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Bain-des-Dames: les pêcheurs sacrifiés
14 septembre 2015, 08:24
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Bain-des-Dames: les pêcheurs sacrifiés
Ils toucheront chacun Rs 150 O00, une somme «dérisoire», pour avoir le droit de se taire et ne pas contester le projet de port de pêche. Mais que deviendrontils une fois cet argent épuisé ?
Les pirogues se balancent au gré des vagues. Personne n’a pris la mer ce jeudi, à Bain-des-Dames. Les pêcheurs de la région se sont rendus au port pour y toucher leur compensation après des mois de négociations. Chacun percevra Rs 150 000, une somme «dérisoire» donnée par le gouvernement.
En échange, «nous n’aurons plus le droit de contester le projet jusqu’en 2017. C’est le deal. Jusque-là, nous ne savons pas ce que le gouvernement veut faire de la mer. Nous savons seulement que c’est pour le bien de la population», ironise Jean-Claude Fin, un pêcheur de 69 ans.
Le gouvernement projette de créer un immense port de pêche à Bain-des-Dames. Celui-ci fera partie intégrante d’une nouvelle configuration de la zone portuaire, qui s’étendra jusqu’à Baie-du-Tombeau. Un développement auquel participeront des Chinois, des Français et des Indiens. Les pêcheurs, eux, se demandent quelle sera leur place dans ce vaste projet.
Derrière ses grands yeux verts et son visage ridé, Jean-Claude Fin cache mal son inquiétude. Malgré son âge, il est obligé de prendre la mer au moins trois fois par semaine parce que la pension de vieillesse est loin de suffire pour rembourser ses dettes. Il lui faut non seulement payer les dépenses domestiques mais aussi rembourser l’emprunt qu’il a contracté auprès de la Banque de développement pour acheter son bateau à moteur. Trois fois par semaine donc, il quitte sa maison à Cassis pour prendre la mer.
Cependant, il ne peut plus le faire seul depuis des années. «Il faut que quelqu’un m’aide à tirer le bateau et à soulever le moteur. Et je ne peux plus enchaîner les nuits. Le pire, c’est qu’il n’y a plus de poissons dans les environs. Il faut toujours aller plus loin.» Souvent, il rentre bredouille, ne ramenant de ses sorties qu’un teint hâlé que lui envieraient bien des touristes.
Un ami de Jean-Claude s’approche. Il s’appelle Idris Rojah et il a 71 ans. Plus frêle que le sexagénaire, son visage arbore aussi moins de rides. Cela fait 25 ans qu’il n’est plus pêcheur professionnel. Mais il n’a jamais cessé de prendre la mer. «Je n’arrivais plus à joindre les deux bouts avec la pêche. Mais pour arrondir les fins de mois, il fallait que je continue de pêcher. Et les travaux dans le port ont fait fuir les poissons», soutient cet homme fatigué aux lèvres balafrées.
PAS LE CHOIX
Quand il avait 12 ans et qu’il accompagnait son père à la pêche, ils pouvaient ramener des dizaines de kilos de poissons sans avoir à s’aventurer en haute mer. «Aujourd’hui si nous prenons un gros poisson, c’est presque un miracle», affirme-t-il.
Plus loin, d’autres pêcheurs se sont regroupés sous les arbres pour une partie de dominos. Et évidemment, le sujet de conversation ce jeudi, c’est la compensation de Rs 150 000. Les pêcheurs sont loin d’être satisfaits. Mais beaucoup n’ont pas eu le choix.
Sous la terrasse en tôle de sa modeste demeure en face de la plage, Henri nous accueille en compagnie de son épouse Mylène et de leurs deux chiots. Il fait partie des pêcheurs qui ont touché une compensation. Il sait qu’il ne tiendra pas longtemps avec Rs 150 000.
Mylène, elle, n’a pas la langue dans sa poche. Elle égratigne les pêcheurs, l’air décidé. «Moi, je les trouve bêtes d’avoir accepté cette compensation. Après avoir payé les dettes, il ne restera plus rien. Et comment vont-ils faire après ?» s’exclame-t-elle. Elle ne tient pas en place. Pour elle, les autorités abusent «de la naïveté » des pêcheurs et elles ont une grande part de responsabilité dans la précarité dans laquelle se trouvent la plupart de ces derniers.
«Lorsque les prêts de la Banque de développement ontété proposés aux pêcheurs, on parlait d’un taux d’intérêt de 3 %. Or, les pêcheurs étaient loin de se douter qu’en cas de retard, le taux d’intérêt pouvait grimper jusqu’à 15 %», explique Mylène. Elle est d’avis que les pêcheurs auraient dû avoir demandé un emploi stable au lieu d’une compensation financière.
Judex Ramphul, président du Syndicat des pêcheurs, affirme pourtant que la première demande des pêcheurs était justement d’avoir un emploi au port. «Nous n’avions pas le choix. Notre demande pour un emploi a été refusée. Les pêcheurs ont l’impression qu’ils vont toujours être des assistés alors qu’on les empêche de travailler. Ce n’est pas juste. Les pêcheurs sont sacrifiés au nom du développement et il n’y a pas de considération pour eux», déplore-t-il.
Or, pour le ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo, le gouvernement n’a pas abandonné les pêcheurs. Lors d’un entretien avec l’express, il a affirmé que les pêcheurs seront employés sur les bateaux de pêche chinois et indiens qui vont mouiller dans le nouveau port de pêche.
Une proposition qui fait sourciller la plupart des principaux concernés. Beaucoup confient qu’ils n’ont plus le courage de faire ce métier. Car, confie le président du syndicat des pêcheurs, «certains sont vieux, d’autres ont connu l’expérience des bateaux de pêche et ne veulent plus y aller. Et quant aux jeunes, nous voulons bien mieux que cela pour eux…»
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