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Johnny, utilisateur de méthadone «Des dealers, on en trouve dans des hôpitaux»

7 août 2015, 00:12

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Johnny, utilisateur de méthadone «Des dealers, on en trouve dans des hôpitaux»

S’il n’a pas souhaité témoigner à visage découvert, c’est pour protéger ses proches. Mais aussi parce qu’il veut refaire sa vie malgré les séquelles physiques et morales. Ce n’est pas pour autant qu’il se voile la face. Car le chemin vers la guérison, après  38 ans d’addiction, est encore long.  

 

Le shoot, ça ne vous manque pas trop ?

Non. Mais cela demande un gros effort psychologique, c’est pour cela que j’ai rejoint une association. J’y passe toutes mes journées pour ne pas céder à la tentation de la drogue. Sa cible préférée, ce sont les gens comme moi, qui sont «sous substance»  depuis  38 ans… (Pensif). Ça fait plus de  dix ans que j’essaie vraiment de m’en sortir et quatre ans que je suis sous méthadone. 

 

Nous y reviendrons. Mais comment, où et quand avez-vous rencontré votre ancienne amie la seringue ?

Bah, j’avais 16 ans, j’en ai  54 aujourd’hui. J’ai fait la rencontre d’une dame, à l’époque, avec qui j’ai passé dix ans et qui m’a initié au sexe mais aussi à la drogue. Elle s’injectait de la péthidine, j’ai suivi son exemple. Puis, je suis passé à l’opium, pour augmenter mon endurance sexuelle. À l’époque, on vous offrait de l’héroïne en cadeau avec… Le tout pour Rs 10 ! Alors qu’aujourd’hui, une dose d’héroïne coûte dans les Rs 500.

 

L’argent, vous le trouviez où ?

Je n’ai jamais volé en tout cas. Je me droguais à la sueur de mon front ! À raison de dix, voire 20 doses par jour, cela me revenait à environ  Rs 4 000 par jour. Mais je gagnais bien ma vie, j’étais chauffeur pour des VIP dans une compagnie privée, mais aussi Purchasing Officer, boulot pour lequel je touchais de belles commissions… Enn dan lot, ti pé resi trasé. 

 

Qu’est-ce qui vous empêche de travailler aujourd’hui ?

C’est tout ce que je demande. Mais encore faut-il que je trouve une compagnie qui veuille bien m’embaucher. J’ai perdu mon emploi quand les centres de méthadone ont été délocalisés et les horaires de distribution revus. Je devais avaler des bornes pour aller récupérer ma dose, pour ensuite me rendre au travail, à  11 heures. Quand vous êtes chauffeur et que vous attendez des clients, vous dormez pour faire passer le temps. Les effets de la méthadone s’évaporaient alors qu’ils doivent durer  24 heures. J’ai dû quitter mon boulot et je compte poursuivre l’État, que je tiens pour responsable. Il est censé nous aider mais au lieu de ça, il nous met des bâtons dans les roues. Je compte également demander  une aide sociale… 

 

Les contribuables risquent de se révolter en entendant ça…

Qu’ils se révoltent ! J’ai tout de même contribué pendant 20 ans au Fonds national de pension ! Je crois bien que je mérite quelque  chose en retour.

  Sinon, la méthadone, ça  fait planer ? Non, mais il arrive que l’on soit dans un état de somnolence. À l’induction (NdlR : au début du traitement), c’est impossible de travailler. Moi, j’avais pris un mois de congé. On commence par 5 mg et on augmente la dose petit à petit jusqu’à ce que vous atteigniez votre seuil de tolérance. Le mien était assez élevé,  soit de 90 mg… 

 

Décodeur s’il vous plaît…

Ben, en fait, cela veut dire qu’il vous faut cette dose pour ne pas être en état de manque. C’est le médecin qui détermine ce seuil. Ensuite, vous redescendez graduellement, le dosage diminue. Moi, j’en suis actuellement à 30 mg par jour, je veux passer à  20 mg. Aujourd’hui, je n’ai plus sommeil en permanence, je suis fit for duty, tous mes réflexes sont normaux. 

 

Oui, mais avant ça, comment savoir, justement, qu’on a atteint le seuil de  tolérance ?

C’est le rôle du médecin. Il vous colle une torche dans l’œil, pour voir le degré de dilatation de vos pupilles…

 

 D’accord. Et est-ce vrai que la méthadone est mélangée à du jus d’orange ?

On ne peut comparer ce «breuvage» à du jus d’orange !  Disons que c’est une imitation de jus que l’on mélange à la méthadone, effectivement. Cela, afin que les bénéficiaires ne puissent pas se l’injecter dans les veines. Le protocole veut que le dispenser s’assure que la méthadone est ingurgitée, qu’elle est avalée sur le champ. Mais les règles sont faites pour être bafouées, il y aura toujours des têtes brûlées, adeptes de coups fumants ! Lerla tou dimounn pass dan mem panié. Même ceux qui veulent vraiment s’en sortir. 

 

En parlant de coups fumants, vous êtes pour ou contre la légalisation du gandia ? 

 Pourquoi ? Parce que le cannabis ne rend pas plus accro que la cigarette, mettons. Ce n’est pas moi mais des scientifiques qui le disent. D’ailleurs, je sais qu’une bonne partie de la population en fume, cela ne veut pas dire que tout le monde finira par s’injecter des drogues dures. Tout dépend de l’individu, si ce dernier se laisse influencer par des amis ou autres. De toute façon, le gandia fait bien moins de mal que les drogues synthétiques, qui font des ravages chez les jeunes, qui vous bousillent le cerveau direct. Moi, au moins, il m’en reste une petite partie ! 

 

 Justement, les jeunes qui se droguent, c’est la faute aux parents ? Au système ? À qui ?

C’est leur faute à eux ! Il faut arrêter de chercher des excuses ou des boucs émissaires. Je le répète, il se peut que l’on fasse de mauvaises rencontres, mais tout dépend de la personne elle-même, c’est elle qui accepte de se laisser guider. Moi, par exemple, je viens d’un milieu assez aisé, j’ai eu une éducation très stricte. À l’école, mes profs m’adoraient, j’étais souvent le premier de la classe… L’un n’a pas empêché l’autre. Il faut se brûler les ailes pour savoir qu’il ne faut pas s’approcher du soleil. Aucun discours ne vaut l’expérience elle-même, qu’elle soit bonne ou mauvaise.

 

La prison, vous l’avez expérimentée ?

Oui, deux fois. Et je peux dire que la prison, c’est l’université du crime ! Un jeune qui en sort finit toxicomane, sidéen et trafiquant. Il n’est donc pas logique d’y envoyer des adolescents parce qu’ils ont fumé un joint. Il faudrait des peines sociales.

 

Quant à moi, la première fois que je me suis retrouvé sous les verrous, j’avais  41 ans. J’achetais ma drogue en gros, parce que je ne pouvais pas me déplacer à chaque fois pour aller voir mon dealer. J’ai été condamné pour trafic. Mais j’ai eu la chance de tomber sur un juge qui a cru en mon plaidoyer. J’ai donc écopé de deux mois la première fois et de trois mois la seconde fois.

 

  Puisqu’on parle de dealer, où peut-on se procurer des drogues dures ?

Le bouche à oreille ! Il y a toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un, il suffit alors de passer un coup de fil et le tour est joué. 

 

Ah bon ? Il y a autant de drogués que ça à Maurice ?

Je dirais environ 30 000, soit le triple du nombre annoncé par les autorités. De ceux-là, environ  60 % veulent vraiment s’en sortir. On est bien d’accord : on ne parle que de drogues dures, pas de gandia,  consommé, selon moi, par une bonne partie de la population, quelle que soit la couche sociale. Laissez-moi d’ailleurs vous raconter une anecdote : mon papa, qui est mort quand j’avais 18 ans, évoluait dans le milieu juridique. Il y avait des avocats qui venaient souvent à la maison, tous issus de grandes familles connues. Tous consommaient de l’opium, ça les aidait à réfléchir, à y voir plus clair, disaient-ils…

 

Les choses ont-elles changé aujourd’hui ?

Les substances, oui. Pour le reste, je ne saurais vous dire…

 

Sortons de cette zone dangereuse. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous en sortir ?

J’en avais marre ! Ce n’est pas le regard des autres, parce que personne, ni mes collègues, ni mes proches, ne savaient que je me droguais. J’ai perdu mon papa à 18 ans, j’ai connu des hauts et des bas et des très bas. J’en avais assez de ne plus être maître de moi, alors j’ai décidé de prendre ma vie en main. Franchement, si je ne faisais pas partie de l’association, si je n’aidais pas les autres, je serais encore en train de me droguer. 

 

Vos proches ne sont donc toujours pas au courant ?

Si, aujourd’hui, mes deux enfants le savent. Ils vivent en Angleterre et je vais les voir tous les ans depuis 2010. J’avais demandé à leur mère respective de ne pas leur dévoiler le secret. (Il fronche les sourcilles) Oui, j’ai eu de la chance de trouver deux femmes qui m’aimaient assez pour porter mes enfants. Moi, je ne voulais pas qu’ils aient un père toxico. Mais c’était leur choix et je dois les en remercier. Aujourd’hui, c’est grâce à elles que je peux profiter de l’amour de mes grands gamins, âgés de 27 et 30 ans. Sinon, j’ai le soutien de ma maman, surtout, qui essaie de surmonter sa maladie, en même temps que moi. 

 

Le ministre de la Santé pense que le suboxone, censé remplacer la méthadone, sera capable de «guérir» cette addiction en six mois. Il se met le doigt dans l’œil ?

Pas que dans l’œil, mais ailleurs aussi ! On ne guérit pas en six mois. Le suboxone est un bon médicament, mais il ne marche que pour ceux qui se droguent depuis un ou deux ans. Pour les anciens comme moi, il n’a aucun effet. 

 

La «méthabave», vous en avez entendu parler ?

Oui, c’est une pratique qui consiste à régurgiter la méthadone pour ensuite la revendre. Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg. Des dealers, on en trouve dans des hôpitaux. Moi, j’ai vu de mes yeux des infirmiers qui planquaient des bouteilles encore cachetées, pour les revendre après. Il y en a qui ont même été pris la main dans le sac.