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Christine Duvergé, professeure de littérature française en Californie: Un irrépressible besoin de dire
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Christine Duvergé, professeure de littérature française en Californie: Un irrépressible besoin de dire
Dix mois après le lancement de son premier livre, «Camp Agonie», l’ancienne championne mauricienne d’athlétisme reconvertie en professeure de littérature française aux États-Unis a déjà écrit deux autres romans. Et ce n’est pas fini. Elle est habitée par d’autres projets d’écriture.
C’est que Christine Duvergé a un irrépressible besoin de dire, de faire parler les personnages centraux de ses romans qui sont invariablement des femmes prises en étau entre le passé et le présent. «Dans la vraie vie, il y a une douleur ressentie par les femmes qui est universelle, quelle que soit leur ethnie ou leur classe sociale. Blessures que les hommes ne connaissent pas car notre société est une société patriarcale. Pour moi, il est important de donner une voix aux femmes», explique-t-elle.
Si l’on avait dit à cette belle femme, qui excellait en athlétisme mais qui donnait des sueurs froides à ses parents à chaque fois qu’il fallait récupérer son bulletin scolaire de troisième trimestre, qu’elle serait un jour professeure de littérature française dans une université californienne, elle vous aurait sans doute ri au nez. Car de son propre aveu, elle était une «étudiante médiocre», surtout à partir du moment où le sport a commencé à faire partie de sa vie.
Et pour pouvoir s’entraîner quotidiennement au stade, cette habitante de Beau-Champ qui savoure une enfance heureuse au sein de sa cellule familiale, s’est muée en nomade, habitant en semaine tantôt chez sa grand-mère, tantôt chez un oncle en ville. «L’athlétisme était ma vie.» Et pour cela, elle était prête à tous les sacrifices car poussée par une obsession : celle de sans cesse s’améliorer. «Je ne suis pas du genre à me reposer sur mes lauriers. Je m’impose toujours des défis. Je dois m’améliorer à chaque fois, non pas pour plaire aux autres mais parce que j’aime rendre fiers les gens qui croient en moi.»
Et elle a réussi à se surpasser car elle a été championne de Maurice du 400 mètres aux niveaux cadet, junior et senior. Et 29 ans se sont écoulés avant que son record cadet ne soit amélioré. C’est tout dire. Ce sont ses excellentes performances en athlétisme qui lui ont permis de décrocher une bourse sports-études auprès de l’université du Michigan aux États Unis. Si elle était restée à Maurice, elle serait sans doute devenue une athlète d’élite qui aurait participé à quelques Jeux Olympiques et qui aurait professionnellement encadré en sport les jeunes ainsi que les marginalisés pour leur permettre de percer.
Cette bourse est pour elle un cadeau à plus d’un titre. Elle lui permet de continuer à pratiquer son sport chéri tout en étudiant en vue de décrocher une licence. Et c’est dans cet État du Midwest que le déclic pour les études se produit. «J’avais toujours aimé la littérature française mais là, les professeurs m’inspiraient pour la première fois.» Son professeur de littérature lui demande d’analyser un poème de son choix. N’étant pas rodée à ce genre d’exercice, elle se documente à la bibliothèque et «pond» une analyse très académique. «J’étais très fière de moi. Or, la professeure m’a rendu mon devoir sans note en me disant de ne pas laisser d’autres parler pour moi. Elle disait vouloir entendre ma voix. À partir de ce moment-là, j’ai laissé parler mes émotions.»
S’étant découvert une soif pour les études, elle décide d’obtenir sa licence au bout de cinq ans au lieu de quatre pour pouvoir élargir sa culture générale avec des matières qui l’intéressent, comme par exemple l’opéra. Elle décroche sa licence. Sa seule certitude alors est qu’au final, elle enseignera. Elle obtient une bourse pour faire sa maîtrise en littérature du 17e siècle qui la fascine, tout en ayant la possibilité d’enseigner le français élémentaire aux Américains. «C’était amusant d’apprendre aux Américains, qui n’avaient aucune notion du français, de se présenter.»
Avant la fin de ses études, elle se marie à Tom Donovan, professeur de philosophie et athlète qu’elle a rencontré dans le stade à son arrivée. Souffrant du froid après sept années passées dans cet État du Midwest, Christine Duvergé et son mari décident d’aller s’installer en Arizona où la température est meilleure. Elle continue à enseigner le français élémentaire au niveau universitaire et obtient une bourse pour faire son doctorat qui porte sur l’espace féminin fondé par Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, maîtresse, puis épouse du roi Louis XIV. Une école destinée aux jeunes filles nobles désargentées. «La marquise de Maintenon, qui était une féministe avant l’heure, voulait offrir une place dans la société à ces jeunes filles et avait fondé une école pour elles. Sauf que lorsqu’elles en sortaient, c’était pour se marier à des vieillards souvent pervers. J’ai voulu montrer dans ma thèse que l’espace féminin sans homme est une utopie.»
Avant même d’avoir commencé sa thèse, Christine Duvergé est enceinte. Son mari, qui a obtenu un poste dans une université en Californie, y est installé et elle l’y rejoint. À la naissance de leur fils Thomas, elle sent qu’elle ne pourra simultanément s’occuper de son bébé et écrire sa thèse. Elle fait donc le choix d’être femme et mère au foyer pendant deux ans. «J’ai adoré ça. Là, comme toujours, je voulais bien faire et être une bonne mère. Je crois que c’est ce qui explique que les relations entre mon fils, qui a aujourd’hui 17 ans, et moi soient fusionnelles.»
Lorsque celui-ci est en âge d’aller à la maternelle, elle et son mari rédigent chacun leur thèse qu’ils soumettent et sont reçus. Elle obtient un emploi de professeure de littérature française pour étudiants en troisième année de licence au sein l’University of California Riverside alors que son mari est professeur de philosophie au Mount San Jacinto College, situé à 30 minutes de chez eux. En tant que professeure, c’est elle qui décide quels textes français seront au programme d’études. En mars 2016, et pour la première fois, elle introduira cinq livres d’auteurs mauriciens, à savoir Ève de ses décombres d’Ananda Devi, Blue Bay Palace de Natacha Appanah, Devina d’Alain Gordon-Gentil, Le journal d’une vieille folle d’UmarTimol et son premier roman Camp Agonie, à la demande de ses élèves, précise-t-elle.
Si elle s’est mise à l’écriture, raconte-t-elle, c’est parce que l’univers académique ne lui suffit pas et qu’elle a besoin d’exprimer sa sensibilité. Au départ, la première mouture de Camp Agonie était en anglais et elle la trouvait sans âme. «En trois mois, j’ai réécrit l’histoire en français et j’ai senti la différence. Le français est ancré en moi. C’est mon sang.» Lancé en octobre 2014, ce livre, tiré à 2 000 exemplaires, a été bien accueilli par la critique. Christine Duvergé, qui est à Maurice jusqu’au 4 août, a animé une soirée consacrée à ce livre mercredi soir à L’Atelier Littéraire.
Prolifique, elle a déjà terminé son deuxième roman qui est en phase de réécriture par son éditeur, Alain Gordon-Gentil, et dont le titre provisoire est Le fil d’Ariane. Elle a également terminé un troisième roman qui est «en période de repos». «J’écris assez vite. J’ai besoin de vomir mes livres. Après je reprends mon manuscrit et je le relis et le réécris. Et lorsque je ne peux plus le voir, je l’envoie à mon éditeur qui m’oriente.»
Christine Duvergé a encore trois autres projets d’écriture en tête. Elle ne craint pas de n’avoir plus rien à dire. «Je crois que j’aurais toujours quelque chose à dire car il y a toujours des choses qui me touchent.» Elle est convaincue que si le lien entre Maurice et la France est historique, celui entre Maurice et les États-Unis sera universitaire. Si sa vie est désormais aux États-Unis, elle n’appartient pas totalement à ce pays, ni totalement à Maurice d’ailleurs. «Je suis de nulle part. Je crois que c’est pour cela que j’aurais toujours une histoire à raconter…»
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