Publicité

Jack Bizlall: «L’accueil de réfugiés sud-africains ne dérange personne, mais les Syriens…»

20 septembre 2015, 07:49

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Jack Bizlall: «L’accueil de réfugiés sud-africains ne dérange personne, mais les Syriens…»

L’Observatoire de la démocratie s’est réuni samedi 19 septembre pour «organiser, dans le concret, les modalités d’accueil de réfugiés» du Moyen-Orient. Son porte-parole, Jack Bizlall, enjoint au gouvernement de prendre ses responsabilités pour protéger les milliers de personnes qui fuient la guerre et le terrorisme.

 

Vous avez lancé un appel au Premier ministre à aider les réfugiés syriens. Comment ?

Déjà, en réalisant que le monde est confronté à l’une des pires crises humanitaires depuis la Seconde Guerre mondiale. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants cherchent aide et protection. De plus en plus trouvent la mort lors de leur tentative désespérée de fuir la guerre et les persécutions. 

 

Aux quatre coins du monde, on commence à assister à une prise de conscience : Barack Obama vient d’annoncer qu’il allait accueillir 10 000 réfugiés syriens et le Canada et l’Australie ont fait des annonces similaires. Pendant ce temps, que fait Maurice ? Rien. On est membre des Nations unies, on ne peut pas faire comme si cette crise n’existait pas. Si demain un bateau de réfugiés accoste à Flic-en-Flac ou à Cap Malheureux, nous serons obligés de les accueillir.

 

Que proposez-vous ?

Soyons civilisés, ouvrons nos portes aux réfugiés. Maurice compte des milliers de maisons vides. Rien qu’à Flic-en-Flac il y en a des centaines.

 

On les réquisitionne pour héberger des Syriens ?

Inutile, j’ai déjà contacté des personnes qui sont disposées à louer leur logement.

 

Qui paie ?

L’Etat a des fonds spéciaux à sa disposition. La population mauricienne pourrait contribuer aussi. Il suffirait d’augmenter de trois fois rien la taxe sur les cigarettes – c’est un exemple – pour pouvoir accueillir dignement ces gens-là.

 

Qu’est-ce qui vous dit que les Mauriciens sont prêts à payer ?

J’en suis certain. Si Anerood Jugnauth a des doutes, qu’il organise un référendum au lieu de pleurnicher sur son enfance. Accueillir 500 réfugiés est tout à fait possible, et c’est autant de vies sauvées.

 

Une centaine de familles, donc…

En quoi cela poserait-il problème ? Est-ce que la sécurité nationale serait menacée ? Foutaises… On accueille ces familles, on regarde comment elles s’intègrent, puis on amène le débat à l’Assemblée nationale pour savoir si on peut faire plus. Je suis en train de réunir un petit groupe de gens engagés, imbibés de l’esprit de 68. Certains sont des sympathisants travaillistes, d’autres du MMM ou du MSM, peu importe, le but est de réfléchir ensemble à la question des migrants. Pas seulement ceux qui frappent aux portes de l’Europe, nos propres migrants à nous, ceux qui vivent et travaillent à Maurice. L’idée, c’est de pousser le gouvernement à faire trois choses. Un, accueillir chez nous des réfugiés qui fuient la guerre. Deux, prendre position sur une intervention militaire en Syrie – ce débat va forcément s’engager à l’ONU. Et trois, entamer une réflexion sur nos 37 000 travailleurs étrangers pour savoir s’ils sont mieux traités que les migrants qui affluent en Europe.

 

Pour le chef du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), Antonio Guterres, il s’agit certes d’«un problème très sérieux, mais, à l’échelle de la planète, ce n’est pas une des plus grandes crises». Autrement dit, s’ils organisent un minimum d’entraide, les pays riches peuvent la gérer…

(Agacé) Ce Guterres est un fou, il ne comprend rien à ce qui se passe dans cette région. Si Bachar al-Assad tombe, l’expansion de l’état islamique n’aura plus de limites. Contrairement à ce que certains pensent, il ne s’agit pas seulement d’une crise européenne. Un coup d’oeil sur les chiffres montre que l’Europe ne s’en sortira pas seule. La Nouvelle-Zélande, 4,5 millions d’habitants, va prendre 600 Syriens d’urgence, pourquoi pas nous ? Ce qui me met mal à l’aise, c’est notre hospitalité à géométrie variable. Accueillir des réfugiés sud-africains ne dérange personne, mais les Syriens… Les Blancs d’Afrique du Sud sont persécutés dans leur pays. On les exproprie, on les tue. Certains viennent s’établir chez nous, tant mieux, mais les autres ?

 

Vous ne pensez pas que l’éloignement géographique y est pour beaucoup ?

L’océan Indien n’est pas la mer Égée. L’isolement géographique !? Mais nous ne cessons pas d’être fascinés par l’abolition des distances ! Les imbéciles au pouvoir nous rabattent les oreilles du matin au soir avec le village global et la mondialisation ! De quel éloignement parle-t-on ? La Nouvelle- Zélande n’est pas un pays frontalier de la Syrie que je sache, pourtant ils se bougent.

 

Que révèle notre silence ?

Notre espèce est de plus en plus individualiste. Nous perdons en humanisme, en solidarité, en compassion. Anerood Jugnauth a l’art de nous «vendre» une île Maurice miraculeuse, comme si nous étions une oasis à l’écart du chaos. Cette vision nombriliste est non seulement affligeante mais c’est un leurre. Aucun pays ne peut dire que les problèmes du monde ne le concernent pas.

 

Êtes-vous prêt à accueillir une famille syrienne chez vous ?

Pas de problème, de Syrie ou d’ailleurs. Pourquoi est-ce que nous, Mauriciens, nous aurions peur de ceux qui viennent d’ailleurs ? Nous sommes tous des immigrés (il appuie), nous sommes tous des enfants de l’exode, nous devrions comprendre mieux que quiconque la situation de ces gens-là. Ils ne traversent pas une crise de plus, ce qu’ils vivent est le résultat d’un long processus entamé en 1918 avec le démembrement de l’Empire ottoman. Avec l’installation de l’état islamique, rien ne sera jamais plus comme avant. Qu’on le veuille ou non, les réfugiés ont vocation à s’établir ailleurs, ils ne rentreront pas dans leur pays, c’est là un autre point commun avec nous. Quel Mauricien veut retourner vivre au Mozambique ou à Madagascar ? Qui veut repartir en Inde ? Ceux qui vont s’y promener rentrent traumatisés…

 

Le Premier ministre a-t-il répondu à votre appel ?

Il m’a écrit pour me dire qu’il avait reçu ma lettre. J’attends la suite…

 

Vous attendez quoi ?

Que mon pays devienne enfin raisonnable en exigeant l’impossible.