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Edouard Bard, climatologue, professeur au Collège de France (Paris) «Maurice n’échappera pas au réchauffement climatique»

6 septembre 2015, 10:51

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Edouard Bard, climatologue, professeur au Collège de France (Paris) «Maurice n’échappera pas  au réchauffement climatique»

Ne me dites pas que vous avez fait tout ce chemin pour nous dire de sauver la planète et les ours polaires…

(Rire) Non, le vocabulaire catastrophiste n’est pas ma tasse de thé. Ni les slogans simplistes. Je suis à Maurice pour animer une série de conférences sur le changement climatique et ses effets sur l’océan.

 

La controverse sur le réchauffement est-elle close ?  

Oui. Les quelques voix  discordantes, bien souvent, ne sont pas des spécialistes du climat. Au sein de la communauté scientifique, le réchauffement fait désormais consensus. Tout le monde est d’accord sur les grandes lignes.

 

Pouvez-vous les résumer ?

Elles reposent sur deux faits indéniables. D’une part, les températures à l’échelle mondiale augmentent. D’autre part, l’Homme a modifié la chimie atmosphérique. Des mesures précises et continues montrent que la concentration en gaz carbonique est passée de  280 à 400 parties par million entre 1800 et aujourd’hui. D’où l’intensification de l’effet de serre, qui est le principal responsable du changement climatique. 

 

«Tout le monde est d’accord», dites-vous. Pas les climatosceptiques…

Ils sont ultra-minoritaires et ils ont rarement une activité scientifique. Ce sont de très bons clients pour les médias, c’est leur avantage. n Des faiseurs de buzz ? Ou des lobbyistes qui  militent pour maintenir des activités polluantes. Il y a aussi des sceptiques de bonne foi, par ignorance.

 

Votre métier consiste-t-il à nous démontrer que les enfants de nos enfants auront très chaud ?

(Rire) C’est un peu plus compliqué. En un siècle, la température de la Terre a augmenté de 1°C. La fourchette des prévisions à l’horizon 2100 oscille entre +2°C et + 6°C. Ces chiffres sont des moyennes, il faut être prudent car le  réchauffement n’impacte pas Maurice ou l’Ukraine de la même manière. Si l’on  observe la courbe des températures du siècle passé, on voit des différences. Des zones, sur les continents, ont subi une hausse supérieure à 1°C. Près de l’océan, c’est le contraire, le réchauffement est moindre. C’est le cas à Maurice.

 

Faut-il craindre des changements catastrophiques à brève échéance ?

À brève échéance, non. C’est toute la difficulté : pourquoi communiquer sur «l’urgence climatique» alors qu’il s’agit d’un phénomène lent à l’échelle humaine ? Il y a urgence parce que le réchauffement est un paquebot. On ne le voit pas encore, heureusement. Lorsqu’il sera devant nous, il sera trop tard, on ne l’arrêtera plus.

Quels sont les scénarios ? Il y en a deux. Le plus sympathique : nous parvenons à contenir le réchauffement à  +2°C. Et puis il a le scénario qui fait peur, de l’ordre de  +4 à +6°C. Parvenir aux  +2°C implique des réductions massives de nos émissions de gaz à effet serre, dès 2020. D’ici la fin du siècle, il ne faudrait pratiquement plus émettre de carbone. C’est donc un  changement radical de notre mode de développement. n C’est extrêmement ambitieux… C’est même complètement utopique. La hausse des émissions de carbone se poursuit à un rythme effréné, nous avons dépassé les 10 milliards de tonnes par an. Malheureusement, le scénario pessimiste est le plus réaliste.

 

 S’il se confirme, quelles seront les conséquences ?

Une Terre à +4°C provoquera des bouleversements  majeurs sur les précipitations, la végétation ou le niveau marin. Quand on chauffe l’eau, elle se dilate, c’est aussi simple que cela. Une montée des océans d’au moins 50 cm est inévitable dans les 100 ans à venir. La projection la plus pessimiste, c’est un mètre. Les pluies liées aux cyclones dans l’océan  Indien seront probablement modifiées. Tous ces changements vont évidemment affecter les conditions de vie, l’agriculture, les transports, les aménagements côtiers… 

 

Ce scénario implique quoi pour un pays comme le nôtre ?

Difficile de répondre avec précision. Maurice n’échappera pas au réchauffement  climatique, c’est certain, mais l’impact sera propre à l’île. Le réchauffement de la Terre est un phénomène mondial aux conséquences localisées. Vous avez la chance d’être entourés d’eau, donc la hausse des  températures sera moindre qu’en Ukraine. Par contre, la montée des océans aura un impact plus important. 

 

Si la mer s’élevait d’un mètre…

On peut se dire que ce n’est pas grand-chose si on vit à  l’intérieur des terres. Mais pour celui qui habite un trait de côte à pente faible,  c’est gigantesque. 

 

Résumons : on ne va pas griller mais se noyer, c’est ce que vous dites ?

Encore une fois, il faut être prudent. Les répercussions  locales du changement climatique sont compliquées à anticiper. Cela dit, il faut savoir que  +4°C, c’est un changement de climat. Pour fixer les idées, le passage d’une période glaciaire à une période interglaciaire, c’est 5°C d’écart, pas plus. Pour Maurice, un tel changement serait une catastrophe. Pour la flore, notamment. Certaines plantes ne pousseront plus. Dans ma région, près de Marseille, le réchauffement a déjà affecté les vignobles. La date des vendanges est un plus précoce chaque année et la teneur en alcool du vin est modifiée.

 

Sciences climatiques et politiques n’ont pas les mêmes échelles de temps. Est-ce le principal obstacle à une lutte efficace contre le  réchauffement ?

Complètement. Prendre soin du climat, c’est travailler pour le très long terme alors que les échéances électorales sont courtes. Surtout, cela exige des choix impopulaires, les lobbys vous tombent dessus… Électoralement, vous avez tout à perdre, c’est invendable. C’est pour cela qu’il faut arriver à convaincre, aussi, le grand public. C’est aux citoyens de faire pression sur leurs dirigeants. Leur dire que le danger est réel. Que les scientifiques ne sont pas là pour faire le buzz. Qu’il n’y a pas de complot «réchauffiste» international. Et que l’on peut mieux vivre en travaillant pour le climat. Les particules de diesel, par exemple, affectent le climat mais aussi la santé. En les réduisant, vous faites d’une pierre deux coups. 

 

 Après trois cents publications scientifiques, devient-on activiste ?

Non. J’ai beaucoup de  respect pour ceux qui s’engagent politiquement, mais à chaque fois qu’ils me sollicitent, je  refuse. Je ne veux pas qu’il y ait le moindre doute sur mon  objectivité scientifique. Je me suis fâché avec plusieurs de mes collègues qui étaient soit dans  l’exagération, soit dans la  minimisation. Avec des motifs plus ou moins inavouables. 

 

Que répondez-vous à ceux qui, avec un certain cynisme, voient le réchauffement comme le prix à payer pour le développement des futurs pays industrialisés ?

C’est un très mauvais  calcul. Les pays les plus pauvres seront les plus impactés parce qu’ils n’auront pas les moyens de se protéger. 

 

Des pays devenus riches en polluant énormément tiennent aujourd’hui des discours  accusateurs. Contre la Chine  notamment. Qu’en penser ?

Je vois dans ce discours une certaine malhonnêteté intellectuelle. La Chine est le premier émetteur de gaz à effet de serre, devant les États-Unis. Mais ses émissions sont récentes comparées à celles des Américains et des Européens. Le gaz carbonique reste dans l’atmosphère, le «stock» actuel est de la responsabilité des pays développés, il n’y a aucun doute là-dessus. 

 

Dans trois mois, la France accueillera la COP21, qui doit entériner un accord global contre le dérèglement climatique. Êtes-vous optimiste ?

Si je ne le suis pas, il faut que je change de métier ! (rire) Optimiste mais réaliste. Les États commencent à livrer leurs contributions, c’est-à-dire les efforts qu’ils prévoient de faire, et nous sommes loin du compte. Plus on tarde, plus le risque est grand. Sans une action forte et rapide, la perspective d’une Terre à  +4°C n’est plus une hypothèse mais une certitude.

 

Les leçons de l’échec de  Copenhague, en 2009,ont-elles été tirées ?

Je l’espère ! C’est la grande frayeur des politiques : un nouvel échec retentissant. 

 

Maurice a de grandes  ambitions économiques qui  n’intègrent pas l’élément climatique. Fait-on n’importe quoi ?

Comme tout le monde… Partout, je constate une certaine schizophrénie. Voyez ce président célèbre qui vient de passer trois jours en Alaska. D’un côté, il communique beaucoup sur la protection du climat. De l’autre, son administration autorise Shell à forer au large de l’Alaska. Le double discours est permanent. 

 

À l’inverse, on a l’impression que les messages d’alerte des scientifiques se répètent  depuis vingt ans. N’est-ce pas un  peu déprimant ?

Ça l’est un peu, oui. Je reste à ma place, je fais de la science, je suis dans l’observation, le constat. La clé du changement est dans la poche du grand public. Les citoyens français, mauriciens… ce sont eux qui pousseront les politiques à agir. Le dérèglement climatique est un problème bien trop important pour le laisser aux seuls scientifiques. Nous ne sommes pas de bons communicants, nous ne savons pas convaincre. On a, aussi, autre chose à faire.