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Entretien avec la ministre, Leela Devi Dookun-Luchoomun: «L’objectif est un système éducatif plus performant»

29 septembre 2015, 11:34

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Entretien avec la ministre, Leela Devi Dookun-Luchoomun: «L’objectif est un système éducatif plus performant»
Dans cet entretien, la ministre de l’Éducation, des ressources humaines, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique aborde plusieurs questions dans le domaine éducatif, dont la réforme du 9-Year Schooling, l’enquête PISA, l’«Enhancement Programme», la mixité, la violence scolaire, le «Higher Education Bill», la recherche et l’éducation interculturelle. 
 
On a maintenant vu le projet du 9-Year Schooling sur papier. Quand et comment se déroulera le débat national qui a été promis avant sa mise en œuvre ? 
Après des rencontres avec les responsables du ministère et des corps paraétatiques, nous avons dé- marré les consultations avec tous les stakeholders. Nous rencontrerons les parents et les éducateurs. Je voudrais souligner que c’est un projet à long terme qui portera ses fruits dans le temps. L’objectif est un système plus performant. En quittant les établissements éducatifs, les jeunes doivent être prêts à relever les multiples défis de la vie. 
 
Pourquoi Maurice ne faitelle pas partie des 65 pays et éco- nomies participant à l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), ensemble d’études me- nées (depuis 2000) par l’OCDEet visant à la mesure des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres ? 
On m’a dit que l’évaluation a été faite en 2013, mais que le résultat n’est pas brillant ! Il faut rappeler que les pays européens eux-mêmes ne sont pas bien classés.
 
Vous avez raison : la France est à la 25e place. Mais il ne faut pas craindre l’évaluation. PISA est une référence internationale… 
On ne craint pas l’évaluation, car c’est un moyen de se situer. Je pense qu’il faudrait attendre la mise en œuvre des réformes avant de reprendre ici cette étude comparée des systèmes éducatifs.
 
Qu’en est-il de l’Enhancement Programme dans le primaire ? Comptez-vous le remplacer et par quoi exactement ? 
L’Enhancement Programme, qui vise le développement intégral de l’enfant, est très louable, mais il faut savoir le faire. Il sera désormais inclus dans le curriculum. À l’école, les enfants feront de la musique, de l’art pendant les heures de classe. On ne peut pas demander à un enfant de rester après les heures de classe. On a aujourd’hui des enfants de 7 à 10 ans qui sortent de chez eux à 8 h, qui travaillent à l’école jusqu’à 15 h, puis prennent des leçons et dînent avant de faire leurs devoirs. Cela ne suscite nullement l’intérêt des enfants, ne leur donne pas le goût d’apprendre.
 
Pourquoi le nouveau gouvernement a-t-il supprimé le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche? Vous devrez en connaître les raisons en tant que ministre de l’Éducation et des ressources humaines qui a «absorbé» l’ancien ministère…
Je suis d’avis que nous devons assurer une certaine continuité du préprimaire à l’enseignement supérieur pour former des personnes accomplies prêtes à faire face à tous les défis du monde. D’ailleurs, mon ministère s’occupe également du déve- loppement des ressources humaines.
 
En France, il y a un secréta- riat d’État, sous l’égide du ministère de l’Éducation nationale, qui s’occupe de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Ce ne serait pas une voie à suivre ? 
Je voudrais vous informer que nous préparons en ce moment le Higher Education Bill. Un expert du Commonwealth est attendu à Maurice pour travailler sur le projet de loi qui sera visé par la State Law Office. C’est ainsi que nous sommes en train de revoir les fonctions de la TEC qui enregistre les institutions de l’enseignement supérieur, accrédite les cours, fait le suivi et l’évaluation et s’occupe du «funding».. Nous examinons ce qu’on fait dans le monde en vue de créer un Apex Regulatory Body qui sera autonome tout en étant également «accountable». Dans le passé, il y a eu beaucoup de cafouillages, d’ingérence politique et de laisser-aller. Et une panoplie d’institutions étrangères dont certaines ne proposent pas une éducation de qualité.
 
Quand ce «Higher Education Bill» sera-t-il prêt ? 
Nous y travaillons. Des consultations sont en cours. Le projet de loi sera prêt d’ici le début de l’année prochaine.
 
Il y a justement de nombreux problèmes dans le secteur de l’Enseignement supérieur. Pour ne prendre qu’une institution, à l’université de Maurice (UoM), on accumule les dettes. On vient d’annuler les cours de BA en Communication, on a réduit le nombre d’heures par matière, les salaires occupent 80 % du budget global, etc.
L’UoM a annulé les cours de BA en Communication parce qu’il n’y avait pas assez d’élèves. L’UoM, qui reçoit plus de «funding» de l’État que les autres institutions publiques de l’enseignement supérieur, a demandé une augmentation de ce «funding». Le Council de l’UoM est en train de faire une évaluation des dépenses avant de décider de la marche à suivre. En attendant, il faudrait travailler avec les fonds disponibles, diversifier et proposer des cours de qualité.
 
L’UoM n’est nullement visible dans le Times Higher Education World University Rankings 2013-2014, «the only global university performance tables to judge world class universities across all of their core missions - teaching, research, knowledge transfer and international outlook». Commentaires de Dhanjay Jhurry, National Research Chair et directeur du Centre for Biomedical and Biomaterials Research (CBBR) : «En effet, je ne l’ai pas trouvée. Il faut aussi reconnaître que la performance de l’UoM en matière de recherche demeure très faible, ne dépassant probablement pas deux articles par enseignant-chercheur par an. Le seul brevet octroyé à l’UoM en est un produit par les chercheurs du CBBR!»
Étant donné que Maurice a l’ambition d’être un Knowledge Hub, il faut nécessairement se positionner à travers la recherche. Cependant, il faut reconnaître que la recherche est «tedious». Il est également affligeant de constater qu’il existe des différends entre «academics». Je pense que l’UoM doit se concentrer sur la recherche, travailler avec le secteur privé et être payé pour cela, et agir comme consultant pour l’Afrique.
 
Une enquête de «l’express Dimanche» avait conclu que des clans existent à l’UoM et qu’ils s’affrontent. La présidente de la République ne dirait pas le contraire ! 
Une université est un haut lieu de savoir, de savoir-faire et de savoir être. Et, comme l’a dit récemment J.M.G. Le Clézio à la Graduation Ceremony de l’Open University of Mauritius, «l’université, c’est l’universel». Il faut y pratiquer toujours plus d’ouverture. S’il existe des clans à l’UoM, je le trouverai fort dommage.
 
Est-ce que la mixité des élèves sera toujours interdite dans les collèges d’État ? 
La mixité n’est pas un phénomène nouveau, car elle existe déjà au préprimaire, au primaire et dans l’enseignement supérieur. Dans des collèges mixtes comme le MGI et le collège St.Andrews, il n’y a aucun problème. Dans le cadre du 9-Year Schooling, les académies seront mixtes, car on ne veut pas y barrer l’accès «on the issue of gender».Il importe de souligner que nous préparons les élèves pour la vie et que, dans cette entreprise nationale, la mixité facilite la transition et l’intégration dans le monde du travail et dans la vie d’adulte.
 
La violence scolaire, sous toutes ses formes, est bien réelle à Maurice bien qu’elle n’ait pas encore atteint le même niveau que dans d’autres pays. Quelles sont les mesures que vous comptez prendre ou renforcer pour la contrer? 
Nos enfants sont exposés à tout ce qui se passe ici et à l’étranger à travers Internet et les médias. Les problèmes qu’ils rencontrent personnellement et les tensions dans la vie familiale sont transposés à l’école. Les mesures que nous allons prendre sont à deux niveaux. Intégrer le contrôle des émotions aussi bien dans le cursus des enfants que dans la formation des enseignants. Et élaborer un protocole à l’issue de rencontres avec les recteurs des collèges publics et privés se trouvant dans les quatre zones. Mais chaque école ayant sa spécificité, il faudrait y adapter le protocole.
 
L’éducation interculturelle n’a pas encore fait son entrée dans le programme d’études. Nous avons rappelé ici même son importance : «L’éducation interculturelle pourrait non seulement inverser le recul de la culture dans le système éducatif, mais nous aider à transcender le multiculturalisme qui a tendance à compartimenter les cultures et les individus. Seule la culture peut aider le jeune à construire sa personnalité et à exercer son intelligence, à se comprendre soi-même et à découvrir le monde, à établir des passerelles entre les hommes.» 
Je suis d’accord avec vous. Nous n’utilisons pas vraiment tout notre potentiel. Par exemple, il est dommage, dans un pays où on parle tant de langues, qu’on n’ait pas de cours comparés de langues comme en Russie. Maurice pourrait devenir une pépinière et se positionner dans ce domaine. Par ailleurs, il est souhaitable que les cultures ne restent pas dans des tours, à la verticale. 
 
Une dernière question qui est d’ordre général:diriez-vous que, bien que Maurice ait fait un long chemin depuis l’Indépendance, qu’elle bénéficie de certains acquis dans plusieurs domaines (économie, démocratie, langues, etc.), le chemin à parcourir est encore plus long ? 
Comme vous le rappelez, nous avons beaucoup d’acquis, de potentiel. Nous devrons donc œuvrer pour traduire dans le réel notre vision d’une île Maurice moderne, prospère et avant-gardiste.