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Meelan Thondoo, anthropologue: «Un jour, je me sentirai chez moi dans mon pays»
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Meelan Thondoo, anthropologue: «Un jour, je me sentirai chez moi dans mon pays»
Elle est d’ici, mais surtout d’ailleurs. Née au Zimbabwe, Meelan Thondoo a grandi aux Seychelles avant de passer son adolescence en Suisse, puis de sillonner les routes du monde. Il y a huit mois, elle jetait l’ancre à Maurice pour ne pas en repartir. Sauf que cela ne s’est pas exactement passé comme prévu. Rencontre avec une anthropologue nomade.
Cela fait quoi de découvrir son pays à 28 ans ?
C’est une expérience surprenante. Tout buzze, tout bouge ! J’imaginais une île plus lente, plus nonchalante.
On vous demande souvent d’où vous venez ?
Tout le temps ! Cela m’amuse beaucoup. Quand je réponds que je suis mauricienne – comme mon père et ma mère –, les gens ont du mal à le croire. J’ai passé très peu de temps à Maurice. Mes parents étaient professeurs, ils ont eu un poste au Zimbabwe, où je suis née. La situation politique s’est tendue, il a fallu partir. La famille a atterri aux Seychelles où elle est restée pendant dix ans. Puis, à Genève, en Suisse. J’ai grandi dans ces deux pays. A 20 ans, j’ai fait mon sac à dos et je suis partie questionner les cultures du monde.
Pour faire votre métier d’anthropologue ?
Pour mon plaisir aussi. A cette époque, je n’avais pas d’adresse fixe. J’ai vadrouillé sur les cinq continents et visité une bonne trentaine de pays. Le voyage est un peu ma maison.
Voyageur, anthropologue, quelle différence au fond ?
La mission. L’objectif est différent. L’anthropologue ne va pas chercher la même chose. Il creuse davantage.
Pourquoi l’anthropologie ?
Par amour pour l’Homme, une espèce fascinante et complexe. L’anthropologie offre une grille de compréhension de l’humain qui répond à ma curiosité. Partir dans une tribu amazonienne, dans un monastère japonais ou dans un village du Mozambique, c’est aller chercher l’homme dans son écosystème naturel. C’est ce que j’aime. Et puis, être anthropologue m’a permis de faire tomber des barrières. Parcourir le monde, seule, quand on est une jeune Afro-asiatique, ce n’est pas gagné d’avance.
Afro-asiatique, c’est votre métissage ?
Oui, j’ai été marquée par ces cultures. Mon père est tamoul. Du côté de ma mère, les racines sont chinoises. J’ai passé mon enfance aux Seychelles où la culture est très créole, très africaine. Même si j’ai une tête d’Asiatique (rire), l’Afrique est une part importante de mon identité.
Et Maurice ? Qu’êtes-vous venue chercher ici ?
La stabilité. J’avais besoin de poser mon sac à dos et de ranger mes affaires dans une armoire. Je connais mieux Jéricho, Manille ou Genève que Port-Louis. Je ressens à présent le besoin d’une empreinte mauricienne. Je ne l’ai pas encore trouvée. Je la cherche.
Dessinez cette empreinte…
Cela commence par un projet professionnel solide. Malheureusement, après huit mois de recherches, je n’ai rien trouvé de concret. C’est une déception car je suis revenue pour ça, pour m’ancrer ici.
Comment ?
En mettant ma spécialité, l’anthropologie médicale, au service des gens. En ayant un impact sur leur vie. Cet impact, je l’ai ressenti plusieurs fois. Mais loin d’ici, que ce soit sur les rives du Rio Napo, dans la jungle équatorienne ou au Tribunal pénal international pour le Rwanda.
L’anthropologie médicale, en deux mots…
C’est chercher à améliorer la santé des gens. Prenons l’exemple du diabète. Comprendre comment la maladie se propage, chercher à freiner son impact ou évaluer l’efficacité des programmes de lutte, tout cela, c’est de l’anthropologie médicale. A Maurice, cette discipline est totalement inconnue. Je passe plus de temps à l’expliquer qu’à la pratiquer !
Après huit mois, c’est donc un constat d’échec ?
(Elle réfléchit) Je suis peut-être trop impatiente aussi. Ailleurs, mon métier m’a ouvert tellement de portes, et là, chez moi, c’est plus difficile. J’ai réalisé à quel point mon pays était une terre inconnue. Il a fallu repartir de zéro. En débarquant ici en septembre, je n’avais aucun contact dans le monde du travail, aucun réseau, zéro piston. Je suis arrivée avec mes diplômes, mes expériences, et c’est tout. J’ai découvert un nouveau monde.
Qu’est-ce qui vous a surpris ?
Les questions sur mes parents, par exemple. Les recruteurs m’en ont posé beaucoup. Ces questions sont hors sujet, je suis indépendante depuis dix ans ! Les employeurs cherchent un point d’attache. Ils veulent savoir ce qui te retient ici. Parfois, j’ai senti que mon envie de Maurice n’était pas suffisante. Si j’avais eu un parent malade, des dettes à payer ou des problèmes de papiers à l’étranger, cela aurait été un atout.
Ces derniers mois, vous n’avez donc eu aucun emploi ?
Si. J’ai donné quelques cours à l’université. J’ai également aidé une ONG à Albion à développer son sponsorship, mais cela n’avait rien à voir avec l’anthropologie.
Des scientifiques mauriciens font le parcours inverse au vôtre en allant tenter leur chance ailleurs. Faut-il s’inquiéter de cette fuite des cerveaux ?
Surtout pas ! Le seul «risque», c’est d’enrichir les cerveaux. Que des scientifiques mauriciens vivent une expérience à l’étranger est une chance pour le pays. A condition, bien entendu, qu’ils reviennent. Et là, il n’y a pas de secret. Pour favoriser leur retour, il faut leur donner un poisson à pêcher, des incitations. Quand vous avez tout quitté pour partir, vous ne rentrez pas pour du vent.
Pour favoriser ce retour, le gouvernement propose notamment des incitations fiscales…
Cela ne suffit pas. Le plus important, c’est l’offre de travail. Que propose-t-on ? Je ne connais aucun Mauricien de l’étranger prêt à quitter un poste captivant pour des avantages fiscaux.
Vous en avez côtoyé beaucoup ?
Enormément. Les Mauriciens de l’étranger sont des gens talentueux et passionnés. Ils ont eu le goût du large. Certains ne rentreront plus, d’autres hésitent. Ce qui les retient, c’est la peur de s’ennuyer professionnellement. Rentrer, il faut que cela en vaille la peine et je ne parle pas uniquement de salaire. Il faut travailler là-dessus, c’est crucial pour le développement du pays. Ce que l’île n’a pas, des Mauriciens de l’étranger l’ont. Et dans plusieurs domaines.
Et pour vous, quel serait le job idéal ?
Avoir un cursus d’anthropologie médicale à l’université. Proposer ce module à la filière médecine, aux futurs infirmiers, aux étudiants en biologie, à tous ceux qui travaillent sur la santé publique. Et à côté de ça, faire du terrain. Là, ce serait le rêve. (Large sourire)
Quel est le prochain pays que vous irez explorer ?
J’ai envie de vous dire Maurice. Ces derniers mois, j’ai été tellement stressée et frustrée de ne pas trouver de travail que je n’ai pas vraiment eu le temps de faire connaissance avec le pays.
Une expérience douloureuse ?
Non, fiévreuse.
Le découragement vous guette ?
Je pars ce soir à Katmandou…
Déjà la fin de l’expérience mauricienne ?
Je serai de retour dans quatre mois. C’est une parenthèse. L’University College of London m’a proposé un travail de recherche sur les Népalaises qui accouchent en milieu rural. J’aurais préféré rester dans ma bulle mauricienne mais vu mon parcours, j’ai souvent des propositions de l’étranger. Je vais revenir, je vais persévérer. Un jour, je me le suis promis, je me sentirai chez moi dans mon pays.
Ses dates
1987. Naissance au Zimbabwe.
1989-1999. Enfance seychelloise.
2000-2008. Adolescence suisse.
2011. BSc en biologie.
2012. MSc en anthropologie médicale.
2013-2014. Chercheuse à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à l’University College of London (UCL).
Sept 2014. S’installe à Maurice.
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