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Éric Ng Ping Cheun: «J’accorde un 10/20 au ministre des Finances»
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Éric Ng Ping Cheun: «J’accorde un 10/20 au ministre des Finances»
Il a l’habitude de manier les chiffres. Mais Éric Ng Ping Cheun, directeur de PluriConseil, en connaît également un rayon sur les lettres. Et l’économiste, qui vient de publier un nouvel ouvrage, n’est pas avare de commentaires sur des sujets d’actualité. La preuve.
Pourriez-vous brancher votre décodeur s’il vous plaît ?
(Rires) Pourquoi ?
On n’est pas sûr de comprendre le langage des économistes…
(Sourire hésitant) On peut vulgariser l’économie sans être vulgaire. On peut simplifier les choses sans être superficiel. Toutefois, des économistes qui disent les choses franchement et clairement, il n’y en a pas beaucoup chez nous. D’autant plus que pour expliquer ce qu’est l’économie aux gens, il faut être crédible.
Qui n’est pas crédible ?
(Pince-sans-rire) Je ne peux citer des noms, je vais me mettre mes collègues à dos. Mais je constate, par exemple, que parmi ceux qui enseignent l’économie à l’université de Maurice, rares sont ceux qui expriment leurs opinions, qui participent à la transmission d’idées. Je crois qu’il y a un problème d’engagement.
Votre dernier ouvrage, paru la semaine dernière, s’intitule «L’économie de la diversité». À part Rama Sithanen, à qui s’adresse-t-il ?
(Sérieux) Il comprend deux parties. La première concerne l’entreprise, la gestion des ressources humaines et la seconde partie traite de l’économie. C’est un peu plus technique. Ce n’est pas un livre grand public, il vise les professionnels, ceux qui ont une certaine formation.
Quel sera le prochain ? Comment devenir un riche auteur économiste en dix leçons ?
(Sourire en coin) On ne devient pas riche en écrivant des livres à Maurice ! On est chanceux quand on arrive à vendre 300 copies. Toujours est-il que les Mauriciens ne lisent pas assez. Certains parcourent les journaux, certes, mais pas les livres. Dans les journaux on parle de tout, de sujets généraux, divers et variés. Le rôle du bouquin, c’est justement de les creuser davantage, que ce soit la politique, l’économie, l’art, les sciences, etc.
Sinon, vous avez aussi des visions ? Où sera le pays en 2030 ?
(Rire sarcastique) Ma vision était tout autre. Je voyais une économie axée sur les services. Je croyais qu’on allait développer davantage les secteurs financier, bancaire, le tourisme, l’informatique, le commerce. Mais au lieu de ça, le gouvernement mise sur le secteur manufacturier. Il souhaite que celui-ci contribue à hauteur de 25% du PIB, contre 17% actuellement. Je vois surtout que l’on file un mauvais coton.
Les miracles, vous y croyez ?
(Sourire blasé) Non, et je ne crois pas qu’il s’en produira au cours des prochaines années. Les conditions ne sont pas réunies, que ce soit au niveau local ou international. Et contrairement aux années 80 – les années «miraculeuses» –, nous ne sommes plus protégés par des accords commerciaux. Les secteurs traditionnels comme le sucre, le textile, n’ont plus de bouclier.
Que feriez-vous pour rebooster l’économie à la place du PM ?
(Rictus) Je me doterais d’un excellent sens de leadership. Je suivrais les choses de près et donnerais des key performance indicators aux ministres et je travaillerais avec le secteur privé. À ce propos, le gouvernement a pris une excellente initiative en décidant de convoquer une réunion trimestrielle entre les différents acteurs de l’économie. Je pense aussi que l’on pourrait mieux faire ce que l’on fait déjà. Pour cela, il faut éviter de gaspiller son énergie en créant des problèmes, comme l’affaire BAI…
Ah ? Selon vous, l’affaire BAI est un problème dont on aurait pu se passer ?
(Double rictus) Je dis qu’elle a monopolisé l’énergie du gouvernement, qui a négligé l’économie. Cette affaire a créé une tension sociale. Les gens se demandent s’ils vont être licenciés. Il y a également les difficultés qu’on connaît à trouver des repreneurs, la polémique entourant la reprise de Courts, pour ne citer que ces «ennuis». Ce sont là autant de mauvais signaux qu’on envoie. Je peux vous dire que même des investisseurs chinois se posent des questions sur Maurice, en voyant toutes ces choses. Ils se demandent si Maurice est encore un pays stable, où les institutions sont respectées.
Le PM a déclaré que 100 000 emplois seront créés d’ici 2019. Est-ce un rêve éveillé ?
(Rire mesquin) 100 000 emplois ? Mission impossible ! Il suffit de regarder les chiffres. Historiquement, on a déjà créé 100 000 entre 84 et 89, à l’époque où il y avait un boom économique et une croissance de 7% en moyenne. Aujourd’hui, le gouvernement projette d’atteindre les 5,5%, ce qui est déjà du domaine de l’hypothétique. Mais même si ce taux de croissance est atteint, je ne pense pas que cela permettra de créer 100 000 emplois en cinq ans. De toute façon, on va stagner sur les 4% en 2015 et je pense qu’on oscillera autour de ce chiffre dans les années à venir.
Que fait-on alors ? Les jeunes chômeurs doivent-ils mettre le feu à leurs diplômes ?
(Pensif) Il faut miser sur l’investissement pour générer de la croissance et donc, des emplois. Les investissements privés – je n’ai pas les chiffres exacts en tête – ont connu une contraction, c’est-à-dire une croissance négative, au cours des quatre dernières années. Pour 2015, ça ne va pas remonter. On compte sur l’économie bleue, dit-on…
Justement, cette économie bleue nous sortira-t-elle de la galère ?
(Sourire narquois) Elle s’appuie sur l’exploitation des minéraux, des ressources marines telles que les algues, la production d’énergie thermique, pour n’en citer que quelques-uns. Pour l’instant, nous n’avons que la pêche. Et il faudra au moins dix ans avant que les choses ne se mettent en place. Les infrastructures sont quasi inexistantes, il n’y a pas eu d’expertise qui a été faite. Plusieurs questions restent en suspens, comme la surveillance de notre zone économique exclusive ou les marchés que l’on vise.
Quels «PluriConseils» donneriezvous à ceux qui veulent se faire des sous de nos jours ? Dans quoi doit-on investir à part l’héroïne ?
(Fou rire) Tout est une question d’opportunités et chacun fait ce qu’il peut ! En fait, si vous voulez investir, il faut savoir prendre des risques, avoir bien entendu une certaine somme d’argent, puisque les banques ne financeront pas votre projet à 100%.
Oui, mais concrètement, pour ceux qui ont un salaire moyen, qui veulent se faire de l’argent, on fait comment ?
(Large sourire) Il est difficile pour moi de vous répondre directement, parce que si je le savais, je l’aurais déjà fait ! Sinon, je pense que le secteur d’avenir, au risque de me répéter, c’est celui des services. L’on pourrait proposer une aide à domicile pour les personnes âgées ou malades, par exemple.
Ça gagne bien sa vie, un économiste ? Combien ?
(Rire taquin) Il y a économiste et économiste… Je vous mentirai en vous disant que je ne gagne pas bien ma vie. Mais il faut quand même que je travaille, que je vende mes services, que je me batte. La compétition est rude mais bon, j’arrive à m’en sortir. J’ai créé ma boîte en 2004 et depuis, je survis ! Je me rends tout de même compte que je ne peux pas me limiter au marché domestique, je me tourne donc vers l’Afrique. Pour assurer son expansion, il faut définitivement exporter ses services.
Des ministres qui distribuent des terrains aux squatters, c’est une bonne ou une mauvaise chose
(Indigné) Mauvaise ! On ne peut pas encourager les gens à squatter, à être dans l’illégalité. On ne peut pas éternellement aller trouver des logements pour eux. Il faut les aider à s’en sortir, mais en s’attaquant à la racine du mal, à la pauvreté.
Si vous deviez accorder une note sur 20 à l’actuel ministre des Finances ?
(Sourire tout court) Bah, un 10.
Il fait moins bien que Rama Sithanen, par exemple ?
(Yeux plissés) J’évite de comparer, on va encore me coller une étiquette sur le dos ! Je peux tout de même dire que ce n’est pas le Lutchmeenaraidoo des années 80. Il est moins dynamique, moins entreprenant et je crois qu’il est moins connecté à la réalité. Un ministre des Finances, ça travaille 24 h/24…
Ce qui n’est pas le cas ?
(Vague) Je me pose la question. Il faut aussi maîtriser tous les enjeux économiques et financiers, à Maurice et ailleurs…
Ce qui n’est pas le cas ?
(Ferme) Écoutez, il y a deux semaines, lorsque le marché de Shanghai a chuté, il y a vu une nouvelle crise internationale. Et moi, j’ai dit que c’était loin d’être le cas. Aujourd’hui, les marchés se sont calmés… Un ministre des Finances ne doit pas parler par instinct, il faut éviter que les gens ne cèdent à la panique. Il faut avoir une certaine capacité d’analyse avant d’émettre des hypothèses.
Ce qui n’est pas le cas ?
(Rire final) Vous voulez un exemplaire de mon livre ?
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