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Dan Maraye, ex-gouverneur de la Banque de Maurice : «Les gabegies de certains ministres couplées à des nominations politiques favorisent l’incertitude
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Dan Maraye, ex-gouverneur de la Banque de Maurice : «Les gabegies de certains ministres couplées à des nominations politiques favorisent l’incertitude
Observateur attentif de l’économie locale, Dan Maraye se livre à une analyse sans concession de la performance de l’État ces sept derniers mois. Selon lui, plusieurs facteurs empoisonnent l’environnement économique et social du pays.
■ Sept mois déjà que l’alliance Lepep est aux commandes du pays. Or, le constat des opérateurs économiques est que l’économie roule au ralenti, qu’il n’existe pas de mesures sérieuses pour créer des emplois. Bref, le «feel-good factor » du lendemain des élections a cédé la place à un «feel-bad factor». Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?
En fait, le «feel-good factor», qui était visible après les élections, résulte de la gestion catastrophique des affaires de l’État par l’ancien gouvernement. D’ailleurs, nous payons aujourd’hui pour les cas de corruption dans les organismes parapublics.
Or, en ce qui concerne le nouveau gouvernement, il faut dire que tout a bien démarré avec, notamment, le combat contre la corruption. Toutefois, l’incertitude s’est installée, avec les gabegies commises par certains ministres, mais aussi au vu de la qualité des gens nommés à la tête d’importantes institutions du pays, des nominés privilégiés pour leur appartenance politique, et ce, au détriment de la compétence.
Je ne dirais pas qu’il y a un «feel-bad factor» ; mais il existe un ou plusieurs facteurs qui contribuent aujourd’hui à empoisonner l’environnement social de notre pays.
■ Comment expliquez- vous ce sentiment, partagé d’ailleurs par de nombreux opérateurs économiques, que rien ne se passe dans le pays depuis sept mois ?
Je me permets de répondre à cette question par une autre question. Soit, comment expliquez-vous qu’un directeur général qui aurait mené la Bramer Bank à la faillite soit nommé à la National Commercial Bank ? Ou encore comment expliquez le maintien de certains hauts cadres de l’ex-BAI à leur poste ? Il y a encore pire avec des personnes impliquées dans des cas de corruption et qui sont aujourd’hui nommées à l’Hôtel du gouvernement.
Alors je me pose la question suivante : où sont les principes de bonne gouvernance et d’Equal Opportunities ?
■ On voit depuis quelque temps s’installer un sentiment de frayeur chez les principaux «stakeholders» du pays, principalement du côté du secteur privé. Ils n’osent pas dire publiquement ce qu’ils constatent dans la sphère économique. Pourquoi ?
Il est malheureux de constater que cette frayeur, somme toute dangereuse pour la démocratie, s’installe à la fois dans le secteur privé et dans la fonction publique. Il nous faut faire une incursion dans l’histoire pour comprendre tous les dégâts causés par l’article 113 de la Constitution depuis 1982.
J’estime que ce serait dans l’intérêt du gouvernement de se pencher sérieusement sur cette question et d’éliminer une fois pour toutes cette prérogative ministérielle d’éjecter comme bon lui semble des hauts cadres du secteur public de leur fonction. Une telle décision motiverait les grands commis de l’État à se montrer bien plus honnêtes et sincères dans leurs recommandations et autres conseils prodigués à leurs ministres.
Personnellement, j’encouragerais les opérateurs du privé à faire preuve de davantage de courage car ce serait à leur honneur et contribuerait à renforcer l’espace démocratique du pays.
■ Une réunion élargie regroupant les décideurs économiques et les représentants du secteur privé est prévue prochainement. On parle d’un «Economic Mission Statement». Estimez-vous cette démarche susceptible de rassurer les opérateurs, dans la mesure où ils seront fixés sur la vision économique du nouveau gouvernement ?
Nous avons eu un discours programme en décembre 2014 : le Président de la République est venu présenter dans les grandes lignes le programme du nouveau gouvernement pour les cinq prochaines années. Ensuite, il y a eu le premier Budget présenté par le ministre des Finances, un exercice qui s’étale sur une période de 18 mois se terminant en juin 2017.
Donc, la question qu’on est à même de se poser aujourd’hui au sujet d’un Economic Mission Statement est la suivante : est-ce une tactique dilatoire ? Je pense que les opérateurs et la population dans son ensemble veulent des actions et non des discours. Alors je me demande : aura-t-on droit à des Mission Statements pour l’éducation, la santé et la diplomatie et j’en passe ?
J’insiste, ce qu’on attend du nouveau gouvernement, ce sont des actions concrètes qui vont aider à faire démarrer notre économie d’une façon soutenue en créant des emplois productifs. J’espère toutefois que cet Economic Mission Statement viendra avec des propositions sérieuses pour booster notre économie.
■ Depuis le début de l’année, l’alliance Lepep s’est livrée au grand ménage au niveau de certaines institutions du pays et au sein du Corporate World. Il y a surtout eu le cas du groupe BAI dans le secteur financier, qui, confronté à un niveau d’endettement financier massif, est aujourd’hui complètement démantelé. Quel regard portez-vous sur la gestion de cette affaire ?
Disons d’emblée que je suis d’accord avec le démantèlement du groupe BAI surtout quand la vérité de ses finances a été établée au grand jour. Toutefois, la gestion de toute l’affaire me paraît désastreuse.
Je pense que la performance du ministre concerné et celle des administrateurs spéciaux ont été en deçà de nos espérances. Tout cela n’a fait que contribuer à cette incertitude dont on parlait au début.
■ Pensez-vous, comme certains observateurs économiques, que le nouveau gouvernement s’est engagé dans la gestion de plusieurs scandales financiers – qui était d’ailleurs nécessaire – en reléguant au second plan les priorités économiques du pays. D’où l’appel lancé dans certains milieux en faveur d’un recadrage des priorités économiques du pays ?
Je pense que la stratégie du gouvernement a été de privilégier des actions impopulaires au tout début de son mandat en espérant qu’il se rattraperait à la fin de son quinquennat. Or, il paraît qu’il a sous-estimé l’ampleur des dégâts causés pas l’ancien régime. Du coup, les dirigeants du nouveau gouvernement ont dû passer beaucoup de temps à gérer des crises.
Malheureusement, dans ce genre de situations, il y a l’aspect social à considérer et s’il n’est pas géré à temps et d’une façon sérieuse, cela pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le pays.
■ Revenons à l’offhore. Cela va faire presque un mois que les opérateurs du Global Business sont dans l’attente de nouveaux changements apportés par le gouvernement indien au traité fiscal entre les deux pays. Pour le moment, c’est la confusion totale. En tant qu’opérateur, pensez-vous que ce dossier a été géré correctement par le tandem Lutchmeenaraidoo–Bhadain ?
Si on s’en tient aux renseignements disponibles, il est clair que le dossier a été mal géré malgré la présence du secrétaire financier lors des négociations. Il est vrai qu’il existe actuellement une confusion totale dans ce secteur, alors même que la quasi-inexistence du régulateur ne fait qu’empirer les choses.
■ Si on en croit les informations qui circulent dans les milieux des opérateurs, les changements que le ministère des Finances indien compte apporter à ce traité toucheraient la taxe sur les plus-values, soit l’article 13 de ce traité. Celui-ci est considéré comme la principale attraction de notre secteur offshore depuis ses débuts dans les années 90. Si ces changements se confirment, on va vers la fin d’un «Business Model» basé sur l’axe Maurice-Inde ?
Il est vrai que l’article13 de ce traité fiscal traitant la Capital Gains Tax a été à la base du succès de notre secteur offshore jusqu’à tout récemment.
C’est l’article même que le gouvernement indien a toujours voulu amender, une démarche à laquelle on a toujours résisté. Par ailleurs, il faut savoir que plusieurs opérateurs ont misé sur cette clause (la taxe sur les plus-values est de 0 %) pour attirer des sociétés offshore à Maurice. Ils ont investi lourdement et pris des risques pour faire prospérer ce secteur qui emploie des milliers de jeunes qualifiés.
Ce n’est certainement pas dans l’intérêt du secteur financier que le ministre concerné vienne déballer des informations confidentielles sur une compagnie opérant dans le Global Business, surtout quand l’opérateur en question a été un pionnier. Au lieu de féliciter ceux qui ont réussi honnêtement, voilà qu’un ministre de la République, faisant fi des principes de base d’éthique et de bonne gouvernance, vient étaler de telles informations. Une telle démarche va-t-elle rassurer les opérateurs et redonner confiance en ce secteur ?
Or, si aujourd’hui, ces opérateurs font des profits, c’est tout à leur honneur et grâce aux efforts consentis pour développer ce secteur dont la contribution à l’économie du pays ne peut être ignorée aujourd’hui.
■ Le ministre Lutchmeenaraidoo et son collègue des Services financiers, Roshi Bhadain plaident en faveur d’un nouveau modèle qui privilégiera l’Afrique comme principal marché pour les investisseurs indiens. Êtes-vous de cet avis ?
Il faut être réaliste. Il faut se demander pourquoi les investisseurs indiens passeront par Maurice pour aller investir en Afrique alors qu’ils peuvent y aller directement. L’Inde est présente en Afrique à travers plusieurs instruments de coopération. Elle dispose également de traités avec plusieurs pays africains qui lui offrent des avantages de non double imposition fiscale.
Par ailleurs, l’Afrique n’est pas un continent avec des pays homogènes. Chaque État a ses propres réalités en matière de développement économique, de bonne gouvernance et de stabilité politique.
Je ne crois pas qu’il serait un bon choix pour les opérateurs de mettre tous les oeufs dans le panier africain et ce au détriment de l’Inde où nous avons fait nos preuves.
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