insularité en offrant aux îles de la région un objectif quadriennal. Depuis, il y a eu de nombreuses ouvertures vers l’Afrique, l’Europe, l’Asie et même vers le sommet de la pyramide sportive, les Mondiaux et les Jeux oOlympiques. A quoi servent vraiment les Jeux des îles de nos jours ?
– Au minimum à garder un lien entre les îles et là ce ne sont que de valeurs olympiques qu’il s’agit. Dans le concret, c’est une obligation pour le pays organisateur de revoir ses infrastructures sportives. De tester ses compétences. Les JIOI, en principe, sont une bonne jauge pour évaluer les progrès réalisés durant les quatre dernières années.
 
Le rapprochement entre les peuples, les liens d’amitié à préserver et consolider ne pèsent pas lourd dans la balance face aux «performances» régionales enregistrées durant ces Jeux…
– Tout à fait et cela a toujours été le cas. Il ne faut pas non plus se faire passer pour des «saints» quand nous ne le sommes pas. Les médailles sont indispensables mais il n’y a que trois marches sur le podium.
 
Investir des millions pour prendre une raclée comme ce fut le cas aux Seychelles en 2011, c’est faire preuve presque de sadomasochisme…
– Le sport peut apporter énormément à un peuple, il peut consolider son âme. Disons que si la situation économique ne s’améliore pas drastiquement dans les quatre années à venir, une absence de médailles sera fatale pour notre nation. Dans le cas contraire, s’il y a une moisson de médailles, la perception sera différente. Surtout si on gagne la médaille d’or en football.
 
Ne vaut-il pas mieux utiliser cet argent pour reconstruire voire construire sur des bases plus solides ? Passer de la théorie et des grands discours à la pratique en donnant une vraie orientation sportive à la population et à la jeunesse en particulier ?
– Le souci est que tout le monde a des solutions et que personne ne sait vraiment comment faire. La preuve demeure ces fédérations qui sont constamment en conflit et totalement inefficaces. Le ministère devrait se cantonner des fois dans son rôle de robinet. Quand il faut prendre des décisions courageuses, le ministère s’est, dans le passé, immiscé dans les affaires des fédérations causant des suspensions ou des menaces de suspension alors qu’il ne fallait que fermer le robinet.
 
Il y a un manque évident de suivi de la part des cadres responsables au ministère. Sinon les investissements auraient été justifiés. Cela sert à quoi de donner des équipements à la veille des Jeux ? Motiver les athlètes avec un voyage à quelques semaines de l’événement est une perte d’argent. Sans le gouvernement, le sport de compétition ne survivra pas. C’est une logique très simple et pourtant…
 
Le prestige, l’orgueil de la nation, c’est bien joli, mais ce ne sont là que des arguments fallacieux…
– Ces arguments fallacieux sont les arguments des dirigeants de fédérations mal gérées.
 
Reste la possibilité de «décentraliser» les Jeux comme cela se fait lors des Jeux de la CJSOI. Mais ce ne seraient plus les mêmes Jeux si le programme était partagé entre les îles…
– Une des avenues pour la survie des JIOI est la décentralisation. Pour garder le tempo, il faudrait faire tourner les disciplines et les compétitions sur une base annuelle. Il y aurait plus de visibilité et aussi de meilleurs échanges.
 
Essayons de rester optimiste malgré tout : il y a quand même quelque chose de positif qui sort des Jeux des îles. Ils contribuent à maintenir une dynamique fût-elle de qualité médiocre et provoquent une synergie même s’ils suscitent de moins en moins d’adhésion…
– Le niveau n’étant pas là, l’après Buckland et Milazar a été très difficile à gérer sur le plan international. Nous nous sommes éclipsés.
 
Faire partie du club très select des pays ayant organisé les Jeux à trois reprises : c’est l’argument qui finalement primera selon vous ?
– Franchement, je ne sais pas, il y a un mélange d’émotions et de réalisme. Qu’est-ce qui doit primer ? Il est nécessaire d’avoir une réflexion très profonde. Nous focalisons trop souvent sur la période des Jeux alors qu’il y a tout un travail de préparation qui est nécessaire. Pas seulement au niveau de l’organisation mais plus particulièrement au niveau des athlètes.
 
Si nous n’avons pas les moyens de faire des stages à l’étranger, on pourrait inviter des sparring partners pour la préparation. Faire d’une pierre deux coups et offrir un peu de spectacle aux aficionados.
 
Le faible niveau des performances ne plaide-t-il pas justement en faveur du maintien de ce rendez-vous régional, plate-forme nécessaire pour l’expression sportive d’îles qui n’ont pas vaincu tout à fait l’insularité ?
– Je le redis, une des avenues pour la survie des JIOI est la décentralisation et la nécessité de faire tourner les disciplines et les compétitions sur une base annuelle. On pourrait aussi inclure plus de disciplines car au final le décompte des médailles serait vraiment secondaire. Et qui plus est, la nécessité d’avoir un Village des Jeux sera écartée.
 
Il ne faut pas non plus se cantonner aux résultats sportifs. Les Jeux ont beaucoup évolué, l’organisation de tels événements nécessite des compétences. Ces compétences sont présentes mais pas nécessairement dans le monde sportif local. La question qui doit être posée est celle-ci : qui a les compétences pour être à la tête du COJI si les Jeux se font à Maurice ? Qui seront les responsables des différents comités de gestion ? La vieille garde n’a pas été renouvelée.
 
 

 
Portrait
Gestionnaire impliqué dans de nombreuses organisations
 
A bientôt 50 ans, Ming Chen est surtout connu comme le directeur de la librairie Le Cygne. Mais il est aussi un passionné de motos et de grosses cylindrées et un bénévole qui aura apporté sa pierre à l’édifice au sein de plusieurs comités d’organisation.
 
En 1993, il remporte le championnat national de tirs au pigeon et soulève la Méridien Challenge Cup. La même année, il devient champion national de Pot Black Pool avec l’équipe du Magic Lantern.
 
Ses qualités de gestionnaire sont sollicitées quelques années plus tard. Ming Chen sera membre du comité de gestion du Centre national de formation de football de 1995 à 2005. En 2003, il est «second en commande» à la direction accréditation du comité organisateur des Jeux des îles de l’océan Indien. Il est responsable de la production des cartes d’accréditation et de la mise en place de la structure et des modalités au sein de cette direction.
 
En 2006, Ming Chen est tour à tour responsable du marketing lors des Jeux de la CJSOI puis responsable de la technologie au sein du comité organisateur des Championnats d’Afrique d’athlétisme. La même année, il devient membre du comité d’administration du Trust Fund for Excellence in Sports.
 
Ming Chen gère le dossier marketing lors des Jeux des îles de l’océan Indien en 2007. La même année, il devient directeur de Beach Soccer Mauritius Ltd. En décembre cette année-là, il préside le comité Marketing & Sponsoring mis en place par le ministère de la Jeunesse et des Sports.
 
Ming Chen apporte son soutien lors des Jeux de la CJSOI en 2008. Il sera ensuite nommé président du comité organisateur des 8e Championnats d’Afrique juniors de natation.