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Philippe Verien, coach d’entreprise et coach sportif: «La clé du coaching c’est le respect»

22 octobre 2015, 00:40

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Philippe Verien, coach d’entreprise et coach sportif: «La clé du coaching c’est le respect»

Philippe Verien, coach d’entreprise et coach sportif, dresse les besoins d’un athlète dans sa construction vers le haut niveau de performance. «La vie est un équilibre dans le déséquilibre» et il faut trouver cet équilibre autour d’un projet, d’un défi et d’une ambition dans le respect de soi et des autres.

 

Quel est le but de votre visite à Maurice ?

Je suis tombé amoureux de Maurice il y a 30 ans et j’ai de très bons amis ici. Cela fait dix ans qu’ils me suggèrent de venir y appliquer mes compétences. Cette année, j’ai décidé que c’était le moment de m’investir un peu en donnant un coup de main en coaching de dirigeants et en coaching sportif.

 

Faites-vous du coaching de dirigeants votre métier ?

À la base, je suis coach de sport. En 1984, j’étais en Côte d’Ivoire et ils m’ont demandé de coacher un dirigeant, puis un deuxième et puis j’ai pris goût à appliquer aux dirigeants ce que j’ai appris en sport. Et c’est devenu une passion.

 

On a tendance à penser que le coaching d’entreprise et le coaching en sport sont différents. Où se situent les différences et les similarités ?

Pour moi, c’est exactement la même chose. Parce qu’au centre, il y a l’humain. Une équipe de sport c’est une équipe d’êtres humains réunis autour d’un projet, d’un défi, d’une ambition et qui cherchent à être fiers de ce qu’ils font. Une équipe d’entreprise ou d’un département, ce sont des êtres humains qui sont réunis ensemble autour d’un projet, d’un défi, d’une ambition. Dans les deux cas, on retrouve les règles de base : les nécessités d’avoir une vision, un leader, une cohésion et de la solidarité, de gérer les victoires comme intégrer les défaites, de communiquer entre êtres humains de manière à obtenir une cohésion et faire qu’un groupe d’êtres humains soit un corps complet.

 

Et je l’applique même à des familles, parce que je me suis rendu compte qu’avec le temps, il y a des êtres humains et la nécessité d’être un corps au-delà du sang. Mon grand rêve c’est qu’il n’y ait plus jamais de divorce, parce que c’est beaucoup de souffrances, des projets qui se cassent. Et là, il faut apprendre à rebondir, faire en sorte qu’un échec soit un pas de plus vers une victoire qu’est la réussite d’une famille ou, au minimum, d’être heureux.

 

Vous avez été rugbyman, judoka et à vos heures perdues, cycliste, qu’est-ce qui vous intéresse dans le sport ?

La capacité que le sport offre à l’être humain de se connaître, de se respecter soi-même et les autres, d’apprendre à s’aimer soi-même et à aimer les autres. Avec les défis qu’on se pose, on apprend à se connaître en cherchant ses limites et le sport permet de connaître les siens sur le plan physique, émotionnel et intellectuel. Il permet de se donner des défis, de repousser ses limites pour encore mieux se connaître. Et ce qui m’intéresse dans le sport ou en entreprise, c’est de voir des êtres humains qui commencent à se connaître et à s’épanouir.

 

Quels sont les grands axes de préparation pour une compétition de haut niveau ?

Ils se fondent sur les trois composants de l’être humain, soit la partie physique qui paraît la plus évidente parce qu’elle est la plus visible pour les gens. Il faut être au summum de sa condition physique et de la maîtrise du geste du sport concerné. C’est un travail individuel qu’on fait avec un coach où on est concerné soi-même.

 

En parallèle, ce qui est moins visible, en ordre décroissant, c’est tout le travail de cohésion d’équipe, même pour les sports individuels. En judo, même si on ne voit que l’athlète, il y a une équipe derrière lui, soit un préparateur physique, mental, les entraîneurs nationaux, les gens qui s’occupent de la logistique, le kiné, etc… Cette cohésion d’équipe est fondamentale. Il n’y a pas un athlète qui réussit tout seul.

 

Le deuxième aspect c’est cette capacité d’avoir une cohésion, une solidarité sans faille, qui fait que quand on va se retrouver sur le terrain, on n’est pas seul. Et quand on n’est pas seul, on est plus puissant au sens humain du terme. On est capable de se dépasser, non seulement pour soi, mais aussi pour les autres.

 

Dans cet aspect, il y a ce qu’on appelle en rugby, le tableau noir, soit toute la partie de préparation de la stratégie, tactique, combinaisons. C’est un gros travail fondamental que certaines équipes sous-estiment et que d’autres surestiment. La représentation mentale est extrêmement importante et elle passe par un travail «intellectuel».

 

Et le troisième aspect?

C’est l’émotion. Être bien dans sa vie, être bien dans les relations avec les gens qu’on aime, être bien avec soi-même, avoir une hygiène de vie impeccable, comme le sommeil ou la nourriture, qui permet émotionnellement d’être équilibré. Il n’y a pas de préparation de haut niveau sans un travail d’équilibre personnel. Il faut gérer ce flux d’amour, parce que c’est un flux d’énergie. Le grand secret c’est de travailler l’équilibre. Pour moi, la vie c’est un équilibre dans le déséquilibre, parce que la vie c’est le mouvement. Le mouvement génère le déséquilibre. D’où l’importance du timing, car le déséquilibre vous emmène. C’est comme en ski, on est tout le temps en mouvement et en déséquilibre potentiel et on travaille un équilibre permanent. D’où la nécessité d’être vigilant.

 

Et cela diffère pour les hommes et les femmes. Comment concrètement ?

C’est un point très important. Les hommes et les femmes ne sont pas façonnés pareil, on le sait. Ce qu’on oublie parfois c’est que les femmes ont une réaction émotionnelle avant d’avoir une réaction physique et c’est le contraire pour les hommes. Donc, on n’entraîne pas des femmes de la même manière qu’on entraîne les hommes. Schématiquement, pour les hommes c’est d’abord le physique, puis on travaille sur l’équipe et ensuite la manière émotionnelle et chez les femmes, c’est l’émotionnel, l’équipe et le physique. C’est caricatural mais c’est une première approche. Je pourrais parler quatre heures sur le sujet (rires).

 

En arts martiaux, on le sait bien, car quand on veut apprendre le judo à une femme ou un homme, on fait entrer l’homme tout de suite dans le combat ou travailler la technique. Une femme, il faut d’abord travailler sur sa relation ou sa vision de ce qui est un combat.

 

Si une femme est attaquée dans le métro ou dans la rue, elle va être figée, ou elle va pleurer ou crier. Elle va être prise par ses émotions. Si un homme est attaqué dans la rue, il va tout de suite sortir les poings et se battre, ou, s’il a peur, il va courir. Cela dépend aussi de l’acquis et de l’origine, mais de manière générale, c’est comme ça que ça se passe.

 

Et comment un coach s’adapte par rapport à l’athlète européen, africain, asiatique et îlien ?

C’est une très bonne question. Avant d’entraîner, il y aura beaucoup de travail de la part du coach parce qu’il doit comprendre la culture des gens qu’il va entraîner. Or, la culture comprend trois grands pavés, soit les valeurs, les normes et standards de sa culture et les comportements. Certains comportements ne seront pas admis dans certaines cultures. Il y a un pays où quand on est content, on fait ça (NdlR : il fait un doigt d’honneur). Si vous le faites en France, c’est une insulte.

 

Si on entraîne des musulmans pour les Jeux olympiques par exemple et qui font le Ramadan, on doit prendre en compte que dans leurs valeurs, il est important de respecter le Ramadan. Par rapport aux normes et standards, il est important pour les familles et la communauté de respecter le Ramadan. Dans son comportement, cela veut dire qu’il ne peut pas manger pendant l’entraînement. Cela rend l’entraînement compliqué quand on recherche la haute performance. Donc, on va trouver des conflits entre la culture des athlètes et les trois principes que j’ai évoqués juste avant et sur ce qu’il faut travailler. Le fait qu’on va respecter le Ramadan va donner beaucoup d’énergie à l’athlète qui va pouvoir se dépasser, lui qui ne pensait même pas pouvoir le faire.

 

En sports individuels, c’est déjà difficile et en sports collectifs, c’est encore plus compliqué. Dans une équipe, surtout à Maurice, on peut avoir des gens de culture chinoise même s’ils sont Mauriciens, Indiens, Blancs issus de France, d’Angleterre et d’Afrique du Sud. Être coach à Maurice est extrêmement compliqué. Si on veut obtenir de la haute performance à Maurice, il faut soit un coach de très haut niveau, soit un Mauricien qui comprend et qui a le courage de traiter le problème, car il y en a qui se cachent derrière la technique, la stratégie. C’est très délicat. Il faut donc une grande confiance pour que les sujets soient abordés dans le respect. La clé du coaching, c’est le respect.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette « clé» ?

Par exemple, si tout le monde n’est pas à l’entraînement, c’est un manque de respect. Ne pas aller à l’entraînement, c’est ne pas respecter l’équipe et l’ambition définie ensemble. Par définition, c’est ne pas se respecter soi-même. Et c’est le pire. À la limite, l’équipe peut s’en remettre. Mais l’individu perd lui-même de sa puissance, sans s’en rendre compte. Donc, sa performance va être affectée pas seulement par le fait qu’il n’est pas allé à l’entraînement, mais aussi parce qu’il sait qu’il a manqué de respect à l’équipe. C’est dans l’inconscient. Et le travail du coach, c’est de révéler ce qui est inconscient pour aller chercher la performance.

 

Et que faire quand il y a ces absences à l’entraînement?

Il y a certaines cultures où il y a du laxisme et on accepte que quelqu’un ne soit pas à l’entraînement. Si on ne peut pas venir à l’entraînement pour un empêchement, on appelle le coach et il va trouver un moyen pour lui donner un travail personnel à faire. Pas pour l’embêter mais pour que l’athlète se sente inclus. Il faut qu’il y ait cette communication et cette confiance. Tout le monde a besoin d’un coach. Il y a beaucoup de gens qui ne le savent pas, mais on a tous besoin d’un regard extérieur qui a dédié sa vie à étudier la performance et l’accompagnement.

 

Dans la vie, quand on divorce, quand on est licencié, quand on a une maladie, on est perdu. Ce n’est pas uniquement quand on a un problème qu’il faut en voir un, car si on en avait un dans la durée, ça permettrait d’éviter les problèmes. Les Eglises, les Temples et les Mosquées peuvent servir de structure de coaching pour des gens qui sont très religieux et pratiquants. C’est pour cela que les religions ont toujours été aussi importantes. L’être humain a besoin de coaching, de se sentir guidé et de s’exprimer. Il a besoin d’évacuer quand il sent qu’il s’est manqué de respect à lui-même.

 

Les Sept péchés capitaux, c’est un manque de respect envers soi-même. Il y a des règles qui ont été dictées pour que l’être humain ait des bases pour se respecter lui-même.

 

Vous avez été entraîneur de Côte d’Ivoire. Est-ce qu’il y a des similarités entre notre île et l’Afrique ?

Il y a un pluralisme culturel qu’on retrouve, plus exacerbé à Maurice. Dans la culture, il y a une certaine nonchalance, qui est surprenante pour un coach qui vient d’Europe. Quand on apprend à connaître les athlètes en terre d’Afrique, en incluant Maurice, cette nonchalance est vraiment culturelle et cela ne veut pas dire que les personnes ne sont pas motivées.

 

Au début, on se dit qu’elles en n’ont rien à faire. Elles sont décontractées. En France, on n’y est pas habitué. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que c’est un avantage. Parce que dans votre culture, il y a cette décontraction qui implique une décontraction musculaire qui, en sport, est fondamentale. Les athlètes perdent beaucoup moins d’énergie par le stress.

 

En Côte d’Ivoire, il y avait des capacités physiques – force physique, rapidité, coordinations naturelles – qui étaient exceptionnelles. Et ça, quand on travaille la technique, c’est très agréable parce que les athlètes apprennent très vite.

 

Il y a, aussi, une fraternité naturelle. Les gens sont contents d’être ensemble. Parfois, j’avais l’impression que s’entraîner ensemble pour se retrouver, c’était un peu comme si les anciens se retrouvaient sous l’arbre à palabres. Pour un coach, c’était un peu agaçant parce qu’il y avait beaucoup de palabres (rires). Mais cela générait une dynamique de groupe qui était très énergisante. Sans coach, ils ne travaillaient pas beaucoup. Mais dès que le coach était là, il y avait toute cette énergie qui était canalisée pour la performance.

 

Et j’ai retrouvé ça ici pour le mardi et le dimanche (NdlR : Avec l’équipe de l’AS Vacoas-Phoeenix de handball). Il y a ce plaisir d’être ensemble. Ça parle beaucoup, par rapport à la culture européenne, mais c’est très utile. L’inconvénient, c’est qu’il y a une telle force d’inertie qu’on peut vite se faire embarquer. Le coach, il faut qu’il s’auto-motive.

 

On dit souvent qu’un athlète n’est pas entré dans sa compétition ou son match. Comment y remédier ?

Que ce soit en Afrique ou ici, je pense que les athlètes sous-estiment l’importance de l’échauffement. Et je l’ai remarqué avec les autres équipes aussi. C’est une montée en régime et ils doivent arriver lancés, déjà mentalement, physiquement et émotionnellement. Ils doivent être tellement à fond, qu’ils sont contents d’avoir quelques minutes de repos pour récupérer avant d’entrer dans le match.

 

Quel conseil peut-on donner à un sportif mauricien de haut niveau ?

Bien choisir son coach. Parce que le rôle du coach est encore plus important ici, qu’ailleurs. Il faut bien savoir ce qu’il veut aussi, et bien définir son ambition et savoir que le niveau d’ambition est totalement corrélé au niveau de travail. Puis, il faut être prêt à apprendre à perdre. Il n’y a pas de grande victoire sans grande défaite. Il faut être prêt à avoir une discipline personnelle et une organisation et méthode autour de son ambition et instituer des relations saines. Définir sa stratégie et les moyens pour y arriver, par exemple, comment je vais négocier avec mon employeur pour qu’il me libère. Et l’école, c’est pareil pour négocier des cours de rattrapage pour pouvoir tenir ses engagements. Il faut toujours penser qu’on n’est jamais tout seul et on ne réussit pas en sport de haut niveau seul.

 

Il y a un athlète qui est exceptionnel en ce moment : le judoka Teddy Riner. Il y a énormément de choses à apprendre de lui. Il se remet en cause tout le temps. Après un titre, il redevient un judoka comme les autres.

 

On dit qu’un sportif doit avoir un sursaut d’orgueil. Quelle est la limite pour qu’il ne se brûle pas les ailes ?

Je distingue orgueil et fierté. Un sportif orgueilleux, c’est un sportif qui est mort. Un sportif fier, c’est un sportif qui est droit, qui regarde dans les yeux et qui est modeste. Il est fier de lui, parce qu’il est fier du travail et de l’entraînement qu’il a fait et de l’équipe qui l’entoure. Il est fier mais il sait se mettre au service des autres. Il est fier, mais il n’oublie jamais qu’il va aux toilettes comme tout le monde. On reste des êtres humains. On sera dans la tombe tous ensemble, un jour. Il va tout faire pour se respecter lui-même et respecter les autres. On ne fait pas cela pour être connu et reconnu pour montrer qu’on est plus grand que les autres. Au contraire, quand on l’a fait et qu’on sait ce que cela demande, on est très modeste et on ne fait pas de bruit.

 

À quel point la troisième mi-temps est-elle importante ?

C’est un bon point. Elle est fondamentale. Il n’y a pas de haute performance sans plaisir. Sur le terrain, il y a ce plaisir mais plus de souffrance. Après l’effort, il y a ce plaisir dans la détente, de refaire le match et de rêver. Le rêve est très important pour le plaisir. On peut aussi remettre les pendules à l’heure et se dire ce qu’on a à se dire. Autour d’une bière c’est plus facile. Elle permet de recréer une cohésion de groupe. Pendant le match, il y a des tensions qui montent .

 

Vous avez aussi été rugbyman, que pensez-vous de la domination de l’Hémisphère sud dans ce Mondial?

Je ne suis pas surpris. Il ne faut pas se tromper d’objectifs. L’Hémisphère sud a organisé son rugby autour des grandes compétitions internationales, donc beaucoup autour de l’équipe nationale. L’Hémisphère nord a organisé son rugby autour des clubs. C’est particulièrement vrai pour la France qui a un championnat très lourd avec beaucoup de matches et de compétitions et des clubs qui ne voient pas d’un bon oeil que leurs athlètes partent en sélection. Pour être performant en sports collectifs, il faut jouer ensemble et pour jouer ensemble, il faut du temps de jeu ensemble. On ne peut pas travailler le collectif, sinon.

 

Quel est votre favori pour la victoire finale ?

Les All-Blacks. Ça peut être une finale All-Blacks vs Australie. Ce sont les deux équipes qui jouent le plus ensemble. L’Argentine est remarquable aussi et elle peut créer la surprise.