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Arvin Boolell: «Quelle gouvernance! Quelle honte!»

20 juillet 2015, 10:15

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Arvin Boolell: «Quelle gouvernance! Quelle honte!»
Décontracté et souriant, c’est en «tracksuit» qu’Arvin Boolell, membre du Parti travailliste, nous accueille. Dans son bureau, des photos de sa mère, de son père, de son frère, de sa soeur. Ça tombe bien, on est venu prendre des nouvelles de la famille.
 

Vous aimez le soleil et le bronzage dans la famille Boolell ?

Bien entendu, même si on a déjà la peau bronzée. Il ne faut pas oublier de mettre de l’écran total quand on va à la plage. Moi, personnellement, je préfère le froid, raison pour laquelle je me suis installé à Forest-Side.

 

Votre frère (NdlR, Satyajit Boolell, le Directeur des poursuites publiques) passe par des moments difficiles à cause de l’affaire Sun Tan…

On fait confiance à la justice pour qu’elle fasse son travail (on coupe).

 

Vous avez un petit message à l’intention des ministres Soodhun et Bhadain ?

Je n’aime pas les gros mots.

 

Que pensez-vous de l’opération de  nettoyage entreprise par l’équipe de Rambo ?

Le «nettoyage» en question aurait été crédible si l’on pouvait faire totalement confiance aux institutions. Il aurait fallu séparer, creuser un véritable fossé entre l’exécutif, le pouvoir législatif et le judiciaire. Et laisser la presse agir comme un contre-pouvoir.

 

Il est visiblement plus facile de prodiguer des conseils quand on n’est plus au gouvernement…

J’avais lancé un appel au gouvernement actuel dès le premier jour, au lendemain des résultats. J’avais félicité les nouveaux élus et leur avais demandé d’oublier le côté revanchard. Car c’était le moment de la reconstruction.

 

Vous avez dit ça parce que vous saviez qu’il y avait anguille sous roche et billets dans des coffres ?

Pas du tout ! Pourquoi le Parti travailliste (PTr) a-t-il été sanctionné ? Il y a eu des manquements. Mais aujourd’hui, qu’est-ce que les gens disent ? Ben, que les choses ont empiré. Ils disent que c’était mieux sous l’ancien régime.

 

Ah bon ?

Oui, des gens à qui j’ai parlé l’affirment haut et fort. Je ne suis pas là pour porter un jugement. Il faut redorer le blason des institutions, redonner l’image d’une île Maurice dont Hillary Clinton faisait les éloges. Elle disait que Maurice était la chandelle de l’Afrique, une vitrine pour la décence, un pays où règne la loi. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

 

Le prochain à passer sous le Kärcher, ce sera qui ? Vous peut-être ?

Quand on fait son travail comme il faut et si les institutions sont crédibles, il n’y a pas de quoi avoir peur.

 

Et à l’heure qu’il est, faites-vous toujours confiance au judiciaire ?

(Ferme) Oui. C’est le rempart, la citadelle, la forteresse qu’il ne faut jamais ébranler. Je suis peiné de dire que les promesses de ce gouvernement ont été vaines. Quelle gouvernance ! Quelle honte ! Ne me demandez pas d’établir la liste des dérapages, elle s’allonge, devient interminable. Le pays mérite mieux, nous avons les compétences qu’il faut pour ça. Il ne faut pas que le pays soit géré par des maîtres du bluff !

 

À la place de Pravind Jugnauth, auriez-vous accepté les travaux communautaires ?

Quand quelqu’un passe par des moments difficiles, il ne faut pas enfoncer le clou. Il faut toutefois qu’il y ait un bon fonctionnement des institutions. Il faut le laisser exercer ses droits.

 

Si un cinéaste vous demandait d’imaginer la suite de cette affaire ?

Je ne suis pas cinéaste et je ne sais pas lire dans les boules de cristal. Mais, au risque de me répéter, je souhaite que le pouvoir des institutions soit respecté. Il ne faut pas qu’il y ait un climat de terreur, de crainte.

 

Sinon, comment se passent les vacances forcées ? Vous vous êtes remis au «sapsiway» ?

Si seulement vous pouviez dire vrai ! Quand j’étais gamin, le sapsiway m’aidait à me concentrer. Mais j’ai passé l’âge. Désormais, je vais à la gym, où je rencontre des amis, peu importe leurs affiliations politiques. Et puis je dévore les livres. Le dernier en date : Breaking India, de Rajiv Malhotra et Aravindan Neelakandan, qui parle de l’influence occidentale sur la perception qu’on a de l’Inde. Et puis, je prends le temps de vivre, d’écouter ma voix intérieure, de faire une introspection.

 

Vous allez vous faire moine ?

Je cherche à mieux comprendre l’être humain. Malgré la photo que vous voyez sur mon bureau, je ne suis pas un disciple d’Amma, mais j’aime sa philosophie de vie. C’est vrai que la spiritualité aide, surtout quand on traverse des moments difficiles. Quand je veux apaiser mon âme, je me rends à la grotte de St-François, en face de l’église. Ma maman s’y rendait souvent, de même qu’au temple. Elle était très pieuse. Prendre du recul permet de voir les choses plus clairement. Mais on reste humain, on fait des erreurs.

 

En parlant de ça, votre ami Navin, comment va-t-il ? Vous avez été invité à son anniversaire le 14 juillet ?

Je l’ai rencontré, je l’ai appelé. Nous n’avons pas le temps de prendre le thé ensemble mais…

 

Une rasade de Chivas alors ?

Malheureusement, je ne peux pas, j’ai quelques petits ennuis de santé. À un certain âge, il faut faire preuve d’un peu de retenue, même s’il faut toujours prendre le temps d’admirer les belles choses. Sinon, avec Navin ça va. We agree to disagree sur certains points. Mais le pays traverse des tempêtes, alors il y a plus de convergence que de divergence d’opinions entre nous deux. Il reste quand même une mémoire institutionnelle du pays.

 

Est-ce sous le coup de la colère que vous avez démissionné comme porte-parole du PTr le 12 mai dernier? Certains partisans rouges vous ont-ils déçu ?

Non. (Hésitant) Enfin, j’ai été quelque peu déçu, c’est vrai. Mais en politique il faut avoir la peau dure, j’en ai vu d’autres. Si je suis déçu, c’est parce qu’il y avait une certaine réticence quand il s’agissait de réinventer le parti, d’accélérer le processus. Je comprends, nous passions par des moments difficiles, certains ont fait amende honorable, des excuses ont été présentées. Je place de toute façon le parti au-dessus de tout ça.

 

Qui s’est excusé auprès de qui ?

Tout le monde s’est excusé auprès de moi. Nous avons tous les mêmes ambitions, c’est de redynamiser le parti, lui redonner ses lettres de noblesse. Nous allons d’ailleurs célébrer, le 15 novembre, le 100e anniversaire de Guy Rozemont, qui en est un des fondateurs.

 

Le PTr est donc en train de ressusciter ?

Il n’est jamais mort. Si les gens ont cette impression, c’est peut-être parce que nous avons opté trop longtemps pour la loi du silence, pour la retenue. Mais on a fait notre mea culpa. On a réalisé qu’on n’avait pas d’autre choix que de revoir la composition de l’équipe. Il faut créer beaucoup plus d’espace au sein du parti. La machine a tremblé pendant un temps  mais elle est de nouveau en marche. Le PTr c’est le Sérengeti (NdlR, parc national tanzanien) et le Sérengeti grouille toujours de vie.

 

Puisqu’on voyage sur le continent noir, regrettez-vous d’avoir tergiversé au sujet du poste de représentant spécial proposé par l’Union africaine ?

Oui. Mais je suis de près ce qui se passe dans la région des Grands Lacs. Je reçois des mails à ce propos et ça me fait chaud au coeur. Je suis triste aussi de voir que certains pays de cette région s’entre-déchirent. Moi, j’ai tendance à prôner le dialogue et la réconciliation. Il y a des gens qui pensent que c’est un signe de faiblesse, mais je pense que la violence verbale ou physique, c’est l’arme des faibles. L’humilité est une grande force, mais il faut qu’elle soit empreinte de respect et de fermeté.

 

La Commission sur le trafic de drogue récemment instituée par le gouvernement, bonne idée ou grosse farce ?

Il faut sensibiliser les gens davantage quant à ce fléau. Les drogues synthétiques font pas mal de victimes parmi les jeunes. Il faut un engagement national pour combattre ce mal.

 

Le ‘C’est pas bien’, c’est pas bien, mais le gandia mérite-t-il le même traitement, dites docteur ? Y avez-vous déjà goûté en passant ?

Malheureusement, je n’ai pas eu ce plaisir ! Ce n’est pas l’occasion qui manquait, surtout quand j’étais étudiant, mais la cigarette, la fumée, ça n’a jamais été mon fort. Quoique, en y repensant, je ne sais pas ce qu’ils mettaient dans le punch… Pour en revenir au cannabis, on commence par ça et, rapidement, on bascule vers autre chose, on veut toujours plus de «nissa». Je connais des gens qui ont sombré à cause de la drogue, la détresse que cela provoque au sein des familles.

 

Qu’avez-vous à dire par rapport au traité fiscal avec l’Inde ?

Il y a certaines dispositions dans le draft protocol qui mettent en péril le secteur financier, qui connaît une forte croissance. Et M. Bhadain, au lieu de favoriser le dialogue et la consultation, brandit la menace, il fanfaronne. Il a déclaré qu’il a accompli ce que d’autres n’avaient pas réussi à faire en 11 ans. Il faut entamer des discussions avec les stakeholders, il faut qu’il y ait un agenda clair. Il fautre mettre les pendules à l’heure. Je dirais à M. Bhadain d’arrêter de bluffer.

 

On voyait plein de monde ici avant chez vous… Ils ont tous disparu du jour au lendemain ?

Je reçois les gens tous les mercredis et les samedis. Il y en a toujours pas mal qui viennent me voir mais pas autant que quand j’étais au gouvernement.

 

Vous êtes d’accord pour qu’on fasse une photo ?

Non, attendez, je vais me raser et me transformer en beau gosse d’abord.